En visite à Beyrouth la semaine dernière, le chef du bureau de la défense du Tribunal spécial pour le Liban, François Roux, a dégagé une certaine sérénité dans un entretien accordé à L'Orient-Le Jour.
Sa sérénité, il la doit d'abord, dit-il, aux jeunes stagiaires venus prendre part en « grand nombre » à la conférence qu'il a donnée, mercredi dernier, à la Maison de l'avocat. Leur « enthousiasme » serait une reconnaissance du rôle inédit de ce tribunal dans la lutte contre l'impunité au Liban et de sa contribution « passionnante » à l'évolution du droit pénal international.
Le TSL est notamment la première juridiction internationale à instaurer un bureau de la défense autonome. Une avancée que M. Roux a mis au service d'un projet inédit : la création en 2012 d'une Rencontre (annuelle) des bureaux de la défense auprès des juridictions pénales internationales. Jusque-là, ce genre de plateforme d'échanges avait été l'apanage des procureurs, rappelle-t-il. Cette année, la cinquième « Rencontre » doit se tenir dans la salle des procès de Nuremberg, et sera l'occasion de lancer le premier code de déontologie commun à l'ensemble des avocats exerçant devant les tribunaux pénaux internationaux.
François Roux a aussi d'autres raisons de tempérer l'attitude d'objecteur énergique qu'il avait souvent eue pour dénoncer les difficultés encourues par les équipes de la défense chargées de mener leur contre-enquête auprès des autorités libanaises : les réticences de celles-ci à coopérer avec les avocats de la défense est un épisode révolu. « Le protocole d'accord avec l'ancien ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, a réellement permis à la défense d'avancer dans ses enquêtes », relève-t-il. La communication menée par le chef du bureau de la défense – qui se rend régulièrement au Liban – aurait ainsi porté ses fruits, comme il n'omet pas de le signaler accessoirement.
(Pour mémoire: Roux : Le TSL est le premier tribunal pénal international spécialisé dans les crimes terroristes)
« Optimisme » sur la désignation de Jreissati Et c'est sans se départir de son sourire qu'il fait une projection « optimiste » des rapports entre le TSL et le nouveau ministre de la Justice, Salim Jreissati, lui-même d'ailleurs ancien consultant de la défense. « J'ai toujours eu d'excellents rapports avec tous les ministres de la Justice qui se sont succédé jusque-là, il n'y a aucune raison que cela change », répond le juriste, dont la visite a inclus, outre un entretien avec le ministre en question, une rencontre avec le chef de l'État, le Premier ministre et le directeur des Forces de sécurité intérieure.
Pour ce qui est des velléités déclarées du ministre de réexaminer de près les dépenses du TSL, M. Roux affirme qu'il serait « tout à fait légitime que le Liban veuille vérifier comment les sommes importantes qu'il verse sont employées », mais précise que cette « vérification » exclut toute « immixtion dans la procédure judiciaire ». Il confie par ailleurs que le Liban a effectivement versé sa contribution annuelle au budget du TSL pour 2016, même s'il élude la question de savoir si ce versement avait été fait in extremis, après la présidentielle. « Le Liban n'a jamais été défaillant. Pour ce qui est des délais, c'est une autre affaire », répond-il.
« Au cœur du procès » À l'heure actuelle, tout l'enjeu est à La Haye, où « la défense considère que l'on vient de rentrer au cœur du procès de l'affaire Le Procureur contre Ayyash et autres ». En effet, même si l'accusation n'a toujours pas fini de présenter sa thèse depuis l'ouverture du procès en janvier 2014, les audiences portent désormais sur ce que la défense considère comme le nœud de l'affaire, à savoir la vérification de la pertinence des expertises liées aux réseaux téléphoniques : « Il s'agit pour le procureur de présenter clairement ses méthodes de travail et d'expliquer comment il a fait pour aboutir à ses conclusions, un exposé que la défense passe au crible pour détecter les failles dans les thèses du procureur et les expertises qu'il a sollicitées », explique M. Roux. En dépit de leur caractère technique, ces débats, qui doivent se poursuivre dans les mois qui viennent, promettent de devenir « de plus en plus intéressants », relève-t-il.
