La situation qui prévaut actuellement sur la
scène libanaise ressemble drôlement à un polar de Gérard de Villiers, avec ses
rebondissements permanents, ses nœuds insolubles, ses énigmes aux relents
burlesques, le tout ponctué d’une dose de sensationnalisme parfois morbide que
la compétition entre les chaînes de télévision a accentué à profusion, comme
l’a dénoncé hier le secrétaire général du Hezbollah.
À peine digérée l’annonce de l’arrestation
tonitruante de l’ancien ministre Michel Samaha, l’attention a vite été
détournée par l’apparition, rocambolesque, dudit « clan Moqdad »,
sorti comme un diable de sa boîte.
Dans une mise en scène le moins qu’on puisse dire bouffonne, le « clan » annonce publiquement le début et la fin de ses « opérations militaires ». Les faits se déroulent en présence du député Ali Moqdad, qui réfute l’appellation de « militaire », cautionnant pourtant le reste de l’opération des rapts qui a visé des ressortissants syriens dits de l’opposition et des citoyens turcs.
Dans une mise en scène le moins qu’on puisse dire bouffonne, le « clan » annonce publiquement le début et la fin de ses « opérations militaires ». Les faits se déroulent en présence du député Ali Moqdad, qui réfute l’appellation de « militaire », cautionnant pourtant le reste de l’opération des rapts qui a visé des ressortissants syriens dits de l’opposition et des citoyens turcs.
En même temps, et presque de manière concomitante, les écrans de télévision rapportaient l’annonce de la mort probable des pèlerins chiites à Azzaz, en Syrie, à la frontière turque, occasionnée par un bombardement aveugle et surtout soudain de cette ville devenue tristement célèbre depuis l’apparition des pèlerins dans cette zone.
Bref, autant de coïncidences qui ne peuvent être comprises que dans le cadre des rebondissements parallèles et inintelligibles qui ont fait suite aux aveux de Michel Samaha, l’homme fort de la Syrie au Liban, forcé de dénoncer le complot ourdi par le régime Assad contre le Liban.
La réaction ne s’est pas fait attendre, comme l’a relevé le chef des FL Samir Geagea, qui, sans ambages, a laissé entendre que tout le scénario des otages est la résultante de l’arrestation de Michel Samaha « qui a irrité au plus haut point les Syriens ».
Certes, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, n’a pas tardé à démentir tout lien avec les dérapages sécuritaires qui ont eu lieu ces
derniers jours, affirmant que ce qui s’est passé « échappe totalement à
son contrôle » et à celui de son allié Amal, allant jusqu’à mettre en
garde contre le fait que la loi de la jungle pourrait bientôt régir la rue.
Ces propos ne sont pourtant pas très convaincants pour ceux qui ne décèlent
dans l’apparition du phénomène Moqdad qu’un nouveau mot d’ordre donné par les
Syriens via le parti chiite. Pour étayer cette thèse, les tenants de cet avis
égrènent un certain nombre de failles, voire de contradictions, qui entourent
l’affaire des Moqdad depuis le début de leur action.
Dès le départ, ces derniers ont accusé l’ASL d’être derrière l’enlèvement de leur fils, Hassan, sans avoir exprimé le moindre doute à ce sujet. Or, constatent des membres de l’opposition syrienne, dans la vidéo qui montre les ravisseurs, on ne voit nulle part le drapeau de la révolution syrienne, ce qui est inhabituel. De même qu’on n’apprend à aucun moment de quelle unité relève ce groupe particulier de dissidents, un fait également surprenant dans la mesure où d’habitude ils annoncent l’identité de l’unité concernée. Enfin, ajoute l’opposition syrienne, les ravisseurs évoquent le nom du secrétaire général du Hezbollah en lui apposant un « samahat el-sayyed », un signe de distinction et de respect pour cette personnalité chiite, que les membres de l’ASL ne partagent certainement pas.
Bref, il n’y a aucun doute que c’est le régime ou bien ses sbires qui seraient derrière le rapt, soulignent ces sources qui s’interrogent d’ailleurs sur le timing de l’arrestation de Hassan Moqdad qui se trouve en Syrie depuis près d’un an et demi.
