Des taxis roses destinés exclusivement aux femmes.
Dans divers pays orientaux, certains services publics et activités sociales sont réservés exclusivement à la femme. S’agit-il d’une discrimination née de coutumes religieuses, ou simplement d’un souci d’assurer confort et protection à la femme ? Enquête et sondage d’opinion auprès de jeunes filles libanaises.
Les droits de la femme et son implication dans la vie active sont devenus l’un des critères retenus pour jauger le degré de développement d’une société. Dans les pays dits du « Sud », des efforts soutenus sont déployés sur le double plan politique et juridique pour faire tomber certains obstacles, voire certains tabous, qui entravent encore l’acquisition par la femme de tous ses droits. Dans ce cadre, il est un aspect de la vie sociale qui est très souvent méconnu de l’opinion publique, plus particulièrement au Liban : les services publics ou les activités organisés exclusivement à l’intention de la femme, non pas dans un souci de discrimination sociale ou à caractère religieux, mais dans le but, au contraire, d’accroître son confort et de lui faciliter sa vie quotidienne.
Ces services réservés aux femmes font l’objet d’une controverse et sont critiqués par ceux qui les perçoivent comme l’expression, précisément, d’une discrimination ou d’un fanatisme religieux. De tels services publics sont apparus récemment au Liban. Il nous a paru intéressant d’en faire état et de recueillir les réactions à cet égard dans les milieux universitaires et de jeunes.
L’un de ces services réservés aux femmes se manifeste par ces quelques taxis de couleur rose que l’on perçoit parfois à Beyrouth. Ils relèvent de l’entreprise « Banet Taxi » qui a été fondée au Liban en mars 2009. Il s’agit d’une idée nouvelle apparue sur le marché libanais et qui se caractérise par le fait que les voitures de « Banet Taxi » sont peintes en rose mais surtout qu’elles sont conduites par des femmes, ce qui évite à la cliente le désagrément de l’attitude de certains chauffeurs qui se montrent parfois soit trop loquaces, soit carrément familiers.
La fondatrice de « Banet Taxi », Mme Yaghi, souligne que le but de cette entreprise n’est nullement d’imposer à la femme un statut discriminatoire, comme c’est le cas dans certains pays tel l’Iran où la femme est obligée d’avoir recours à ce genre de compagnie. « Banet Taxi », affirme Mme Yaghi, est simplement une initiative au service de la femme, et pas plus, « pour qu’elle se sente plus à l’aise » dans ses déplacements. Cette entreprise interdit à tous les hommes de plus de treize ans de bénéficier de ses services, sauf s’ils sont accompagnés d’une femme. Cette compagnie de taxis, qui fonctionne 24 heures sur 24, possède actuellement 16 voitures roses, dont des « Peugeot » et des « Cherry ».
Parmi la clientèle de ce bureau de taxis figurent notamment, à l’évidence, les femmes de ressortissants arabes, venues au Liban en touristes, ainsi que les enfants non accompagnés par leurs parents, lesquels se sentent plus rassurés lorsqu’ils savent que le taxi est conduit par une femme. Cette entreprise a connu un succès certain et elle paraît en pleine expansion.
Les clubs de gymnastique
Dans un tout autre domaine, la femme peut bénéficier aussi des services d’une salle de gymnastique qui fait partie du réseau « Curves » qui regroupe environ 10 000 clubs répartis aux quatre coins du globe. L’entraînement offert par ce club est strictement réservé aux femmes. Trois séances sont prévues par semaine, chacune d’elles étant limitée à 30 minutes d’exercices. Le concept repose sur des machines adaptées à la morphologie féminine. Elles sont en fait hydrauliques, ce qui facilite le mode d’entraînement pour la femme. Le but étant d’entretenir le physique de la femme et d’obtenir le maximum de résultats avec le moins de temps et d’entraînement possible. Pour atteindre cet objectif, l’exercice proposé est spécialement étudié à l’intention des femmes. La clientèle suit un cycle de machines qui structure l’entraînement, avec un repos de 30 secondes entre chacune d’elles. Le temps passé sur chaque machine est de sept minutes.
Cette entreprise est en plein développement partout dans le monde. Beaucoup de femmes se sentent en effet plus à l’aise sans la présence d’hommes qui les observent, ou essayent de leur parler ou même de les draguer. Elles se sentent en sécurité, étant entourées uniquement par le personnel féminin et les autres clientes.
Une enquête effectuée auprès de 100 étudiantes de l’AUB montre que 78 connaissent Curves et 74 estiment que ce type de club est un avantage. Le même sondage effectué auprès de 100 étudiantes de l’IC montre que 55 connaissent ce club et que 72 trouvent que c’est une bonne formule. Il apparaît ainsi évident que la majorité des jeunes filles interrogées est favorable à une salle de sports féminine.