« Un débat devant les juges plutôt que les armes à la main » Il ne manque pas de signaler – à l'adresse d'un public libanais de moins en moins focalisé sur le TSL – que c'est le débat en cours devant le TSL qui est voué à apporter à ce public des réponses à ses questionnements juridiques et/ou politiques sur le fond ou la forme du procès de l'assassinat de Rafic Hariri. « La vertu du procès est de permettre que tout soit débattu. » Et le débat en cours reste toujours ouvert à toutes les thèses. L'on attend encore la plaidoirie de la défense et celle des victimes, cela sans compter que l'accusation pourrait encore explorer de nouvelles pistes sur de nouveaux accusés ou commanditaires potentiels – à condition toutefois qu'elle en détienne les preuves, dont l'admissibilité est particulièrement stricte devant les tribunaux internationaux. « Si le procureur estime qu'il pourrait poursuivre des personnes, mais aussi des organisations à qui ces personnes appartiendraient, il peut le faire et a les moyens de le faire », affirme M. Roux.
Le débat contradictoire aurait en soit une utilité pour la paix sociale distincte de la finalité de rendre justice, qui est celle du verdict final. « Il vaut mieux qu'un débat ait lieu devant les juges que les armes à la main », dit-il. « La décision judiciaire sera l'achèvement d'un débat où toutes les hypothèses, sans exception, auront été examinées. Dès lors, et il faut que le public le sache, nous serons tous sans exception en état d'accepter la décision. »
(Pour mémoire: François Roux : Personne n’est au-dessus des lois )
Un retard justifié et nécessaire Ainsi, la lenteur du procès, justifiée par la mixité des procédures romano-germaniques et anglo-saxonnes difficile à équilibrer, serait de surcroît un gage du sérieux du débat. Parce qu'au final, lorsqu'un jugement sera rendu, « personne ne pourra dire qu'il y a eu un procès expéditif (...). Personne dans un camp ni dans l'autre ne pourra jamais reprocher au TSL de n'avoir pas pris le temps de juger, ni d'avoir failli à l'impératif d'un procès équitable, contradictoire et public », assure M. Roux. Ce faisant, le chantage de la stabilité contre la justice – un chantage dont le Liban est coutumier – ne pourra plus jouer contre le verdict final. Parce que renier ce verdict n'aurait d'autre motif que celui de pérenniser « le cycle des assassinats politiques, qui ont longtemps été un moyen de faire la politique au Liban ». Du reste, les prétextes à contester la légitimité du TSL se sont réduits en peau de chagrin. « Toute la controverse autour de la légitimité du tribunal a été tranchée », rappelle M. Roux. Et ceux qui continuent d'attaquer le TSL le reconnaissent implicitement.
L'outrage, une reconnaissance implicite du TSL C'est ce qu'il aurait décelé dans la manière dont les deux médias libanais, al-Jadeed et le quotidien al-Akhbar, ont réagi aux poursuites engagées contre eux par le TSL et leur condamnation subséquente au versement d'une amende pour outrage au tribunal l'année dernière – une décision qu'al-Akhbar s'abstient jusqu'à l'heure d'exécuter. « Les journalistes en question avaient imputé au TSL la responsabilité des fuites (de listes de témoins potentiels, NDLR) qu'ils n'auraient fait que reprendre. Ils nous ont appelé, à juste titre d'ailleurs, à faire le ménage chez nous. Ce qui, paradoxalement, est une manière de reconnaître le tribunal. » Le ménage a donc été fait au sein du TSL? « Je ne crois pas qu'il y ait eu d'autres fuites. Vous avez votre réponse », dit-il. Il réitère enfin ses réserves sur l'opportunité des poursuites engagées en l'espèce contre les journalistes.
Moustapha Badreddine Il s'est toutefois abstenu de tout commentaire sur l'autre affaire notoire intervenue l'année dernière dans l'affaire Ayyash et autres, à savoir le décès d'un des accusés-clés, Moustapha Badreddine, dont le Hezbollah a annoncé la mort aux combats en Syrie. En juillet dernier, le TSL avait finalement décidé d'admettre sa mort et de mettre un terme à son procès. François Roux se contente de rappeler que la cour d'appel a jugé que « des preuves suffisantes avaient été apportées (...) pour établir la mort de Moustapha Badreddine », tranchant ainsi le débat qui avait eu lieu entre les juges de la chambre de première instance – qui avaient décidé de la poursuite du procès dans l'attente de plus amples informations.
