Quelle que soit leur opinion, tenanciers de
bars et de restaurants s’accordent sur un point : la loi antitabac, comme
beaucoup d’autres, devrait faire long feu.
Pour les fumeurs, le compte à rebours est
lancé. Qu’ils soient plutôt Almaza ou espresso, ils ne pourront bientôt plus
consommer à l’intérieur d’un bar ou d’un restaurant en fumant cigarette et
narguilé. Du moins officiellement. La mesure, qui entre en vigueur le 3
septembre, aura donc un impact direct sur les restaurateurs et tenanciers de
bars, sans pour autant inquiéter. La seule évocation de la loi
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laisse d’ailleurs plutôt sceptiques. Et pour cause, nombre de lois antérieures
à celle-ci ont été largement oubliées, à peine quelques mois après leur entrée
en vigueur. « Il y a un bon nombre de nouvelles lois au Liban qui marchent
seulement deux ou trois mois, maximum, comme c’était par exemple le cas avec la
ceinture de sécurité. Puis, c’est fini », admet Élie Khouly, manager du
Charlie’s à Gemmayze.
Marwan Arabi, tenancier du Kennedy’s à Hamra et diplômé d’un master de droit, admet également, un peu désabusé : « Tous les autres pays l’ont fait, mais nous sommes au Liban. Beaucoup de lois ne sont pas appliquées, peu importe qu’elles aient ou non un impact positif. »
Au Café Hamra, on ne se fait pas non plus beaucoup d’illusions : « Je suis favorable à la loi, bien sûr, mais je n’y crois pas. Et c’est sans compter les élections de 2013 : la loi pourrait devenir un enjeu de campagne et être amendée rapidement », confie Abdallah Chalhoub.
Deux poids, deux mesures
Un rapide tour d’horizon des cafés de Beyrouth laisse l’étrange impression d’une disposition qui ne serait pas loin du deux poids, deux mesures. Car s’ils sont égaux devant la loi, les restaurateurs et cafetiers ne sont pas pour autant concernés de la même manière par celle-ci. La première disparité, et non des moindres, reste bien entendu l’agencement du lieu, et l’existence éventuelle d’un espace ouvert. Terrasses, jardins et autres patios se trouvent donc comme autant de parades à la nouvelle législation. À ce titre, les commerces de Hamra n’ont rien à se faire envier. De quoi comprendre les réactions hésitantes du superviseur du Café Hamra. « La loi ? Oui, bien sûr, j’en ai entendu parler. C’est prévu pour le 9 septembre peut-être ? » tente Abdallah Chalhoub, avant d’ajouter : « Nous avions déjà établi une zone non fumeurs à l’intérieur du restaurant. Il sera facile de l’étendre, et les chichas pourront toujours être consommées dans le jardin. »
Au Ta Marbouta, même configuration, même son de cloche. « J’approuve totalement cette loi : c’est bon pour les clients, et pour les employés », affirme Ayman Ezzeddine. Mais contrairement aux idées reçues, il se trouve également de rares bistrots à l’enceinte fermée, où la cigarette n’est pas forcément la bienvenue. « Je suis non fumeuse et donc largement favorable à cette loi, que j’attendais depuis longtemps », confie Léa Fakhoury, gérante du DePrague. « J’espère fortement que cela va s’appliquer, même si ce sera difficile au début. La majorité des Libanais aiment fumer, c’est une question d’habitude. Cela va mettre un peu de temps je pense. »
À Gemmayzé en revanche, l’histoire est toute autre. Les bars de la rue Gouraud s’enchaînent le long d’un petit trottoir, ne laissant aucune place à d’éventuels aménagements extérieurs. Alors forcément, la loi ne fait pas l’unanimité. Au Charlie’s, le manager n’a pas pour autant l’air très au fait des échéances. « Ils ont précisé les dates ? Si c’est officiel et que tout le monde le pratique, on le fera aussi », assure néanmoins Élie Khouly. Ce qui n’empêche pas ce dernier de porter un regard critique sur la chose. « Je pense que les bakchichs (pots-de-vin) vont se développer énormément avec les policiers, pour qu’ils ferment les yeux sur les entorses faites aux règlements, comme c’est malheureusement souvent le cas. » Au Soixante-Huit, le directeur a quant à lui déjà trouvé une alternative. À peine a-t-il entendu parler de la loi, trois mois plus tôt, qu’il s’est rendu au ministère du Tourisme muni des plans de son bar, afin de plaider sa cause. « Les fenêtres donnant sur la rue s’ouvrent : il a donc été convenu que je pouvais conserver un espace fumeur de ce côté-là », montre-t-il, visiblement serein.
Des problèmes plus urgents
Certains rares cafés ou restaurants de Beyrouth ont déjà fait le choix d’être entièrement ou partiellement non fumeurs. À l’image du Classic Burger Joint, où la solution s’est imposée naturellement lors de l’ouverture en avril 2010. « C’est un petit espace, où les gens sont proches les uns des autres pour manger, et les cuisines ouvertes », explique Ahmad Abou Rich. « Bien sûr, certaines personnes ne l’ont pas accepté, mais la plupart approuvent, même les fumeurs, et nous n’avons pas constaté de réelles conséquences sur l’activité du restaurant. »
Le CaféSho, pionnier en matière d’interdiction de fumer, a en revanche eu beaucoup plus de difficultés à imposer sa première journée non fumeurs. « À l’époque (2007, NDLR), ce n’était pas un sujet d’actualité. Il a fallu près d’un an et demi, passé à discuter avec les clients et à défendre nos opinions », explique Sibylle, la propriétaire. Depuis, deux nouvelles journées ont été instaurées.
De témoignage en témoignage, force est de constater qu’un autre point de consensus apparaît clairement : « Il y a au Liban beaucoup de problèmes plus urgents à résoudre », résume Élie Khouly. « Ils devraient s’inquiéter de bien d’autres choses que le fait de fumer », affirme Mohammad, gérant du Soixante Huit. Mais à l’image de Sibylle, certains y voient néanmoins plus qu’une « loi supplémentaire » : « Il y a des urgences politiques, oui, mais je n’ai pas envie de voir le pays stagner pour autant. Les choses avancent très lentement ici, mais elles avancent.
http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/775773/Loi_antitabac+:_entre_desillusion_et_pragmatisme,_les_principaux_concernes_n'y_croient_pas.html