Le café Internet
De manière similaire, le Pink & Gray est un café Internet réservé aux femmes libanaises. L’idée de départ était une sorte de salon de thé. Saoud Allen, à l’origine du projet, a voulu concevoir un lieu réservé aux femmes. La connexion installée par le fondateur est de type fibre optique, l’une des connexions les plus rapides disponibles au Liban. Ce café Internet propose aussi des jeux pour enfants.
Pink & Gray a été inauguré à la mi-janvier et était uniquement réservé aux femmes. Mais ces dernières ont voulu être accompagnées de leurs conjoints pour se sentir plus en sécurité et à l’aise. Toutefois, force est de relever que dès le premier mois d’ouverture, cette petite entreprise a subi un important déficit, d’autant que le propriétaire se montrait généreux en offrant des heures gratuites (les heures d’essai).
Le débat
Toutes ces formes de services qui offrent des privilèges aux femmes sont parfois perçues comme des formes de discrimination.
Dans le cas de la salle de gymnastique réservée aux femmes, l’enquête effectuée parmi les étudiantes et élèves de l’AUB et de l’IC a certes montré qu’une nette majorité de femmes se sent plus à l’aise dans ces salles de sports féminines. Il reste qu’un nombre significatif d’entre elles s’y oppose : 36 % des jeunes filles interrogées à l’AUB et 40 % des filles de l’IC n’envisagent pas de s’abonner à ces salles de sports féminines. Il n’en demeure pas moins que la majorité des filles interrogées considèrent qu’en partageant leur espace avec d’autres femmes, elles échappent aux regards des hommes. Cela leur permet de se sentir plus confortables et beaucoup plus sécurisées. La femme estime qu’elle est souvent perçue par l’homme comme un objet, ce qui entraîne une sensation de « honte » chez elle, qui n’existe pas dans les salles réservées aux femmes.
Il est possible que la mode impitoyable de la femme mannequin, qui n’a pas droit au moindre bourrelet, soit pour beaucoup dans ce désir de la femme d’éviter le regard de l’homme dans les salles de gymnastique, et de ce fait, les salles réservées aux femmes constituent un espace d’intimité et de repos, une espèce de « récréation », loin du regard masculin qui juge. Mais il n’en demeure pas moins que la solution, pour que la femme se sente à l’aise, n’est pas de l’isoler. Il suffit que les salles de gym aient pour politique d’imposer le respect de tous, y compris de la femme, en excluant, par exemple, les gêneurs.
Quant à la compagnie « Banet Taxi », certains soutiennent que ce service constitue une discrimination des sexes, car l’existence de ces taxis présente la femme comme étant une victime, une personne qui a constamment besoin de protection en étant séparée de l’homme. Ce service donne l’impression de les protéger contre des attaques et des viols. Cette idée donne une image négative de l’homme qui paraît être violent, sauvage et incapable de se retenir. Le « taxi rose » peut servir de moyen de contrôle familial de la femme. Un mari jaloux ou des parents trop protecteurs peuvent forcer la femme ou l’enfant à utiliser ce genre de taxi.
Cette même volonté de « protéger la femme » est perceptible dans la conception du café Internet Pink & Gray. Le fondateur de ce café Internet, Saoud Allen, avait effectivement pour but de protéger la femme de l’homme. Mais le fait que ce type de café n’ait pas connu beaucoup de succès illustre sans doute que la ségrégation des sexes dans les cafés Internet est moins prononcée que dans d’autres secteurs d’activité. De plus, avec le développement des télécommunications dans le pays, il est assez rare de trouver une maison privée d’Internet. Les femmes y ont déjà accès à domicile et accordent donc peu d’importance à ce service particulier.
Sans vouloir occulter le fait que ces services publics réservés aux femmes présentent dans certains cas des avantages en rapport avec le confort ou la sécurité, il apparaît malgré tout évident que le concept de base lié à de tels services part de l’idée préconçue de la nécessité de protéger la femme objet, la femme faible. En un sens, il s’agit là d’une forme de discrimination qui rabaisse la femme et détourne le regard du véritable problème, puisque, sous prétexte de privilégier la femme, elle contribue à l’enfermer davantage dans son statut d’être fragile et dépendant.
La vraie réponse que l’on pourrait apporter serait de renforcer les droits de la femme par l’éducation et par le biais de lois adéquates qui la protégeraient, comme un être libre à part entière. Et dans ce cadre, on ne peut s’empêcher de se demander pour quelles raisons, sociale, économique ou religieuse, ces services ont commencé récemment à se développer de plus en plus au Liban.
