Suzanne Baaklini
Comme prévu, la compagnie Chinook – qui était choisie pour exporter les déchets du Liban – n'a pas réussi à présenter hier, à l'expiration du délai qui lui a été accordé par le gouvernement, les papiers prouvant une approbation russe d'accueillir les ordures. C'est le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) qui a annoncé en milieu de journée la résiliation du contrat.
La décision d'exporter les déchets a été prise par le gouvernement le 21 décembre dernier suite à l'échec du premier plan du ministre de l'Agriculture Akram Chehayeb, visant à créer deux décharges principales pour régler la crise des déchets, qui avait éclaté le 17 juillet après la fermeture de la décharge de Naamé. Le gouvernement était cette semaine sur le point de signer un contrat de gré à gré avec Chinook, pour une exportation vers la Russie. Le glas de l'exportation a sonné quand un responsable russe a lancé contre la compagnie des accusations de fraude, mardi dernier, dans un entretien avec l'agence russe d'information Tass. Le flou entoure toujours ces accusations, sachant qu'elles ont été démenties par le Premier ministre Tammam Salam, et que rien n'a été confirmé ou infirmé côté russe.
De nombreuses questions restent en suspens : pourquoi l'approbation russe a-t-elle été considérée comme acquise depuis le 29 janvier par les autorités libanaises (date à laquelle elle a été annoncée par le CDR) et n'a été démentie que très récemment par les autorités russes ? Qui va demander des comptes pour ces mois de retard qui ont résulté en un contrat d'exportation décidé de gré à gré, jamais signé, et qui devait coûter des millions au Trésor? Comment aller de l'avant et rétablir la confiance en un quelconque plan futur si le dénouement de l'exportation est aussi brumeux que l'exportation elle-même ?
Le premier à réagir à l'échec de l'exportation a été le ministre Akram Chehayeb lui-même. Il a présenté ses excuses à l'adresse des Libanais pour ce nouvel échec. « Je m'excuse auprès du peuple libanais car nous ne sommes pas parvenus à obtenir des résultats dans le dossier des déchets », a déclaré M. Chehayeb lors d'un entretien télévisé accordé à la LBCI. « La balle est retournée dans le camp du Conseil des ministres », a-t-il souligné.
Quoi qu'il en soit, de nombreuses voix parmi les hommes politiques réclament, depuis jeudi, le retour au plan des décharges, quitte à les imposer par la force. Certains exigent déjà une réouverture, du moins temporaire, de la décharge de Naamé, étant le seul site habilité à recevoir des ordures actuellement. Cette décharge sanitaire, rappelons-le, avait causé la colère des populations alentour.
Des décharges accueillant en bloc toutes les ordures sont un choix qui a déjà soulevé de vives protestations dans un passé récent, pourquoi serait-il mieux accepté cette fois ? Vu les échecs successifs des politiques, L'Orient-Le Jour a demandé à trois écologistes de donner leur vision d'une solution locale, environnementale et acceptable par la population :
« Tout d'abord, il faut que l'État redonne confiance au public et aux municipalités. Avant de parler de décharges, il convient de proposer des usines de tri et de compostage, sans quoi les décharges qui accueillent les ordures en bloc ne sont pas acceptables, et c'est compréhensible.
En ce qui concerne les déchets amoncelés dans les rues, l'État peut importer facilement des sortes de tentes étanches, ce qui lui coûtera nettement moins que l'exportation était supposée coûter. Il sera possible d'y entreposer les anciens déchets placés dans des sacs. On peut, en parallèle, rouvrir la décharge de Naamé, mais pour une période déterminée, en vue de lever les ordures des rues.
Pour le reste, il faut réhabiliter les centres de tri et de compostage existants, notamment Amroussié et la Quarantaine, où l'on peut traiter 800 tonnes, ce qui est suffisant pour Beyrouth et le Mont-Liban. D'autres centres de tri construits dans le cadre d'un programme avec le ministère du Développement administratif doivent être remis en marche. Il faudra encourager, sur un autre plan, les municipalités qui désirent construire des usines : l'argent ne manque pas puisque l'État a récemment pu débloquer 50 millions de dollars pour l'exportation. Il faut cependant que le gouvernement mette ces municipalités en confiance, avec des contrats écrits qui constitueront une garantie de déblocage des fonds à temps.
