Jeanine Jalkh
Annoncée il y a quelques semaines oralement au cours du procès, la décision de joindre le dossier du cinquième accusé, Hassan Habib Merhi, à celui des quatre autres dans l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri a été officiellement prise et consacrée dans un document écrit. Elle a été au centre d'une conférence de presse tenue hier à Beyrouth par le porte-parole du Tribunal spécial pour le Liban, Marten Youssef.
Adoptée il y a deux jours par la chambre de première instance du TSL, cette décision, qui entraîne systématiquement la suspension de facto du procès, vise principalement à accorder aux conseils de Merhi un laps de temps suffisant pour se familiariser avec le dossier, examiner les données remises par l'accusation et effectuer leur enquête. Elle est justifiée par ailleurs par un objectif d'efficacité de la procédure qui devrait profiter à l'ensemble des parties, assurent les juges.
Le document publié par la chambre de première instance expose les motifs de la décision et ses considérants, mettant en exergue le principe fondamental qui a guidé la prise de cette décision, à savoir la nécessité d'accélérer la procédure judiciaire tout en respectant les droits des accusés.
En joignant les deux dossiers – celui en base duquel sont actuellement jugés Badreddine, Ayache, Oneissi et Sabra, et celui de Hassan Merhi, dont l'acte d'accusation a été soumis bien plus tard – la chambre entend ainsi économiser temps, efforts et ressources financières et humaines, d'autant qu'il s'agit d'un même crime avec des « preuves similaires à 90 % » dans les deux cas.
« Un procès unique peut garantir une approche consistante dans l'évaluation des preuves, de l'enquête, des verdicts et des sentences », précisent les juges dans leur mémoire.
Soucieuse par ailleurs de ne pas se soustraire à la règle sacro-sainte de l'égalité des armes entre l'accusation et la défense, notamment en termes de moyens octroyés aux deux parties, la chambre de première instance a ainsi décidé d'accorder aux conseils de
Merhi un temps supplémentaire afin de lui permettre de rattraper la procédure en cours. Ces derniers devraient toutefois soumettre prochainement le « temps exact » dont ils auront besoin, et qui devrait ne pas dépasser la date approximative – mais sujette à révision – de la reprise du procès, soit « début ou mi-mai », précise la chambre de première instance
« Tous les arguments juridiques présentés par les parties (accusation, défense et représentants des victimes) au sujet de la jonction des deux dossiers indiquent que les désavantages liés à des procès séparés sont de loin plus nombreux que celui d'un procès unique » (après jonction des dossiers), précisent les juges.
Ces derniers reprennent d'ailleurs l'un des arguments financiers favorables à cette jonction, à savoir qu'un nouveau procès risque de coûter jusqu'à 10 millions d'euros supplémentaires, dont le Liban, rappelons-le, paie la moitié.
En outre, la jonction des deux dossiers permettra, arguent le juges, « une gestion efficace de la justice », un raisonnement qui reviendra souvent dans le texte de la décision qui évoque notamment « une meilleure protection des victimes et des témoins, et une sécurité physique et mentale plus accrue », ces derniers n'ayant plus besoin d'effectuer plusieurs voyages et de réitérer leur témoignage.
Youssef : Accomplir le mandat à la lettre
Lors de sa conférence de presse tenue hier à Beyrouth, le porte-parole du TSL, Marten Youssef, spécialement dépêché au Liban pour répondre aux questions des journalistes relatives à cette décision, a expliqué les principaux fondements qui ont inspiré cette décision, annonçant par la même occasion la tenue d'une conférence de mise en état le 4 mars prochain pour discuter de sa mise à exécution, des délais nécessaires et de l'organisation des prochaines étapes, en vue de la reprise du procès à proprement parler.
Parmi les idées actuellement envisagées, la possibilité que le procès reprenne au mois de mai sur un rythme toutefois un peu différent : à savoir trois jours de procès suivis ou cumulés à trois autres jours de relâche que les conseils de M. Merhi pourraient utiliser à bon escient et poursuivre, en parallèle, leur examen du dossier.
Une sorte de compromis qui bénéficierait à la défense en termes de temps à gagner, mais qui ne retarderait pas outre mesure la reprise des audiences.
Le porte-parole rappelle à ce propos que la suspension momentanée du procès devrait notamment permettre aux conseils de M. Merhi de digérer les « 336 000 pages de documents qui lui ont été remis, dont 66 000 ont déjà étaient traduits ».
M. Marten a également rappelé que d'ici à la reprise des audiences, trois témoins, initialement prévus dans la foulée du procès entamé en janvier dernier mais qui, « pour des raisons logistiques », n'avaient pu être entendus, pourraient être conviés à le faire au cours du mois de mars.
Autant de points qui seront à l'ordre du jour de la réunion de mise en état, mardi prochain, pour en discuter avec les parties, afin de définir une feuille de route et un plan de travail pour les semaines à venir.
C'est d'ailleurs la question des fonctions de « mise en état » dévolues à l'origine au juge de la mise en état, puis reconquises en partie par la chambre de première instance, qui suscitera plusieurs interrogations de la part des journalistes présents.
Une division des tâches que le porte-parole du tribunal justifiera, à l'instar des juges qui évoquent ce point dans leur décision, en se référant aux règles de procédure et de preuve du TSL qui prévoient une substitution possible de la chambre au juge de la mise en état, dans des cas et des tâches bien précis.
Quant à la question de savoir s'il était convaincu que le procès Hariri permettra, comme proclamé au départ, de mettre véritablement fin à l'impunité, au regard du fléau des attentats à la voiture piégée au Liban, Marten Youssef répond par des arguments nuancés. Il rappelle à ce propos l'existence de deux écoles de pensée à ce sujet : « L'école qui croit qu'effectivement l'idéal serait de mettre fin à l'impunité, et celle, plus réaliste, qui prend en compte l'obstacle majeur auquel font face les tribunaux internationaux, à savoir le fait qu'ils ne possèdent ni police ni un pouvoir de décision qui est propre aux gouvernements. »
« Par conséquent, dit-il, les partisans de la seconde école aspirent, tout au moins, à faire la lumière sur la vérité dans le cadre d'un processus transparent, en envoyant un message aux criminels futurs de manière à contribuer partiellement à cette lutte contre l'impunité. Pour ce qui est du TSL, il faut savoir que son objectif premier est d'accomplir à la lettre son mandat », conclut M. Marten.