Le TSL est notamment la première juridiction internationale à instaurer un bureau de la défense autonome. Une avancée que M. Roux a mis au service d'un projet inédit : la création en 2012 d'une Rencontre (annuelle) des bureaux de la défense auprès des juridictions pénales internationales. Jusque-là, ce genre de plateforme d'échanges avait été l'apanage des procureurs, rappelle-t-il. Cette année, la cinquième « Rencontre » doit se tenir dans la salle des procès de Nuremberg, et sera l'occasion de lancer le premier code de déontologie commun à l'ensemble des avocats exerçant devant les tribunaux pénaux internationaux.
François Roux a aussi d'autres raisons de tempérer l'attitude d'objecteur énergique qu'il avait souvent eue pour dénoncer les difficultés encourues par les équipes de la défense chargées de mener leur contre-enquête auprès des autorités libanaises : les réticences de celles-ci à coopérer avec les avocats de la défense est un épisode révolu. « Le protocole d'accord avec l'ancien ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, a réellement permis à la défense d'avancer dans ses enquêtes », relève-t-il. La communication menée par le chef du bureau de la défense – qui se rend régulièrement au Liban – aurait ainsi porté ses fruits, comme il n'omet pas de le signaler accessoirement.
(Pour mémoire: Roux : Le TSL est le premier tribunal pénal international spécialisé dans les crimes terroristes)
« Optimisme » sur la désignation de Jreissati Et c'est sans se départir de son sourire qu'il fait une projection « optimiste » des rapports entre le TSL et le nouveau ministre de la Justice, Salim Jreissati, lui-même d'ailleurs ancien consultant de la défense. « J'ai toujours eu d'excellents rapports avec tous les ministres de la Justice qui se sont succédé jusque-là, il n'y a aucune raison que cela change », répond le juriste, dont la visite a inclus, outre un entretien avec le ministre en question, une rencontre avec le chef de l'État, le Premier ministre et le directeur des Forces de sécurité intérieure.
Pour ce qui est des velléités déclarées du ministre de réexaminer de près les dépenses du TSL, M. Roux affirme qu'il serait « tout à fait légitime que le Liban veuille vérifier comment les sommes importantes qu'il verse sont employées », mais précise que cette « vérification » exclut toute « immixtion dans la procédure judiciaire ». Il confie par ailleurs que le Liban a effectivement versé sa contribution annuelle au budget du TSL pour 2016, même s'il élude la question de savoir si ce versement avait été fait in extremis, après la présidentielle. « Le Liban n'a jamais été défaillant. Pour ce qui est des délais, c'est une autre affaire », répond-il.
« Au cœur du procès » À l'heure actuelle, tout l'enjeu est à La Haye, où « la défense considère que l'on vient de rentrer au cœur du procès de l'affaire Le Procureur contre Ayyash et autres ». En effet, même si l'accusation n'a toujours pas fini de présenter sa thèse depuis l'ouverture du procès en janvier 2014, les audiences portent désormais sur ce que la défense considère comme le nœud de l'affaire, à savoir la vérification de la pertinence des expertises liées aux réseaux téléphoniques : « Il s'agit pour le procureur de présenter clairement ses méthodes de travail et d'expliquer comment il a fait pour aboutir à ses conclusions, un exposé que la défense passe au crible pour détecter les failles dans les thèses du procureur et les expertises qu'il a sollicitées », explique M. Roux. En dépit de leur caractère technique, ces débats, qui doivent se poursuivre dans les mois qui viennent, promettent de devenir « de plus en plus intéressants », relève-t-il.
