Par Jeanine JALKH | 04/06/2011
CLANDESTINITÉ Depuis fin mars, il vit incognito et change régulièrement de logis et de nom. Au Liban, comme il dit, il n'est pas plus en sécurité qu'en Syrie d'où il vient de fuir in extremis après que son collègue s'est fait arrêter par les moukhabarate.
Depuis Beyrouth, il organise, coordonne et médiatise les mouvements de protestation.
Il faut dire que Chahine, de son pseudo, est un opposant redoutable au régime Assad. Il est désormais recherché par les autorités syriennes pour être l'un des cyberdissidents à l'origine de la diffusion d'informations sur le début de la révolte à Deraa. Journaliste célèbre à Damas, c'est lui qui avait pressenti que les premiers mouvements d'insurrection dans « cette ville ignorée de tous », comme il dit, n'allaient pas y rester confinés.
« Avec mes amis, nous avions décidé de transmettre les informations sur ce qui se passait à Deraa. Nous avions commencé à mettre en place des cellules chargées d'effectuer des contacts avec les médias à partir de Damas. Dès le début des événements, personne n'avait soupçonné qu'ils auraient une telle répercussion et qu'ils feraient boule de neige par la suite, comme cela avait eu lieu en Égypte ou en Tunisie », dit-il. « Certains journalistes avaient même peur de couvrir ce qui se passait. À Deraa, nous avions nos sources et nos relations que nous avons mises à profit. Puis nous avons lancé une page sur Facebook afin d'y publier les informations que nous recueillions », raconte Chahine, qui affirme avoir été, avec son groupe, à l'origine de quatre-vingts pour cent des informations véhiculées sur la Syrie.
À l'époque, il travaillait donc à partir de Damas, jusqu'au jour où il s'est fait repérer ainsi que son collègue lors d'une manifestation organisée dans la capitale syrienne. Chahine sera plus chanceux que son ami qui, lui, sera arrêté par les services de renseignements. Notre activiste sait désormais qu'il est traqué et décide de s'enfuir vers le Liban avant que son nom ne soit parvenu à la frontière.
Sauf que le Liban est à peine un peu plus sûr que la Syrie pour un profil comme le sien. Il sait que le bras des moukhabarate est bien long et peut s'étendre jusqu'au pays du Cèdre, « où ses alliés sont nombreux », dit-il. « Il y a quelques jours, l'un de mes amis, qui venait d'Europe en visite au Liban, a été embarqué avec son ordinateur portable à Jounieh, à bord d'une Jeep noire aux vitres teintées, par des hommes qui semblaient être des services de renseignements libanais », confie le cyberdissident.
« Ils l'ont amené menotté, les yeux bandés, et l'ont interrogé sur ce qu'il pense de ce qui se passe en Syrie. Six heures plus tard, ils lui ont fait comprendre qu'il lui était interdit d'entreprendre des activités de dissidence à partir du Liban. Ils l'ont relâché après l'avoir contraint à s'engager à ne pas changer de numéro de téléphone ni d'appartement, sinon, il serait considéré comme un "fugitif syrien". »
Cela signifie bien entendu qu'il sera rapatrié et remis aux autorités syriennes, comme le prévoit l'accord de coopération en matière de sécurité et de défense signé entre les deux pays, explique Chahine. Depuis, ce dernier est sur le qui-vive et prend toutes les précautions possibles et imaginables pour ne pas se faire repérer. Des mesures d'autant plus nécessaires qu'il est l'un des pivots de l'opposition syrienne en termes de collecte d'informations, de médiatisation et de coordination des mouvements de protestation dans plusieurs régions syriennes.
À son arrivée à Beyrouth, Chahine a contacté « des amis journalistes très connus », mais ces derniers lui ont assuré que sa présence à leurs côtés constitue un risque pour eux et pour lui. « J'ai fini par trouver un premier pied-à-terre chez des amis, qui m'ont prêté un ordinateur portable, et j'ai commencé le travail », dit-il.
Le cyberdissident rassemble les informations au quotidien, les vérifie et prend contact avec les journalistes étrangers et arabes pour les mettre au courant de ce qui se passe.
« Je communique régulièrement avec des amis sur le terrain et avec les comités de coordination. Je gère notamment les informations qui me parviennent de plusieurs régions de Syrie et organise ce que font les jeunes là-bas en leur fournissant les données nécessaires pour leurs activités. Nous véhiculons l'information à travers Skype, Facebook, par le biais des téléphones Thuraya ou de lignes normales lorsque c'est faisable », explique-t-il.
Vendredi et samedi sont, bien entendu, les journées les plus stressantes puisqu'il se trouve, même en étant à Beyrouth, au cœur de l'action qu'il gère à partir de son ordinateur.
