Sandra Noujeim
Il est déjà 19 heures et les échos du sit-in pacifique du mouvement civil « Vous puez », initié trois heures plus tôt devant le Grand Sérail, continuent de retentir, avec toujours plus de force, dans les rues du centre-ville.
La « petite vingtaine » de manifestants, qui avait été dispersée en milieu d'après-midi par les jets d'eau de la Défense civile, s'élargit progressivement. Les manifestants dénoncent la gestion corrompue et « puante » de la crise des déchets : le début du rassemblement a d'ailleurs coïncidé avec la réunion de la commission ministérielle, au siège du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), pour l'annonce des résultats de l'appel d'offres, finalement reportés.
Le report en soit a semblé bénin face au ras-le-bol général des protestataires, dégoûtés par une corruption qui se perpétue, frustrés par un système qu'ils ne savent par où percer. Leur colère s'est accentuée et leur nombre a quadruplé, lorsque la manifestation a dégénéré en violence. Tentant en effet de franchir les fils barbelés à l'entrée du Sérail, ils ont été repoussés par des jets d'eau. Certains continuaient toutefois de s'agripper, tant bien que mal, aux fils barbelés, que les forces de l'ordre tiraient de l'autre bout. « Les jets d'eau sont à la limite inoffensifs par rapport à ce qu'on a subi plus tard », confie un jeune à L'Orient-Le Jour.
Réprimés par les forces de l'ordre, les protestataires ont dû ensuite faire face, en début de soirée, à une rangée de forces antiémeute. Aux premières tentatives mises en échec des protestataires de démanteler les fils barbelés menant au siège du CDR, succèdent des tentatives verbales de persuader les agents des FSI de libérer trois de leurs camarades, Lucien Bou Rjeily, Wareth Sleiman et Hassan Chams, arrêtés et retenus dans une chambre adjacente au Sérail. Les FSI sont accusées « de rapt, d'enlèvements », alors que fusent les appels à la justice, à la liberté. Les trois militants sont enfin relâchés en soirée, après trois heures d'interrogatoire.
Avant eux, Assaad Tebiane avait été arrêté pour vingt minutes, puis relâché. Au milieu des manifestants qu'il rejoint avec plus de détermination, il explique à L'Orient-Le Jour avoir été arrêté alors qu'il tentait de s'infiltrer au siège du CDR. « J'ai réussi à contourner le cordon sécuritaire et j'ai été arrêté par les gardiens du Sérail. On m'a demandé mes papiers d'identité. J'ai ensuite été reconduit dans une salle pour un interrogatoire. On cherchait à savoir ce que je tentais de faire, et ce que je faisais au sein de la manifestation », déclare-t-il, sans émotion. À la question de savoir s'il a subi des violences, il répond : « Juste un coup de crosse sur la figure et un autre au cou... » Une manifestante proche des organisateurs confie à son tour que le sit-in avait pour objectif secret de bizuter la réunion ministérielle.
« Ils viennent de me battre sans raison »
Si cet objectif n'a pas été atteint, l'arrestation ponctuelle de quelques contestataires a incité d'autres militants à rejoindre la manifestation. De nombreuses personnes, qui la suivaient à travers les médias et les réseaux sociaux, ont accouru en guise de solidarité avec les personnes arrêtées.
« Liberté pour Lucien », criaient en chœur trois femmes enthousiastes, venues se solidariser « avec un pacifiste, un homme exceptionnel ». Leurs rires spontanés rompent néanmoins avec la gravité qui avait prévalu plus tôt. Même contraste du côté des forces antiémeute, dont certains agents relâchent la garde, cigarette aux lèvres, sans toutefois se retirer des rangs.
Les tensions se sont en effet exacerbées une dernière fois à l'heure de la sortie des fonctionnaires du Grand Sérail, peu avant 19 heures, lorsque, voulant sécuriser la sortie, les agents repoussent violemment la rangée de civils, jusqu'au niveau de la bifurcation de la rue des Banques. Et même lorsque les femmes décident de se mettre aux avant-postes, elles ne sont pas épargnées par les coups. « J'ai vu de mes propres yeux les agents passer à l'acte et battre des femmes à coups de matraque. Je ne m'y attendais pas une seconde », affirme une jeune manifestante.
