Patricia Khoder
Samedi dernier, les femmes de la Ligue syriaque-orthodoxe ont organisé un déjeuner de bienfaisance dans le salon de l'église Saint-Jacques, à Sabtiyé, siège de l'évêché du Mont-Liban de la communauté. Le rassemblement était destiné aux plus démunis des syriaques-orthodoxes, la plus vieille communauté chrétienne d'Orient, donc du monde.
Il y avait autour du repas des Libanais syriaques-orthodoxes, certes, mais aussi des réfugiés syriens et irakiens de la communauté, en l'occurrence des chrétiens de Mossoul et de Ninive, arrachés à leur terre par l'État islamique, devant le silence honteux de la communauté internationale.
Chassés de chez eux, ils sont partis sans bagages, laissant tout derrière eux. Ils ont passé des mois au Kurdistan avant de venir au Liban.
Ils perçoivent le Liban comme « un pays chrétien » et « un pays où l'on parle arabe ». Mais ce n'est pas pour ces raisons qu'ils ont opté de venir au Liban et de vivre dans l'indigence. Ils sont venus à Beyrouth pour présenter une demande d'asile auprès du HCR dans l'espoir de recommencer leur vie ailleurs, « n'importe où, quelque part en Occident, dans un endroit sûr, où nos enfants auront un avenir et où on ne sera pas traités comme des citoyens de deuxième catégorie, où on ne sera pas persécutés parce qu'on est chrétien », disent-ils.
Même si c'est le deuxième Noël que ces Irakiens chrétiens passent hors de leur pays, ils sont toujours traumatisés par leur fuite de Mossoul et de la plaine de Ninive, un périple qu'ils peuvent décrire encore dans ses moindres détails.
Fady n'a pas encore trente ans. Il est venu au Liban il y a un an avec sa femme Yara, sa fille Mounia, âgée de six ans, et ses parents Jamil et Mounira.
La famille, originaire de Bartella, dans la plaine de Ninive, habite actuellement Dora et attend un éventuel départ pour un pays occidental. C'est à peine si elle arrive à joindre les deux bouts.
« J'étais employé de la compagnie d'électricité et nous avions des terrains. Je n'ai pas eu le temps d'aller à la banque pour retirer mon argent avant de partir », raconte Jamil, le père de Fady.
« Nous avons toujours été persécutés même sous Saddam. Mais nous quittions le pays en silence, ce n'était pas l'exode de l'été 2014 », dit Fady.
« Nous subissions des pressions depuis l'école, et puis à l'université. Mes camarades de classe me demandaient pourquoi je n'assistais pas aux cours de religion islamique, pourquoi je ne me couvrais pas les cheveux. On nous désignait par mécréants... », soupire Yara, sa femme, une jolie brune aux grands yeux noirs.
« Quand mon frère a quitté Bartella pour le Canada il y a cinq ans, le prêtre lui a demandé qui défendra l'église si tu partiras ? L'été 2014, nous avons tous pris la route... le prêtre avec nous », lance Fady, un brin de cynisme dans la voix. Et de poursuivre : « Ne pensez surtout pas que ce sont des Afghans ou des Tchétchènes qui nous ont chassé de chez nous ; ce sont nos voisins, des sunnites irakiens qui sont devenus tout à coup des miliciens de l'État islamique. »
« Je veux vivre dans un pays où l'on respecte les droits de l'homme et le droit de culte. Je sais que je ne reverrai plus jamais Bartella et les vieux monastères de Ninive. Mais où que j'aille, même à mille lieux de l'Irak, je porterai mon église dans le cœur », martèle-t-il.
Fady est résolu. Sa fille Mounia aura un meilleur avenir que le sien, même si au Liban il faut vivre dans l'indigence en attendant le départ.
« Accepter toutes les humiliations pour rester chez nous »
Hanan est originaire de Mossoul. La cinquantaine, grande et mince, elle a de grands yeux verts et des mains fines et blanches comme celles d'une pianiste.
« J'étais prof de catéchisme. J'assurai aussi un service à l'église. Je suis venue au Liban, il y a un an, avec mes deux fils âgés de 20 et de 26 ans. Tous les deux allaient à l'université. Aujourd'hui, ils sont au chômage au Liban. Mon mari est mort il y a quatre ans. Il était commerçant. Il a succombé à une crise cardiaque quand l'un de ses amis et voisin à la rue marchande, un chrétien de la ville, a été enlevé contre rançon, raconte-t-elle. À l'école et à l'université, ils obligeaient mes fils à réciter des versets du Coran... Nous avons tout accepté pour rester chez nous. Depuis quelques années, à Mossoul, les femmes chrétiennes sortaient en abaya pour avoir la paix... Ce n'est que sous la sérieuse menace de la mort que nous sommes partis », dit-elle.
« Certains de nos couvents et églises datent de plus d'un millier d'années, recèlent des reliques de saints... Ils nous ont obligé de partir et de tout laisser », martèle-t-elle.