Dossier réalisé par Pierre Carlos EDDÉ,
Michael DUC, Rinaldo ITANI
et Walid BADAOUI
Les droits de la femme et son implication dans la vie active sont devenus l’un des critères retenus pour jauger le degré de développement d’une société. Dans les pays dits du « Sud », des efforts soutenus sont déployés sur le double plan politique et juridique pour faire tomber certains obstacles, voire certains tabous, qui entravent encore l’acquisition par la femme de tous ses droits. Dans ce cadre, il est un aspect de la vie sociale qui est très souvent méconnu de l’opinion publique, plus particulièrement au Liban : les services publics ou les activités organisés exclusivement à l’intention de la femme, non pas dans un souci de discrimination sociale ou à caractère religieux, mais dans le but, au contraire, d’accroître son confort et de lui faciliter sa vie quotidienne.
Ces services réservés aux femmes font l’objet d’une controverse et sont critiqués par ceux qui les perçoivent comme l’expression, précisément, d’une discrimination ou d’un fanatisme religieux. De tels services publics sont apparus récemment au Liban. Il nous a paru intéressant d’en faire état et de recueillir les réactions à cet égard dans les milieux universitaires et de jeunes.
L’un de ces services réservés aux femmes se manifeste par ces quelques taxis de couleur rose que l’on perçoit parfois à Beyrouth. Ils relèvent de l’entreprise « Banet Taxi » qui a été fondée au Liban en mars 2009. Il s’agit d’une idée nouvelle apparue sur le marché libanais et qui se caractérise par le fait que les voitures de « Banet Taxi » sont peintes en rose mais surtout qu’elles sont conduites par des femmes, ce qui évite à la cliente le désagrément de l’attitude de certains chauffeurs qui se montrent parfois soit trop loquaces, soit carrément familiers.
La fondatrice de « Banet Taxi », Mme Yaghi, souligne que le but de cette entreprise n’est nullement d’imposer à la femme un statut discriminatoire, comme c’est le cas dans certains pays tel l’Iran où la femme est obligée d’avoir recours à ce genre de compagnie. « Banet Taxi », affirme Mme Yaghi, est simplement une initiative au service de la femme, et pas plus, « pour qu’elle se sente plus à l’aise » dans ses déplacements. Cette entreprise interdit à tous les hommes de plus de treize ans de bénéficier de ses services, sauf s’ils sont accompagnés d’une femme. Cette compagnie de taxis, qui fonctionne 24 heures sur 24, possède actuellement 16 voitures roses, dont des « Peugeot » et des « Cherry ».
Parmi la clientèle de ce bureau de taxis figurent notamment, à l’évidence, les femmes de ressortissants arabes, venues au Liban en touristes, ainsi que les enfants non accompagnés par leurs parents, lesquels se sentent plus rassurés lorsqu’ils savent que le taxi est conduit par une femme. Cette entreprise a connu un succès certain et elle paraît en pleine expansion.
Les clubs de gymnastique
Dans un tout autre domaine, la femme peut bénéficier aussi des services d’une salle de gymnastique qui fait partie du réseau « Curves » qui regroupe environ 10 000 clubs répartis aux quatre coins du globe. L’entraînement offert par ce club est strictement réservé aux femmes. Trois séances sont prévues par semaine, chacune d’elles étant limitée à 30 minutes d’exercices. Le concept repose sur des machines adaptées à la morphologie féminine. Elles sont en fait hydrauliques, ce qui facilite le mode d’entraînement pour la femme. Le but étant d’entretenir le physique de la femme et d’obtenir le maximum de résultats avec le moins de temps et d’entraînement possible. Pour atteindre cet objectif, l’exercice proposé est spécialement étudié à l’intention des femmes. La clientèle suit un cycle de machines qui structure l’entraînement, avec un repos de 30 secondes entre chacune d’elles. Le temps passé sur chaque machine est de sept minutes.
Cette entreprise est en plein développement partout dans le monde. Beaucoup de femmes se sentent en effet plus à l’aise sans la présence d’hommes qui les observent, ou essayent de leur parler ou même de les draguer. Elles se sentent en sécurité, étant entourées uniquement par le personnel féminin et les autres clientes.
Une enquête effectuée auprès de 100 étudiantes de l’AUB montre que 78 connaissent Curves et 74 estiment que ce type de club est un avantage. Le même sondage effectué auprès de 100 étudiantes de l’IC montre que 55 connaissent ce club et que 72 trouvent que c’est une bonne formule. Il apparaît ainsi évident que la majorité des jeunes filles interrogées est favorable à une salle de sports féminine.
