Le Liban-Nord est depuis
quelques jours pris littéralement d’assaut par les correspondants de la presse
étrangère qui s’attendent à un afflux de réfugiés syriens dans la foulée de la
bataille d’Alep. Ces réfugiés constituent d’ailleurs actuellement une matière
de choix pour les médias qui leur consacrent de nombreux articles, exposant
leur situation dans tous ses aspects. Selon les sources de l’ONU, il y aurait
actuellement 35 000 réfugiés syriens au Liban officiellement recensés. Ils
se sont généralement installés au Nord, notamment au Akkar, à Denniyé et à
Tripoli, mais il y a aussi deux grands regroupements à Barja, dans l’Iqlim
el-Kharroub, et à Saïda, ainsi qu’un troisième de moindre importance dans la
Békaa, à Ersal. En raison de sa population à majorité chiite, la Békaa
accueille en fait (relativement) peu de réfugiés syriens. Quant au Metn et au
Kesrouan, ce sont les plus nantis qui s’y sont installés.
Les réfugiés démunis sont pris en charge par plusieurs associations
humanitaires dont une seule est arabe : l’association Abdallah al-Thani du
Qatar. Les autres sont Caritas, le Fonds de l’ONU pour les réfugiés et le
Conseil des réfugiés norvégien. L’Union européenne octroie aussi des aides
ainsi que le Haut-Comité de secours relevant du gouvernement libanais. Ces
associations fournissent de l’assistance médicale, des produits alimentaires de
première nécessité et tout ce qui touche aux soins et à la nourriture des
enfants en bas âge. Malgré cela, les réfugiés syriens se plaignent de manquer
de beaucoup de choses et critiquent l’insuffisance des aides qui leur sont
fournies.
Pourtant, des écoles ont été ouvertes à leur intention à Tripoli même, alors
qu’un étage entier leur est réservé à l’hôpital al-Zahra dans la capitale du
Nord. De plus, l’hôpital gouvernemental de Tripoli, l’hôpital Notre-Dame de la
Paix à Kobeyate, l’hôpital Rahal et l’hôpital gouvernemental de Halba
accueillent les blessés. Officiellement, ces réfugiés ne sont pas des
combattants, et l’armée libanaise déployée au Nord et le long des frontières
facilite leur arrivée au Liban. S’ils sont blessés, les soldats libanais les
emmènent vers les hôpitaux ou vers les lieux d’accueil. Même lorsqu’ils
empruntent les voies de passage clandestines, l’armée ne cherche pas à les
arrêter et au contraire leur fournit toute l’aide requise. En dépit de la
campagne menée par certains hommes politiques du Nord, l’armée libanaise est
bien présente dans la région où elle déploie trois brigades, une force
d’intervention et des commandos (qui ont pris la relève de l’unité héliportée)
en plus des gardes-frontières. Elle a d’ailleurs montré que sa présence est
indispensable, surtout depuis les affrontements entre Baal Mohsen et Bab
el-Tebbaneh. Pourtant, certains habitants se plaignent de la lenteur de son
déploiement en cas de rixe, mais les autorités militaires précisent à chaque
fois que l’armée ne peut pas se déployer dans un lieu de conflit sans prendre
des mesures, établir un plan et étudier préalablement la situation. Elle doit
surtout éviter de faire des victimes au cours de ses opérations sur le terrain.
L’armée libanaise sait d’ailleurs qu’en cette période particulièrement
sensible, elle doit être vigilante et éviter d’être entraînée vers un camp ou
un autre. La classe politique ne fait pas les mêmes calculs ayant d’abord en
tête ses intérêts, ainsi que des considérations électorales.
L’armée libanaise se retrouve ainsi souvent en proie à un véritable casse-tête.
Elle sait par exemple que de nombreux blessés syriens qu’elle convoie vers les
hôpitaux sont des combattants de l’opposition, mais cela ne l’empêche pas de
les aider, car elle fait la distinction entre l’aide humanitaire et les
considérations militaires et politiques. Toutefois, lorsqu’un combattant est
attrapé en possession d’armes, il est arrêté et déféré devant la justice
compétente. Ce fut ainsi le cas du Syrien S.K. arrêté en possession de quatre
revolvers dotés de silencieux, qui sont en général utilisés pour commettre des
assassinats. Il a été arrêté et déféré devant la justice militaire... qui s’est
empressée de le relâcher, en exigeant qu’il ne soit pas remis à la Sûreté
générale afin de ne pas être rapatrié dans son pays. L’homme circule donc en
toute liberté au Liban, comme d’ailleurs beaucoup de ses compatriotes, et
l’armée ne peut pas intervenir, même pas pour réglementer le port d’armes. Le
Liban avait déjà bien du mal avec les armes palestiniennes hors et à
l’intérieur des camps, il devra faire face tôt ou tard à celui des armes des
Syriens. Quelle que soit la position adoptée vis-à-vis de l’opposition
syrienne, celle-ci ne devrait pourtant pas être autorisée à circuler avec ses armes
à l’intérieur du pays. Mais la politique a ses raisons que l’armée ignore et
celle-ci a du mal à remplir sa mission dans un tel contexte, d’autant que le
dossier syrien attise les tensions confessionnelles et politiques et divise les
Libanais.
Le dossier des réfugiés syriens, qui est avant tout une question humanitaire,
risque donc de plus en plus de poser un problème sécuritaire au Liban et de se
transformer en casse-tête, surtout si l’armée chargée de garantir la sécurité
des citoyens et la paix civile n’a pas les mains libres pour agir. Ainsi,
quatre Palestiniens membres de Fateh el-Islam qui avaient combattu l’armée
pendant la bataille dans ce camp, avant de s’enfuir en Syrie, où ils ont
soutenu l’opposition à Koussayr notamment, sont récemment retournés à Aïn
el-Héloué. Les informations parvenues à l’armée annoncent qu’ils comptent se
rendre de nouveau en Syrie. L’armée, qui encercle le camp, peut-elle les
arrêter dans un contexte aussi délicat alors qu’ils sont accusés d’avoir tué
des soldats pendant la bataille de Nahr el-Bared ? Quelle attitude adopter ?
C’est dire que la crise syrienne devient chaque jour un peu plus pesante au
Liban. Si les combats se poursuivent à ce rythme, leurs répercussions sur la
scène libanaise ne peuvent que s’aggraver. Entre le dossier humanitaire et
l’approche sécuritaire, le Liban est plus que jamais tributaire de la situation
en Syrie...
http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/772504/Entre_approche_humanitaire_et_question_securitaire%2C_le_dossier_syrien_un_casse-tete_pour_l%27armee.html
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