Colette Khalaf
Il a tenu à être présent aux rendez-vous avec la presse malgré un petit retard. Un retard en dehors de sa volonté, puisqu'il était retenu par les autorités. Après avoir été ovationné durant cinq minutes et demie (un record) au Festival de Venise, après que l'un de ses acteurs, Kamel el-Basha, eut remporté le prix d'interprétation masculine, le cinéaste libanais Ziad Doueiri est revenu avant-hier au Liban pour présenter son film L'Insulte qui sort dans les salles jeudi soir. Pas de réception glorieuse pour le cinéaste talentueux qui hisse haut le nom du Liban à chacun de ses films (West Beyrouth, Lila dit ça, L'Attaque), mais un accueil des plus décevants, et c'est peu dire, puisque le réalisateur franco-libanais a été retenu par la Sûreté générale et s'est vu retirer ses deux passeports. De plus, il fallait qu'il comparaisse devant le tribunal militaire alors qu'il se faisait une joie de rencontrer la presse et de s'assurer des dernières finitions pour l'avant-première. Une idée qui le hantait même devant le tribunal.
Êtres humains
Lavé, lessivé, l'œil un peu hagard, voire triste, il nous a pourtant accueillis avec la plus grande gentillesse. « Malgré le comportement impeccable des autorités, que ce soit la Sûreté générale ou le tribunal militaire, cette histoire nous met dans une situation très fragilisante, a confié le cinéaste à L'Orient-Le Jour. Nous sommes des artistes et des êtres humains capables de tout absorber, mais quand les attaques deviennent tellement sales, et que nous savons d'avance que nous sommes innocents (NDLR, Ziad Doueiri a bénéficié d'un non-lieu), nous ne pouvons qu'en être affectés. »
Et de poursuivre : « De plus, L'Attentat (2013) a été interdit au Liban et les attaquants avaient eu gain de cause. S'ils ont adressé, à l'heure actuelle, non pas une plainte, mais une dénonciation, c'est simplement dans le seul but d'empêcher la sortie de mon film, L'Insulte. Sinon comment expliquez-vous autrement le timing ? L'Insulte ou al-Qadiyyé 23 est un film qui touche des points sensibles que certaines personnes n'ont envie ni de voir ni d'entendre, parce que cela constitue une menace à ce en quoi ils croient. »
Une telle réaction serait en réalité une insulte à l'art ? « Non, c'est une insulte au peuple libanais, parce qu'on le bâillonne, on le prive de sa liberté de parole. Je n'ai aucun souci qu'on déteste mon film après l'avoir vu, parce que le spectateur a acheté son billet et son droit de critiquer. Ces gens-là, par contre, sont simplement des jaloux et des haineux. Leur force n'est pas dans leur autorité morale, mais dans le volume de leur voix. Le peuple libanais a besoin de montrer qu'il est plus grand que cela. »
Surenchères
Pour le cinéaste, ces gens ne sont qu'un fond sonore, « ils se complaisent dans des mots de guerre, pas de paix ». Il estime que « ces gens-là n'ont rien compris au film, car L'Insulte parle de rédemption, de pardon et de réconciliation ». Effectivement, « coincés dans les mythes et des théories des années 70 », les contempteurs de Doueiri font de la surenchère. De la surenchère contre un réalisateur libanais qui, en 2008, s'est vu refuser le financement du scénario par Universal Studios sous prétexte que « le film est trop palestinien ». Mais aussi de la surenchère contre quelqu'un qui a perdu des proches dans le combat pour la cause palestinienne ! Contre un réalisateur qui a réussi à catapulter son acteur principal (un Palestinien sorti des geôles israéliennes) sur le podium du festival le plus prestigieux du monde.
Mais rien ne fait baisser les bras à ce combattant, qui a pour seules armes sa caméra et son mot. Et même s'il va de déception en déception dans ce Liban qui l'a vu naître, il assure que « le Liban vous donne beaucoup de déceptions mais en même temps beaucoup d'espoir ».
Ziad Doueiri, qui s'est vu refuser la sortie de L'Attentat au Liban, a continué à croire en son pays et n'a cessé de revenir pour y tourner un film, bien que des engagements internationaux le retenaient en France. « En interdisant L'Attentat, ont-ils libéré la Palestine ? » s'interroge-t-il. « Si oui, alors je me joins à leur cause. Tout ce qu'ils ont fait, c'est interdire un film qui peut améliorer le système, montrer au monde qu'on a un bon cinéma, doper l'économie cinématographique en assurant des rentrées et en encourageant les acteurs. Tout ce qu'ils ont fait, c'est nuire au Liban à travers moi », martèle-t-il.
Avec Joëlle Touma
La passion du cinéma dévore Ziad Doueiri depuis sa jeunesse. Il lui semble qu'il n'a jamais rien pu faire d'autre à part tenir une caméra. Ce lien physique et mental, organique même, qu'il a avec le cinéma, se traduit par une fusion totale avec sa coscénariste et ex-compagne, Joëlle Touma, avec laquelle il travaille toujours. Et puis, il faut le voir sur un plateau, son énergie, sa manière de ne pas rater un détail, de tout contrôler. « Ma façon de filmer est en effet très organique, mais je ne veux pas en faire une philosophie.