Autrement dit, le surgissement du « clan Moqdad » n’a rien de spontané, d’autant que les membres du « clan » n’auraient pu à eux seuls se doter en l’espace de deux ou trois jours d’une base d’informations sur le profil et le lieu de résidence de personnalités syriennes et libanaises à kidnapper, sans recevoir l’appui d’un service sécuritaire bien informé.
Certains observateurs se demandent également pourquoi le clan chiite s’en est pris aux seuls pays du Golfe et à la Turquie, et non pas aux États-Unis par exemple, qui soutiennent au moins moralement l’opposition syrienne ?
Une source sécuritaire affirme d’ailleurs que, politiquement parlant, le clan est scindé en deux : une partie, représentée par Hatem Moqdad, le frère de Hassan, qui serait proche du Hezbollah, et l’autre, représentée par le porte-parole du groupe, Maher, qui a été sept ans durant le responsable du service de sécurité de l’ambassade des États-Unis. Une schizophrénie qui explique clairement d’ailleurs le clash qui a eu lieu jeudi entre les membres du clan devant les écrans de télévision.
Dernier indice qui trahit ne serait-ce qu’un soutien indirect du parti chiite à cette opération, la mise en garde du député joumblattiste Akram Chehayeb au commandement du Hezbollah, lors d’un contact téléphonique, contre toute tentative de rapt qui se ferait dans la région du Chouf, une menace lancée quelques heures plus tôt par le clan Moqdad, qui annonçait sa volonté d’étendre ses opérations à plusieurs régions libanaises.
Autant d’indications qui laissent croire qu’en apportant un soutien ponctuel aux insurgés de la famille Moqdad, le parti chiite pourrait avoir partiellement répondu au mot d’ordre lancé par les Syriens à leurs alliés libanais au lendemain de l’arrestation de Michel Samaha. En laissant la tâche ingrate aux Moqdad, le Hezbollah aura ainsi atteint deux objectifs : le premier consiste à montrer patte blanche au régime Assad sans aller jusqu’au bout du vice, qui, pour les Syriens, consiste à semer la confusion et l’instabilité totales au pays du Cèdre. Le second, pointer du doigt le chaos qui commence à se répandre au Liban de manière à mettre en exergue la discipline et l’ordre dont se prévaut le parti chiite, qui se verrait ainsi investi d’un rôle de rédempteur, un peu à l’instar de la fonction de pompier que s’étaient attribuée les pyromanes syriens durant les années de tutelle. C’est d’ailleurs ce que signifie la mise en garde lancée par Hassan Nasrallah dans son discours hier, en prédisant un prochain chaos dans le pays.
En attendant, l’État commence à peine à se réveiller de sa léthargie et tente de récupérer les espaces de souveraineté qui lui ont été usurpés. Premier à réagir, le chef de l’État, qui a lancé, à ceux qui veulent bien l’entendre, des avertissements fermes à la suite du spectacle de dégénérescence sécuritaire. Le Conseil central de sécurité ensuite qui s’est réuni sous la présidence du ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, qui, sorti de son mutisme, a promis des poursuites en bonne et due forme à l’encontre des ravisseurs, dont toute la République connaît désormais l’adresse. Il s’est également engagé à empêcher dorénavant toute fermeture de la route de l’aéroport.
Une cellule de crise a été mise en place pour suivre les développements, ainsi qu’un comité ministériel pour trouver un règlement à la question des otages. C’est dans cet état d’esprit que M. Charbel se rendra aujourd’hui en Turquie, où se trouvait la veille le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Avant son départ de Beyrouth, ce dernier s’était d’ailleurs engagé auprès des responsables libanais à évoquer l’affaire des otages en Syrie avec les responsables turcs.
Sur le terrain et après l’annonce par les Moqdad de l’arrêt provisoire de la campagne de rapts, une trêve est entrée en vigueur. Il reste à savoir si elle pourra perdurer au-delà de la fête du Fitr, laquelle, célébrations obligent, semble avoir poussé les parties à prendre un peu de recul.
http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/773956/Le_feuilleton_Samaha_se_poursuit_par_Moqdad_interposes.html
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