« Nos revendications sont normales, minimales, mais leur réponse est anormale et démesurée », lance Camille Féghali, étudiant à l'Iesav. Près de lui, Hassan, un jeune habitant de Hadeth, s'agite, indigné. « Ils viennent de me battre sans raison », dit-il, assurant n'avoir rien fait pour les provoquer. « Ils ont tabassé un autre, Bilal, lui bloquant la respiration », ajoute-t-il. Il s'agirait de l'activiste Bilal Allaou, qui aurait été transféré à l'hôpital de l'Université américaine de Beyrouth. « Faites savoir que son état est très critique », lance Paul Abi Rached, à l'adresse d'un organisateur, rédigeant un tweet à la hâte. Le blogueur Imad Bazzi, blessé au début de la manifestation, la rejoint ensuite, un bandage à la main, après avoir été soigné à l'Hôtel-Dieu. « Ce n'est rien de grave », dit-il à L'OLJ.
Surréaliste, la scène hier était tantôt marquée par des moments violents de répression, tantôt par des scènes d'échanges inattendus, comme celle par exemple d'un officier des FSI avec des contestataires, qu'il a rejoints spontanément. « Dites-moi comment vous pouvez tabasser une femme », lui crie avec un vif émoi une jeune activiste. Un jeune homme, plus calme, lui explique que le sit-in sera maintenu tant que les trois activistes arrêtés n'auront pas été relâchés. « Je comprends ce que vous dites, et je sais que vous comprenez ce que je dis », lui répond-il, avec une familiarité entendue.
« Ce qui s'est passé ce soir augure peut-être de quelque chose de bon, de meilleur », constate Ghida Farhat... Même si le slogan de « faire tomber le système », lancé hier, a éloigné le mouvement de son objectif premier, comme l'a constaté un jeune couple, qui a toutefois décidé de rejoindre la manifestation « par principe ». Un autre paradoxe que le mouvement devra résoudre dans les prochains jours, s'il souhaite réunir le maximum d'indignés, est celui des quelques slogans politiques proches du 8 Mars, qui tranchent avec sa vocation déclarée de non-alignement.
Il est déjà 19 heures et les échos du sit-in pacifique du mouvement civil « Vous puez », initié trois heures plus tôt devant le Grand Sérail, continuent de retentir, avec toujours plus de force, dans les rues du centre-ville.
La « petite vingtaine » de manifestants, qui avait été dispersée en milieu d'après-midi par les jets d'eau de la Défense civile, s'élargit progressivement. Les manifestants dénoncent la gestion corrompue et « puante » de la crise des déchets : le début du rassemblement a d'ailleurs coïncidé avec la réunion de la commission ministérielle, au siège du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), pour l'annonce des résultats de l'appel d'offres, finalement reportés.
Le report en soit a semblé bénin face au ras-le-bol général des protestataires, dégoûtés par une corruption qui se perpétue, frustrés par un système qu'ils ne savent par où percer. Leur colère s'est accentuée et leur nombre a quadruplé, lorsque la manifestation a dégénéré en violence. Tentant en effet de franchir les fils barbelés à l'entrée du Sérail, ils ont été repoussés par des jets d'eau. Certains continuaient toutefois de s'agripper, tant bien que mal, aux fils barbelés, que les forces de l'ordre tiraient de l'autre bout. « Les jets d'eau sont à la limite inoffensifs par rapport à ce qu'on a subi plus tard », confie un jeune à L'Orient-Le Jour.
Réprimés par les forces de l'ordre, les protestataires ont dû ensuite faire face, en début de soirée, à une rangée de forces antiémeute. Aux premières tentatives mises en échec des protestataires de démanteler les fils barbelés menant au siège du CDR, succèdent des tentatives verbales de persuader les agents des FSI de libérer trois de leurs camarades, Lucien Bou Rjeily, Wareth Sleiman et Hassan Chams, arrêtés et retenus dans une chambre adjacente au Sérail. Les FSI sont accusées « de rapt, d'enlèvements », alors que fusent les appels à la justice, à la liberté. Les trois militants sont enfin relâchés en soirée, après trois heures d'interrogatoire.