Rodé aux techniques journalistiques, Chahine passe la plus claire partie de son temps à s'assurer du bien-fondé des informations qui lui parviennent avant de les diffuser. Car, outre l'affrontement qu'elle mène contre la machine de répression, l'opposition syrienne entend également remporter la guerre de l'information qui l'oppose au régime en brandissant l'arme de la crédibilité médiatique.
« Je contacte régulièrement des gens sur place qui me renseignent et confirment les images diffusées en vidéo. Parfois, les gens du régime travestissent les vidéos en modifiant certains éléments pour décrédibiliser nos informations et les diffusent sur la TV nationale en affirmant qu'il s'agit de mensonges. » « Si leur version des faits est vraie, pourquoi n'ouvrent-ils pas donc tout simplement les frontières devant les journalistes étrangers pour qu'ils viennent constater par eux-mêmes ce qui se passe ? » s'interroge Chahine.
Le plus dur pour lui, c'est de ne pas être au bon endroit au moment qu'il faut. « Je devrais être aux côtés de mes amis en Syrie. Malheureusement, je suis bloqué ici pour l'instant car mon nom a déjà été transmis à la frontière. »
Quoi qu'il en soit, rien, absolument rien ne semble pouvoir dissuader les opposants syriens de poursuivre leur mouvement. Ni la violente répression, ni les escadrons de la mort, ni la torture. Désormais, affirme le cyberdissident, il est trop tard pour reculer. Selon lui, toute velléité de négociation avec le régime en place est vouée à l'échec s'il ne se plie aux conditions préalables fixées par les dissidents : « Ce que nous lui demandons, c'est de nous accorder un espace de liberté, d'ordonner à l'armée de réintégrer les casernes et de cesser de réprimer les gens. Une fois que nous aurons eu la garantie d'un environnement sain, à ce moment-là nous pourrons éventuellement entamer le dialogue », dit-il sans trop de conviction.
« On disait que Bachar était différent de son père qui, lui, était sanguinaire. On disait également que le fils n'aime pas voir le sang. Moi, je dis qu'il aime en boire au quotidien. Mais même si l'on admet qu'il n'est pas responsable directement de ce qui se passe, c'est encore pire car il est le chef de l'État et il en assume l'entière responsabilité », assure l'activiste.
Les sanctions imposées par l'Occident sont-elles suffisantes, d'après lui ? « L'idée d'interdire aux officiels syriens de représenter la Syrie à l'extérieur est une bonne chose. Par contre, nous sommes contre une intervention militaire extérieure car notre mouvement est pacifique et le restera. »
« C'est une nouvelle ère à laquelle nous accédons. Nous avons besoin de rectifier les erreurs qui ont été commises par les intellectuels qui ont milité avant nous », conclut-il, avant de relever que l'objectif ultime n'est pas de s'en prendre au seul personnage emblématique de Bachar el-Assad, mais de mettre fin à tout un système politico-sécuritaire imbibé d'une culture de la violence et de l'impunité.
« Avec mes amis, nous avions décidé de transmettre les informations sur ce qui se passait à Deraa. Nous avions commencé à mettre en place des cellules chargées d'effectuer des contacts avec les médias à partir de Damas. Dès le début des événements, personne n'avait soupçonné qu'ils auraient une telle répercussion et qu'ils feraient boule de neige par la suite, comme cela avait eu lieu en Égypte ou en Tunisie », dit-il. « Certains journalistes avaient même peur de couvrir ce qui se passait. À Deraa, nous avions nos sources et nos relations que nous avons mises à profit. Puis nous avons lancé une page sur Facebook afin d'y publier les informations que nous recueillions », raconte Chahine, qui affirme avoir été, avec son groupe, à l'origine de quatre-vingts pour cent des informations véhiculées sur la Syrie.
À l'époque, il travaillait donc à partir de Damas, jusqu'au jour où il s'est fait repérer ainsi que son collègue lors d'une manifestation organisée dans la capitale syrienne. Chahine sera plus chanceux que son ami qui, lui, sera arrêté par les services de renseignements. Notre activiste sait désormais qu'il est traqué et décide de s'enfuir vers le Liban avant que son nom ne soit parvenu à la frontière.
Sauf que le Liban est à peine un peu plus sûr que la Syrie pour un profil comme le sien. Il sait que le bras des moukhabarate est bien long et peut s'étendre jusqu'au pays du Cèdre, « où ses alliés sont nombreux », dit-il. « Il y a quelques jours, l'un de mes amis, qui venait d'Europe en visite au Liban, a été embarqué avec son ordinateur portable à Jounieh, à bord d'une Jeep noire aux vitres teintées, par des hommes qui semblaient être des services de renseignements libanais », confie le cyberdissident.