Après le tri, trouver des sites de décharges pour les déchets inertes ne sera plus un problème, parce que ces ordures ne dégagent ni odeurs ni liquides polluants. Il restera alors les 3 % des déchets dangereux (électroniques ou autres). Ceux-ci peuvent être exportés séparément, n'importe quel pays qui peut les traiter acceptera de les recevoir sans problème, et leur exportation sera plus économique que leur traitement sur place.
Le gouvernement peut-il être convaincu de cette proposition ? Je crois qu'il n'a plus le choix car il est dans une impasse, il doit nous écouter. Que peut-il faire ? S'entêter à vouloir imposer les décharges sans tri et envoyer l'armée confronter le peuple ? Il doit opter pour une solution viable même s'il préfère peut-être les solutions non basées sur le tri pour imposer, à terme, les incinérateurs auxquels nous sommes résolument opposés et qui ne peuvent être installés que moyennant un budget astronomique de 1,2 milliard de dollars (sachant qu'ils nécessitent trois ans au moins pour être construits). »
Samir Skaff, président de l'association Green Globe
« Le plus urgent est de s'occuper des déchets amoncelés dans les rues et les forêts. Nous avons proposé depuis longtemps aux autorités de les ranger dans des sacs, comme cela se fait déjà dans plusieurs régions, et de les stocker temporairement dans des carrières désaffectées, loin des habitations. On peut ainsi garder les déchets au moins jusqu'à la fin de l'été, quand la fermentation aura atteint un stade avancé, notamment au soleil. C'est à ce moment qu'il sera possible d'ouvrir ces sacs (le faire avant est trop insupportable) et de trier les déchets pour un traitement final.
Pour ce qui est des déchets produits au fur et à mesure, les usines de Amroussié et de la Quarantaine suffisent à trier les ordures de Beyrouth et du Mont-Liban. Le tri est essentiel : même si imposer le tri à la source risque de prendre du temps, il sera complété en usine. À ce niveau, les déchets organiques séparés du reste peuvent être envoyés sur des terrains dans la Békaa pour un compostage en plein air, plusieurs propriétaires privés ont déjà proposé leurs services. Ceci est donc très facilement applicable.
Entre-temps, les déchets recyclables seront écoulés. Il restera les 10 à 15 % de déchets dont on ne peut rien faire ou qui sont dangereux. À terme, il faut leur trouver une solution, comme une décharge ou un incinérateur. Sachant que les incinérateurs nécessitent beaucoup de temps pour être installés et que nous avons peur qu'ils ne soient gérés » à la libanaise «, c'est-à-dire sans garanties suffisantes de qualité.
Le traitement des déchets que nous proposons n'est pas coûteux, il faut compter en tout une moyenne de quelque 75 dollars par tonne, qui seront nettement amoindris par les bénéfices de la vente des recyclables. »
Ali Darwiche, président de Green Line
« La solution est simple, pour qui a la volonté politique. Les 50 millions de dollars débloqués pour une première étape d'exportation peuvent servir à construire des centres de tri dans tout le pays. Si le gouvernement était prêt à signer un contrat de gré à gré avec Chinook, il peut en signer avec des compagnies, en BOT, pour construire et gérer des usines.
Le tri est la clé de tout : à domicile et puis en usine, il permet de réduire de 70 à 80 % le volume des déchets, en vue de recycler ce qui peut l'être et de composter les matières organiques. À mon avis, le plus important est de traiter les matières organiques, le reste peut être stocké sans problème au cas où les capacités des usines de recyclage ne seraient pas suffisantes.
Les centres de compostage sont faciles à mettre en place : il suffit de trouver un terrain très plat, pour environ un mètre carré par tonne. Les déchets peuvent être retournés et imbibés d'eau au fur et à mesure. Il faut 70 jours pour que les matières organiques se transforment en compost (enrichisseur de sol). L'argument suivant, selon lequel le compost sera de mauvaise qualité s'il est issu de détritus triés en partie à la maison et en partie à l'usine, est inexact. La qualité est l'un des arguments utilisés par ceux qui préfèrent l'enfouissement sans tri et sans compostage, parce qu'ils veulent profiter pleinement du prix de chaque tonne. Et puis le tri fait peur aux autorités car l'instauration d'un tel système rend l'achat d'incinérateurs inutile, or cela est contraire à leurs plans. »
Source & Link: L'orient le jour
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