Avant eux, Assaad Tebiane avait été arrêté pour vingt minutes, puis relâché. Au milieu des manifestants qu'il rejoint avec plus de détermination, il explique à L'Orient-Le Jour avoir été arrêté alors qu'il tentait de s'infiltrer au siège du CDR. « J'ai réussi à contourner le cordon sécuritaire et j'ai été arrêté par les gardiens du Sérail. On m'a demandé mes papiers d'identité. J'ai ensuite été reconduit dans une salle pour un interrogatoire. On cherchait à savoir ce que je tentais de faire, et ce que je faisais au sein de la manifestation », déclare-t-il, sans émotion. À la question de savoir s'il a subi des violences, il répond : « Juste un coup de crosse sur la figure et un autre au cou... » Une manifestante proche des organisateurs confie à son tour que le sit-in avait pour objectif secret de bizuter la réunion ministérielle.
« Ils viennent de me battre sans raison »
Si cet objectif n'a pas été atteint, l'arrestation ponctuelle de quelques contestataires a incité d'autres militants à rejoindre la manifestation. De nombreuses personnes, qui la suivaient à travers les médias et les réseaux sociaux, ont accouru en guise de solidarité avec les personnes arrêtées.
« Liberté pour Lucien », criaient en chœur trois femmes enthousiastes, venues se solidariser « avec un pacifiste, un homme exceptionnel ». Leurs rires spontanés rompent néanmoins avec la gravité qui avait prévalu plus tôt. Même contraste du côté des forces antiémeute, dont certains agents relâchent la garde, cigarette aux lèvres, sans toutefois se retirer des rangs.
Les tensions se sont en effet exacerbées une dernière fois à l'heure de la sortie des fonctionnaires du Grand Sérail, peu avant 19 heures, lorsque, voulant sécuriser la sortie, les agents repoussent violemment la rangée de civils, jusqu'au niveau de la bifurcation de la rue des Banques. Et même lorsque les femmes décident de se mettre aux avant-postes, elles ne sont pas épargnées par les coups. « J'ai vu de mes propres yeux les agents passer à l'acte et battre des femmes à coups de matraque. Je ne m'y attendais pas une seconde », affirme une jeune manifestante.
« Nos revendications sont normales, minimales, mais leur réponse est anormale et démesurée », lance Camille Féghali, étudiant à l'Iesav. Près de lui, Hassan, un jeune habitant de Hadeth, s'agite, indigné. « Ils viennent de me battre sans raison », dit-il, assurant n'avoir rien fait pour les provoquer. « Ils ont tabassé un autre, Bilal, lui bloquant la respiration », ajoute-t-il. Il s'agirait de l'activiste Bilal Allaou, qui aurait été transféré à l'hôpital de l'Université américaine de Beyrouth. « Faites savoir que son état est très critique », lance Paul Abi Rached, à l'adresse d'un organisateur, rédigeant un tweet à la hâte. Le blogueur Imad Bazzi, blessé au début de la manifestation, la rejoint ensuite, un bandage à la main, après avoir été soigné à l'Hôtel-Dieu. « Ce n'est rien de grave », dit-il à L'OLJ.
Surréaliste, la scène hier était tantôt marquée par des moments violents de répression, tantôt par des scènes d'échanges inattendus, comme celle par exemple d'un officier des FSI avec des contestataires, qu'il a rejoints spontanément. « Dites-moi comment vous pouvez tabasser une femme », lui crie avec un vif émoi une jeune activiste. Un jeune homme, plus calme, lui explique que le sit-in sera maintenu tant que les trois activistes arrêtés n'auront pas été relâchés. « Je comprends ce que vous dites, et je sais que vous comprenez ce que je dis », lui répond-il, avec une familiarité entendue.
« Ce qui s'est passé ce soir augure peut-être de quelque chose de bon, de meilleur », constate Ghida Farhat... Même si le slogan de « faire tomber le système », lancé hier, a éloigné le mouvement de son objectif premier, comme l'a constaté un jeune couple, qui a toutefois décidé de rejoindre la manifestation « par principe ». Un autre paradoxe que le mouvement devra résoudre dans les prochains jours, s'il souhaite réunir le maximum d'indignés, est celui des quelques slogans politiques proches du 8 Mars, qui tranchent avec sa vocation déclarée de non-alignement.
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