Le café Internet
De manière similaire, le Pink & Gray est un café Internet réservé aux femmes libanaises. L’idée de départ était une sorte de salon de thé. Saoud Allen, à l’origine du projet, a voulu concevoir un lieu réservé aux femmes. La connexion installée par le fondateur est de type fibre optique, l’une des connexions les plus rapides disponibles au Liban. Ce café Internet propose aussi des jeux pour enfants.
Pink & Gray a été inauguré à la mi-janvier et était uniquement réservé aux femmes. Mais ces dernières ont voulu être accompagnées de leurs conjoints pour se sentir plus en sécurité et à l’aise. Toutefois, force est de relever que dès le premier mois d’ouverture, cette petite entreprise a subi un important déficit, d’autant que le propriétaire se montrait généreux en offrant des heures gratuites (les heures d’essai).
Le débat
Toutes ces formes de services qui offrent des privilèges aux femmes sont parfois perçues comme des formes de discrimination.
Dans le cas de la salle de gymnastique réservée aux femmes, l’enquête effectuée parmi les étudiantes et élèves de l’AUB et de l’IC a certes montré qu’une nette majorité de femmes se sent plus à l’aise dans ces salles de sports féminines. Il reste qu’un nombre significatif d’entre elles s’y oppose : 36 % des jeunes filles interrogées à l’AUB et 40 % des filles de l’IC n’envisagent pas de s’abonner à ces salles de sports féminines. Il n’en demeure pas moins que la majorité des filles interrogées considèrent qu’en partageant leur espace avec d’autres femmes, elles échappent aux regards des hommes. Cela leur permet de se sentir plus confortables et beaucoup plus sécurisées. La femme estime qu’elle est souvent perçue par l’homme comme un objet, ce qui entraîne une sensation de « honte » chez elle, qui n’existe pas dans les salles réservées aux femmes.
Il est possible que la mode impitoyable de la femme mannequin, qui n’a pas droit au moindre bourrelet, soit pour beaucoup dans ce désir de la femme d’éviter le regard de l’homme dans les salles de gymnastique, et de ce fait, les salles réservées aux femmes constituent un espace d’intimité et de repos, une espèce de « récréation », loin du regard masculin qui juge. Mais il n’en demeure pas moins que la solution, pour que la femme se sente à l’aise, n’est pas de l’isoler. Il suffit que les salles de gym aient pour politique d’imposer le respect de tous, y compris de la femme, en excluant, par exemple, les gêneurs.
Quant à la compagnie « Banet Taxi », certains soutiennent que ce service constitue une discrimination des sexes, car l’existence de ces taxis présente la femme comme étant une victime, une personne qui a constamment besoin de protection en étant séparée de l’homme. Ce service donne l’impression de les protéger contre des attaques et des viols. Cette idée donne une image négative de l’homme qui paraît être violent, sauvage et incapable de se retenir. Le « taxi rose » peut servir de moyen de contrôle familial de la femme. Un mari jaloux ou des parents trop protecteurs peuvent forcer la femme ou l’enfant à utiliser ce genre de taxi.
Cette même volonté de « protéger la femme » est perceptible dans la conception du café Internet Pink & Gray. Le fondateur de ce café Internet, Saoud Allen, avait effectivement pour but de protéger la femme de l’homme. Mais le fait que ce type de café n’ait pas connu beaucoup de succès illustre sans doute que la ségrégation des sexes dans les cafés Internet est moins prononcée que dans d’autres secteurs d’activité. De plus, avec le développement des télécommunications dans le pays, il est assez rare de trouver une maison privée d’Internet. Les femmes y ont déjà accès à domicile et accordent donc peu d’importance à ce service particulier.
Sans vouloir occulter le fait que ces services publics réservés aux femmes présentent dans certains cas des avantages en rapport avec le confort ou la sécurité, il apparaît malgré tout évident que le concept de base lié à de tels services part de l’idée préconçue de la nécessité de protéger la femme objet, la femme faible. En un sens, il s’agit là d’une forme de discrimination qui rabaisse la femme et détourne le regard du véritable problème, puisque, sous prétexte de privilégier la femme, elle contribue à l’enfermer davantage dans son statut d’être fragile et dépendant.
La vraie réponse que l’on pourrait apporter serait de renforcer les droits de la femme par l’éducation et par le biais de lois adéquates qui la protégeraient, comme un être libre à part entière. Et dans ce cadre, on ne peut s’empêcher de se demander pour quelles raisons, sociale, économique ou religieuse, ces services ont commencé récemment à se développer de plus en plus au Liban.
Dossier réalisé par Pierre Carlos EDDÉ,
Michael DUC, Rinaldo ITANI
et Walid BADAOUI
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