« Ils l'ont amené menotté, les yeux bandés, et l'ont interrogé sur ce qu'il pense de ce qui se passe en Syrie. Six heures plus tard, ils lui ont fait comprendre qu'il lui était interdit d'entreprendre des activités de dissidence à partir du Liban. Ils l'ont relâché après l'avoir contraint à s'engager à ne pas changer de numéro de téléphone ni d'appartement, sinon, il serait considéré comme un "fugitif syrien". »
Cela signifie bien entendu qu'il sera rapatrié et remis aux autorités syriennes, comme le prévoit l'accord de coopération en matière de sécurité et de défense signé entre les deux pays, explique Chahine. Depuis, ce dernier est sur le qui-vive et prend toutes les précautions possibles et imaginables pour ne pas se faire repérer. Des mesures d'autant plus nécessaires qu'il est l'un des pivots de l'opposition syrienne en termes de collecte d'informations, de médiatisation et de coordination des mouvements de protestation dans plusieurs régions syriennes.
À son arrivée à Beyrouth, Chahine a contacté « des amis journalistes très connus », mais ces derniers lui ont assuré que sa présence à leurs côtés constitue un risque pour eux et pour lui. « J'ai fini par trouver un premier pied-à-terre chez des amis, qui m'ont prêté un ordinateur portable, et j'ai commencé le travail », dit-il.
Le cyberdissident rassemble les informations au quotidien, les vérifie et prend contact avec les journalistes étrangers et arabes pour les mettre au courant de ce qui se passe.
« Je communique régulièrement avec des amis sur le terrain et avec les comités de coordination. Je gère notamment les informations qui me parviennent de plusieurs régions de Syrie et organise ce que font les jeunes là-bas en leur fournissant les données nécessaires pour leurs activités. Nous véhiculons l'information à travers Skype, Facebook, par le biais des téléphones Thuraya ou de lignes normales lorsque c'est faisable », explique-t-il.
Vendredi et samedi sont, bien entendu, les journées les plus stressantes puisqu'il se trouve, même en étant à Beyrouth, au cœur de l'action qu'il gère à partir de son ordinateur.
Rodé aux techniques journalistiques, Chahine passe la plus claire partie de son temps à s'assurer du bien-fondé des informations qui lui parviennent avant de les diffuser. Car, outre l'affrontement qu'elle mène contre la machine de répression, l'opposition syrienne entend également remporter la guerre de l'information qui l'oppose au régime en brandissant l'arme de la crédibilité médiatique.
« Je contacte régulièrement des gens sur place qui me renseignent et confirment les images diffusées en vidéo. Parfois, les gens du régime travestissent les vidéos en modifiant certains éléments pour décrédibiliser nos informations et les diffusent sur la TV nationale en affirmant qu'il s'agit de mensonges. » « Si leur version des faits est vraie, pourquoi n'ouvrent-ils pas donc tout simplement les frontières devant les journalistes étrangers pour qu'ils viennent constater par eux-mêmes ce qui se passe ? » s'interroge Chahine.
Le plus dur pour lui, c'est de ne pas être au bon endroit au moment qu'il faut. « Je devrais être aux côtés de mes amis en Syrie. Malheureusement, je suis bloqué ici pour l'instant car mon nom a déjà été transmis à la frontière. »
Quoi qu'il en soit, rien, absolument rien ne semble pouvoir dissuader les opposants syriens de poursuivre leur mouvement. Ni la violente répression, ni les escadrons de la mort, ni la torture. Désormais, affirme le cyberdissident, il est trop tard pour reculer. Selon lui, toute velléité de négociation avec le régime en place est vouée à l'échec s'il ne se plie aux conditions préalables fixées par les dissidents : « Ce que nous lui demandons, c'est de nous accorder un espace de liberté, d'ordonner à l'armée de réintégrer les casernes et de cesser de réprimer les gens. Une fois que nous aurons eu la garantie d'un environnement sain, à ce moment-là nous pourrons éventuellement entamer le dialogue », dit-il sans trop de conviction.
« On disait que Bachar était différent de son père qui, lui, était sanguinaire. On disait également que le fils n'aime pas voir le sang. Moi, je dis qu'il aime en boire au quotidien. Mais même si l'on admet qu'il n'est pas responsable directement de ce qui se passe, c'est encore pire car il est le chef de l'État et il en assume l'entière responsabilité », assure l'activiste.
Les sanctions imposées par l'Occident sont-elles suffisantes, d'après lui ? « L'idée d'interdire aux officiels syriens de représenter la Syrie à l'extérieur est une bonne chose. Par contre, nous sommes contre une intervention militaire extérieure car notre mouvement est pacifique et le restera. »
« C'est une nouvelle ère à laquelle nous accédons. Nous avons besoin de rectifier les erreurs qui ont été commises par les intellectuels qui ont milité avant nous », conclut-il, avant de relever que l'objectif ultime n'est pas de s'en prendre au seul personnage emblématique de Bachar el-Assad, mais de mettre fin à tout un système politico-sécuritaire imbibé d'une culture de la violence et de l'impunité.
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