Tout a été fait au cinéma. De temps en temps, on invente quelque chose de nouveau. Moi, j'aime fondamentalement ce métier. Depuis que j'ai fait mes études de cinéma à Los Angeles en 1983 jusqu'à aujourd'hui, je n'ai rien fait d'autre. Joëlle et moi avons vécu entre 2008 et 2011 dans une pauvreté totale. J'ai alors enseigné neuf mois à l'USJ. Des cours de cinéma. C'est la seule chose que j'ai faite qui n'était pas du cinéma », confesse-t-il.
« Wajdi Wehbé, c'est moi... »
Le film, qui tourne autour d'une insulte qui dégénère en un conflit jusqu'à mener aux tribunaux, est porté par un casting d'acteurs « très talentueux, au potentiel énorme, pourvu qu'on leur donne l'occasion de l'exploiter », dit Doueiri. Dans ce film, il ne s'agit pas de lutte entre bons et méchants, mais de combat contre soi-même. Contre les blessures non cicatrisées de la vie ou contre la méfiance d'un homme issu d'un peuple opprimé et qui ne croit plus dans la justice. « Si Joëlle et moi avons écrit ce scénario avec de l'empathie pour les deux acteurs, pour moi, le noyau de l'histoire, c'est l'avocat Wajdi Wehbé, incarné par Camille Salamé. Son texte, que j'ai écrit moi-même, est inspiré des paroles de mes attaquants dans la presse au sujet de L'Attentat. Wajdi Wehbé, c'est moi... »
Ziad Doueiri est certainement sorti vainqueur de cette bataille, mais combien de batailles aura-t-il encore à faire pour que la voix du cinéma libanais soit entendue ? « Mon cinéma ne doit pas être un combat continu. Les gens qui travaillent dans ce milieu connaissent assez les difficultés d'écrire, de financer, de tourner, de monter et de vendre un film. On n'a pas besoin d'en rajouter. Les cinéastes de cette partie du monde ont assez de difficultés à réaliser un film et n'ont pas des George Clooney ou des Matt Damon qui leur permettent de vendre leur film », sourit-il. Et en s'adressant à ses détracteurs, il conclut : « Nous ne vous demandons pas de nous aimer ou de nous appuyer, mais de grâce, laissez-nous montrer au monde notre potentiel et nos talents, et ne salissez pas notre travail. »
Source & Link: L'orient le jour
Il a tenu à être présent aux rendez-vous avec la presse malgré un petit retard. Un retard en dehors de sa volonté, puisqu'il était retenu par les autorités. Après avoir été ovationné durant cinq minutes et demie (un record) au Festival de Venise, après que l'un de ses acteurs, Kamel el-Basha, eut remporté le prix d'interprétation masculine, le cinéaste libanais Ziad Doueiri est revenu avant-hier au Liban pour présenter son film L'Insulte qui sort dans les salles jeudi soir. Pas de réception glorieuse pour le cinéaste talentueux qui hisse haut le nom du Liban à chacun de ses films (West Beyrouth, Lila dit ça, L'Attaque), mais un accueil des plus décevants, et c'est peu dire, puisque le réalisateur franco-libanais a été retenu par la Sûreté générale et s'est vu retirer ses deux passeports. De plus, il fallait qu'il comparaisse devant le tribunal militaire alors qu'il se faisait une joie de rencontrer la presse et de s'assurer des dernières finitions pour l'avant-première. Une idée qui le hantait même devant le tribunal.
Êtres humains
Lavé, lessivé, l'œil un peu hagard, voire triste, il nous a pourtant accueillis avec la plus grande gentillesse. « Malgré le comportement impeccable des autorités, que ce soit la Sûreté générale ou le tribunal militaire, cette histoire nous met dans une situation très fragilisante, a confié le cinéaste à L'Orient-Le Jour. Nous sommes des artistes et des êtres humains capables de tout absorber, mais quand les attaques deviennent tellement sales, et que nous savons d'avance que nous sommes innocents (NDLR, Ziad Doueiri a bénéficié d'un non-lieu), nous ne pouvons qu'en être affectés. »
Et de poursuivre : « De plus, L'Attentat (2013) a été interdit au Liban et les attaquants avaient eu gain de cause. S'ils ont adressé, à l'heure actuelle, non pas une plainte, mais une dénonciation, c'est simplement dans le seul but d'empêcher la sortie de mon film, L'Insulte. Sinon comment expliquez-vous autrement le timing ? L'Insulte ou al-Qadiyyé 23 est un film qui touche des points sensibles que certaines personnes n'ont envie ni de voir ni d'entendre, parce que cela constitue une menace à ce en quoi ils croient. »
Une telle réaction serait en réalité une insulte à l'art ? « Non, c'est une insulte au peuple libanais, parce qu'on le bâillonne, on le prive de sa liberté de parole. Je n'ai aucun souci qu'on déteste mon film après l'avoir vu, parce que le spectateur a acheté son billet et son droit de critiquer. Ces gens-là, par contre, sont simplement des jaloux et des haineux. Leur force n'est pas dans leur autorité morale, mais dans le volume de leur voix. Le peuple libanais a besoin de montrer qu'il est plus grand que cela. »
Surenchères
Pour le cinéaste, ces gens ne sont qu'un fond sonore, « ils se complaisent dans des mots de guerre, pas de paix ». Il estime que « ces gens-là n'ont rien compris au film, car L'Insulte parle de rédemption, de pardon et de réconciliation ». Effectivement, « coincés dans les mythes et des théories des années 70 », les contempteurs de Doueiri font de la surenchère. De la surenchère contre un réalisateur libanais qui, en 2008, s'est vu refuser le financement du scénario par Universal Studios sous prétexte que « le film est trop palestinien ». Mais aussi de la surenchère contre quelqu'un qui a perdu des proches dans le combat pour la cause palestinienne ! Contre un réalisateur qui a réussi à catapulter son acteur principal (un Palestinien sorti des geôles israéliennes) sur le podium du festival le plus prestigieux du monde.