« Un débat devant les juges plutôt que les armes à la main » Il ne manque pas de signaler – à l'adresse d'un public libanais de moins en moins focalisé sur le TSL – que c'est le débat en cours devant le TSL qui est voué à apporter à ce public des réponses à ses questionnements juridiques et/ou politiques sur le fond ou la forme du procès de l'assassinat de Rafic Hariri. « La vertu du procès est de permettre que tout soit débattu. » Et le débat en cours reste toujours ouvert à toutes les thèses. L'on attend encore la plaidoirie de la défense et celle des victimes, cela sans compter que l'accusation pourrait encore explorer de nouvelles pistes sur de nouveaux accusés ou commanditaires potentiels – à condition toutefois qu'elle en détienne les preuves, dont l'admissibilité est particulièrement stricte devant les tribunaux internationaux. « Si le procureur estime qu'il pourrait poursuivre des personnes, mais aussi des organisations à qui ces personnes appartiendraient, il peut le faire et a les moyens de le faire », affirme M. Roux.
Le débat contradictoire aurait en soit une utilité pour la paix sociale distincte de la finalité de rendre justice, qui est celle du verdict final. « Il vaut mieux qu'un débat ait lieu devant les juges que les armes à la main », dit-il. « La décision judiciaire sera l'achèvement d'un débat où toutes les hypothèses, sans exception, auront été examinées. Dès lors, et il faut que le public le sache, nous serons tous sans exception en état d'accepter la décision. »
(Pour mémoire: François Roux : Personne n’est au-dessus des lois )
Un retard justifié et nécessaire Ainsi, la lenteur du procès, justifiée par la mixité des procédures romano-germaniques et anglo-saxonnes difficile à équilibrer, serait de surcroît un gage du sérieux du débat. Parce qu'au final, lorsqu'un jugement sera rendu, « personne ne pourra dire qu'il y a eu un procès expéditif (...). Personne dans un camp ni dans l'autre ne pourra jamais reprocher au TSL de n'avoir pas pris le temps de juger, ni d'avoir failli à l'impératif d'un procès équitable, contradictoire et public », assure M. Roux. Ce faisant, le chantage de la stabilité contre la justice – un chantage dont le Liban est coutumier – ne pourra plus jouer contre le verdict final. Parce que renier ce verdict n'aurait d'autre motif que celui de pérenniser « le cycle des assassinats politiques, qui ont longtemps été un moyen de faire la politique au Liban ». Du reste, les prétextes à contester la légitimité du TSL se sont réduits en peau de chagrin. « Toute la controverse autour de la légitimité du tribunal a été tranchée », rappelle M. Roux. Et ceux qui continuent d'attaquer le TSL le reconnaissent implicitement.
L'outrage, une reconnaissance implicite du TSL C'est ce qu'il aurait décelé dans la manière dont les deux médias libanais, al-Jadeed et le quotidien al-Akhbar, ont réagi aux poursuites engagées contre eux par le TSL et leur condamnation subséquente au versement d'une amende pour outrage au tribunal l'année dernière – une décision qu'al-Akhbar s'abstient jusqu'à l'heure d'exécuter. « Les journalistes en question avaient imputé au TSL la responsabilité des fuites (de listes de témoins potentiels, NDLR) qu'ils n'auraient fait que reprendre. Ils nous ont appelé, à juste titre d'ailleurs, à faire le ménage chez nous. Ce qui, paradoxalement, est une manière de reconnaître le tribunal. » Le ménage a donc été fait au sein du TSL? « Je ne crois pas qu'il y ait eu d'autres fuites. Vous avez votre réponse », dit-il. Il réitère enfin ses réserves sur l'opportunité des poursuites engagées en l'espèce contre les journalistes.
Moustapha Badreddine Il s'est toutefois abstenu de tout commentaire sur l'autre affaire notoire intervenue l'année dernière dans l'affaire Ayyash et autres, à savoir le décès d'un des accusés-clés, Moustapha Badreddine, dont le Hezbollah a annoncé la mort aux combats en Syrie. En juillet dernier, le TSL avait finalement décidé d'admettre sa mort et de mettre un terme à son procès. François Roux se contente de rappeler que la cour d'appel a jugé que « des preuves suffisantes avaient été apportées (...) pour établir la mort de Moustapha Badreddine », tranchant ainsi le débat qui avait eu lieu entre les juges de la chambre de première instance – qui avaient décidé de la poursuite du procès dans l'attente de plus amples informations.
Source & Link : L'orient le jour
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