Béchara Maroun
À l'heure où le débat sur le mariage homosexuel et l'adoption homoparentale fait rage dans le monde, et où de nombreux homosexuels libanais ont déjà franchi le pas et se sont mariés à l'étranger, il semblerait que la situation des homosexuels au pays du Cèdre évolue à contre-courant, menaçant de faire perdre à Beyrouth son statut de « capitale gay du Moyen-Orient ».
Cela faisait déjà un bon bout de temps que nous n'avions plus entendu parler d'homophobie au Liban, au point même de croire que l'infâme article 534 du code pénal libanais qui punit les relations sexuelles « contre nature » était définitivement tombé en désuétude et que les gays du pays jouissaient d'une liberté relativement plus acceptable que celle des autres pays de la région. Mais la descente effectuée par la police municipale de Dekouané dans un club gay en mai 2013 et l'arrestation de ressortissants syriens que l'on a déshabillé au siège municipal, et l'arrestation de 27 personnes dans un hammam gay de Hamra samedi dernier, dont une vingtaine sont toujours en détention dans la prison de Zahlé, ont douloureusement rappelé le contraire. Et s'il faudra du temps pour que notre société gomme son intolérance et sa haine, il serait peut-être temps, du moins pour l'instant, d'amender l'article 534 du code pénal, qui a été récemment utilisé par les responsables du poste de police Hobeiche pour appréhender les 27 détenus de Hammam el-Agha, accusés de « pédérastie » (« liwat »).
Pour maître Nizar Saghieh, avocat et directeur exécutif de l'Agenda juridique, « la progression la plus importante sur ce sujet a été faite au niveau de la justice, avec deux magistrats refusant d'appliquer l'article 534 du code pénal pour condamner des homosexuels, estimant qu'une relation homosexuelle n'est pas une relation contre nature ». « En effet, explique M. Saghiyeh, la loi n'a pas défini ce qui est contre nature, comme si la législation a délégué au juge le pouvoir d'interpréter le texte à sa façon. Tout dépend donc du juge, et nous avons besoin de cumuler des décisions judiciaires similaires pour changer la loi et la rendre désuète, de sorte qu'elle ne peut plus être appliquée à des homosexuels. C'est le seul moyen de faire avancer les choses, car espérer un amendement de la loi au Parlement à l'heure actuelle est presque impossible et même inimaginable pour des raisons politiques et même religieuses. »
Le temps « des prises de position courageuses »
Commentant le raid effectué samedi sur Hammam el-Agha, Nizar Saghiyeh a assuré que l'arrestation était illégale puisque la peine purgée selon l'article 534 ne peut dépasser un an de prison, ce qui donne le droit aux suspects de rester en liberté jusqu'à ce qu'ils soient déférés devant le juge. « Il s'agit donc d'une première infraction de la loi surtout que l'arrestation s'est faite de façon sommaire et que le propriétaire du hammam, les employés et la clientèle ont tous été arrêtés alors qu'ils ont tous des situations légales différentes. Le procureur général a manqué de nuances », ajoute l'avocat, qui note une différence entre les juges et les procureurs généraux « qui sont moins indépendants et qui représentent généralement la classe politique ».
En effet, les 27 détenus avaient été arrêtés au poste de police de Hobeiche pendant plus de 4 jours avant que des mandats d'arrêt soient également émis contre eux. 6 détenus ont pu alors quitter la prison sous caution alors que le restant des détenus avait été transféré à la prison de Zahlé, n'ayant pu payer la somme requise pour la caution. Les 27 homosexuels seront tous jugés aujourd'hui à Beyrouth et devraient écoper d'une amende que l'ONG Helem va pouvoir payer après une campagne de collecte de fonds lancée sur les réseaux sociaux. La semaine dernière, une source des FSI haut placée, avait indiqué à L'Orient-Le Jour que les 27 personnes avaient par ailleurs avoué être homosexuelles et le contenu de leurs téléphones portables avait certifié « ce crime ». Une autre source proche du dossier note toutefois que quelques personnes n'ont pas avoué être homosexuelles.
« Même l'article 534 ne condamne pas l'orientation sexuelle, rappelle Nizar Saghiyé. Si quelqu'un avoue qu'il est gay, on ne peut pas l'arrêter. Il faut qu'il y ait un acte et qu'il soit prouvé. Voilà une autre infraction commise lors du raid du hammam. » Et d'ajouter : « Certains ont également été condamnés selon l'article 531 pour atteinte aux bonnes mœurs, mais cela pourrait par exemple être appliqué si une relation sexuelle a été faite en public, et encore faut-il le prouver ! Nous traversons une période difficile où l'intolérance se répand partout dans la région. Nous attendions de l'État qu'il envoie un message de tolérance. Ce qui a été fait n'est pas digne d'un État, ce n'est pas de cette manière que l'on traite des minorités. L'État adopte malheureusement la même idéologie que ceux qu'il tente de combattre, et il est temps de voir des prises de position courageuses de la part de nos responsables à ce sujet. »
Une levée de boucliers religieuse
Si Nizar Saghiyeh assure que le Parlement n'est pas la bonne voie pour arriver au changement voulu, le député Ghassan Moukheiber, rapporteur de la commission parlementaire des Droits de l'homme, a également estimé qu'« il serait inopportun de tenter une modification législative actuellement », et que « ce n'est pas le moment de proposer un tel projet ». « Ce serait malvenu connaissant l'ambiance du Parlement, surtout que ce sujet dépend beaucoup des autorités religieuses qui ont étendu leur emprise et leur influence et qui refusent toute acceptation de l'homosexualité, ajoute M. Moukheiber. En commission parlementaire, j'ai vu combien il est difficile de faire passer la loi sur la violence contre les femmes. On a dû faire face à une levée de boucliers religieuse et ce sera encore plus difficile avec l'homosexualité. »
Et de poursuivre : « Je crains que toute tentative de modification de la législation conduise à un texte plus répressif, alors qu'une certaine jurisprudence avait interprété le texte correctement de manière restrictive contrairement aux pratques policières répressives. Ces pratiques policières ont même été dénoncées par l'ordre des avocats et l'ordre des médecins qui ont assimilé le test anal à la torture. »
« L'histoire a montré comment certaines lois, comme la loi sur la liberté de l'association, régresse au lieu d'évoluer, explique le député. Depuis 1909, cette loi devient de plus en plus mauvaise et restrictive. Il faut donc laisser faire une pratique jurisprudentielle plus libérale. Il faut également réaliser que la société libanaise est fondamentalement influencée par l'éthique religieuse. Le changement de la loi ne peut venir que dans la foulée d'un changement social. »
Entre-temps, les gays sont presque partout. N'en déplaise aux aveugles.
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