Mais rien ne fait baisser les bras à ce combattant, qui a pour seules armes sa caméra et son mot. Et même s'il va de déception en déception dans ce Liban qui l'a vu naître, il assure que « le Liban vous donne beaucoup de déceptions mais en même temps beaucoup d'espoir ».
Ziad Doueiri, qui s'est vu refuser la sortie de L'Attentat au Liban, a continué à croire en son pays et n'a cessé de revenir pour y tourner un film, bien que des engagements internationaux le retenaient en France. « En interdisant L'Attentat, ont-ils libéré la Palestine ? » s'interroge-t-il. « Si oui, alors je me joins à leur cause. Tout ce qu'ils ont fait, c'est interdire un film qui peut améliorer le système, montrer au monde qu'on a un bon cinéma, doper l'économie cinématographique en assurant des rentrées et en encourageant les acteurs. Tout ce qu'ils ont fait, c'est nuire au Liban à travers moi », martèle-t-il.
Avec Joëlle Touma
La passion du cinéma dévore Ziad Doueiri depuis sa jeunesse. Il lui semble qu'il n'a jamais rien pu faire d'autre à part tenir une caméra. Ce lien physique et mental, organique même, qu'il a avec le cinéma, se traduit par une fusion totale avec sa coscénariste et ex-compagne, Joëlle Touma, avec laquelle il travaille toujours. Et puis, il faut le voir sur un plateau, son énergie, sa manière de ne pas rater un détail, de tout contrôler. « Ma façon de filmer est en effet très organique, mais je ne veux pas en faire une philosophie.
Tout a été fait au cinéma. De temps en temps, on invente quelque chose de nouveau. Moi, j'aime fondamentalement ce métier. Depuis que j'ai fait mes études de cinéma à Los Angeles en 1983 jusqu'à aujourd'hui, je n'ai rien fait d'autre. Joëlle et moi avons vécu entre 2008 et 2011 dans une pauvreté totale. J'ai alors enseigné neuf mois à l'USJ. Des cours de cinéma. C'est la seule chose que j'ai faite qui n'était pas du cinéma », confesse-t-il.
« Wajdi Wehbé, c'est moi... »
Le film, qui tourne autour d'une insulte qui dégénère en un conflit jusqu'à mener aux tribunaux, est porté par un casting d'acteurs « très talentueux, au potentiel énorme, pourvu qu'on leur donne l'occasion de l'exploiter », dit Doueiri. Dans ce film, il ne s'agit pas de lutte entre bons et méchants, mais de combat contre soi-même. Contre les blessures non cicatrisées de la vie ou contre la méfiance d'un homme issu d'un peuple opprimé et qui ne croit plus dans la justice. « Si Joëlle et moi avons écrit ce scénario avec de l'empathie pour les deux acteurs, pour moi, le noyau de l'histoire, c'est l'avocat Wajdi Wehbé, incarné par Camille Salamé. Son texte, que j'ai écrit moi-même, est inspiré des paroles de mes attaquants dans la presse au sujet de L'Attentat. Wajdi Wehbé, c'est moi... »
Ziad Doueiri est certainement sorti vainqueur de cette bataille, mais combien de batailles aura-t-il encore à faire pour que la voix du cinéma libanais soit entendue ? « Mon cinéma ne doit pas être un combat continu. Les gens qui travaillent dans ce milieu connaissent assez les difficultés d'écrire, de financer, de tourner, de monter et de vendre un film. On n'a pas besoin d'en rajouter. Les cinéastes de cette partie du monde ont assez de difficultés à réaliser un film et n'ont pas des George Clooney ou des Matt Damon qui leur permettent de vendre leur film », sourit-il. Et en s'adressant à ses détracteurs, il conclut : « Nous ne vous demandons pas de nous aimer ou de nous appuyer, mais de grâce, laissez-nous montrer au monde notre potentiel et nos talents, et ne salissez pas notre travail. »
Source & Link: L'orient le jour
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