« Depuis plusieurs dizaines d'années, nous avons arrêté de donner des prénoms chrétiens à nos enfants, optant pour des prénoms arabes, espérant les protéger du racisme à l'école et ensuite au travail », soupire-t-elle.
Et d'ajouter : « À Mossoul, les musulmans refusaient d'acheter des terrains, des commerces ou des maisons revenant à des chrétiens. Ils disaient qu'un jour, nous aurons tout ça gratuitement. Et c'est ce qui est arrivé. »
Hanan, qui habite actuellement Sin el-Fil et qui parle anglais, sait qu'elle quittera le Moyen-Orient bientôt. Même s'il lui reste de la famille ayant fui au Kurdistan et à Bagdad, elle pense surtout à l'avenir de ses fils. « Nous avons dépensé toutes nos économies au Liban. J'ai été renversée par une voiture, j'ai eu des fractures et une infection aux vertèbres... Il a fallu payer mon traitement à l'hôpital », raconte-t-elle encore.
Nagham et Raymond sont venus au déjeuner avec leurs deux enfants, Daniel, cinq ans, et Chris, trois ans. Les petits se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Ils ont la peau mate, les cheveux lisses bruns et de grands yeux vert olive.
Ils sont originaires de Bartella. « Mes parents ont quitté la plaine de Ninive pour Bagdad, et cela même si la ville n'est pas sûre. Ce sont eux qui m'aident à payer le loyer au Liban », raconte Nagham qui paie 500 dollars par mois pour une chambre à Sin el-Fil. Elle confie également : « Le mois dernier, nous n'avons pu payer. Mon mari est quasiment sans emploi et tout est cher ici. »
« Nous sommes venus au Liban pour pouvoir partir ensuite à l'étranger. Je suis garagiste et je parle arabe. Vivre au Liban est plus facile pour moi que d'être en Turquie ou au Kurdistan. Je ne parle ni turc ni kurde... Et puis ici, il y a des chrétiens, je me sens en sécurité », dit Raymond, faisant allusion aux massacres perpétrés sous l'Empire ottoman et sous le mandat britannique contre les chrétiens en Turquie et en Irak. « Je veux un autre avenir pour mes fils », dit-il.
Dalal, la quarantaine, est, elle, originaire d'Alep. Elle est venue au déjeuner avec plusieurs membres de sa famille et ses deux filles Nour, huit ans, et Carine, six ans.
Elle a vécu durant trois ans, depuis son arrivée de Syrie, avec des parents, à Aoukar. Le mois dernier elle a déménagé dans une chambre de concierge avec son mari et ses enfants à Bourj Hammoud.
« Dieu pourvoit à tout », dit-elle, retenant ses larmes. Elle sourit quand elle s'adresse à ses enfants ou quand elle parle de ses filles, qui portent pour l'occasion des bandeaux à l'effigie du père Noël. « Elles sont les premières de leur classe. Elles sont contentes à l'école au Liban. Et elles me rendent très fière », dit-elle mettant l'une de ses petites sur ses genoux.
Appel aux dons
Fin du déjeuner. La présidente de la Ligue des femmes syriaques-orthodoxes, Siham Zouki, remercie les donateurs qui ont rendu possible cette rencontre, et indique qu'il y a des vêtements, quelques couvertures, un frigo d'occasion, deux tapis, un canapé et deux chaufferettes pour ceux qui en ont besoin. Les femmes et les hommes se dirigent vers elle. La demande est de loin plus grande que ce qu'il y a à donner.
Mme Zouki annonce également aussi que toutes les personnes présentes peuvent déjeuner deux fois par semaine auprès de la Société Saint-Vincent-de-Paul à Sin el-Fil.
Irakiens ou Syriens, ils avaient des vies ordinaires dans leur pays. Des maisons, des terrains, des métiers et des rêves. Minoritaires dans leurs pays, ils se rendaient dans leurs églises pour prier sans jamais déranger personne, acceptant d'être marginalisés, notamment politiquement. Cela juste pour pouvoir rester sur leur terre, berceau du christianisme. Aujourd'hui, ils n'ont plus rien et ne sont pas prêts à tendre la main pour mendier. Ils vivent dans une misère discrète, qu'ils ne dévoilent que devant ceux qui se rendent régulièrement chez eux.
Réfugiés chrétiens d'Irak et de Syrie, ils n'ont plus rien, sauf un seul espoir, celui de partir à l'étranger, dans un pays occidental où ils vivront en sécurité et où leurs enfants auront un meilleur avenir.
En attendant, vous pouvez rendre leur séjour plus humain au Liban. Vous pouvez donner des vêtements, des couvertures, des couettes, des tapis, des chaufferettes, de vieux meubles, de grosses pièces d'électroménager d'occasion, frigo ou lave-linge ou autres. Vous pouvez offrir des jouets ou des caisses alimentaires. Vous pouvez parrainer une famille ou un enfant. Vous pouvez aussi donner de l'argent. Toute aide, même la moindre, est la bienvenue.
Pour vos dons, contactez Siham Zouki, présidente de la Ligue des femmes syriaques-orthodoxes au 03 532 277.
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