The Lebanese Center for Human Rights (CLDH) is a local non-profit, non-partisan Lebanese human rights organization in Beirut that was established by the Franco-Lebanese Movement SOLIDA (Support for Lebanese Detained Arbitrarily) in 2006. SOLIDA has been active since 1996 in the struggle against arbitrary detention, enforced disappearance and the impunity of those perpetrating gross human violations.

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October 4, 2011

L'Orient le jour - Les dessinateurs de presse jouent la carte de la « liberté responsable », October 4, 2011

Par Nathanaël VITTRANT | 1

Joseph Kaï, Armand Homsi et Stavro Jabra.
Joseph Kaï, Armand Homsi et Stavro Jabra.

En quelques coups de crayon, ils transforment l’actualité pour moquer ou dénoncer, faire rire ou pleurer. Les caricaturistes libanais chérissent leur liberté mais, dans un pays à fleur de peau, il n’est pas toujours facile de vouloir endosser le rôle du moustique.
Dans le monde arabe, le Liban jouit de la réputation d’être le pays le plus attaché à la liberté de la presse. Une liberté que les caricaturistes et dessinateurs locaux ne manquent pas de revendiquer mais qui, face aux tabous de la société libanaise, demeure une conquête de tous les jours.
Le dessin satirique et la caricature sont ancrés de longue date dans le paysage médiatique libanais. Dès les années 1920, Ezzat Khorchid croquait les puissants dans ad-Dabbour. Petit à petit, la presse s’est ouverte à cette nouvelle forme d’expression et une nouvelle génération de dessinateurs est venue remplacer les précurseurs. Pierre Sadek, Jean Machaalani, René Najjar, Mahmoud Kahil et bien d’autres ont fait vivre au dessin éditorial libanais son âge d’or. Les années 1960 et 1970 ont marqué son apogée. Aujourd’hui encore, la plupart des journaux, qu’ils soient arabophones, anglophones ou francophones, accordent une place de choix au dessin de presse dans leurs colonnes. Même la télévision s’y est mise et les émissions politiques aiment à commenter les dessins du jour.
Stavro Jabra est l’un des représentants les plus connus de la deuxième génération. À 64 ans, il cultive toujours un physique d’Einstein fou et une courtoisie de vieil anar. Il en est fier : ses coups de crayon n’épargnent rien ni personne. « J’ai toujours eu la liberté de mes dessins, assure-t-il. Je suis un caricaturiste révolutionnaire et tout le monde le sait. Soit j’attaque tout le monde, soit je ne travaille pas. » Cette liberté de ton et la justesse de son trait ont assuré au dessinateur une notoriété qui dépasse largement les frontières du Liban. Les murs de son appartement sont tapissés de photos le représentant avec les grands de ce monde. Une de ses caricatures trône même dans le bureau de Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, dit-il. En retour, cette célébrité lui garantit une plus grande liberté encore. « Le Liban bénéficie de la liberté de la presse à 100 %, atteste-t-il. Mais il n’y a pas de démocratie. On peut exprimer toutes les opinions, mais personne n’est prêt à accepter celles des autres. » Et de rappeler la vieille antienne : « La caricature est un art mineur doté d’une responsabilité majeure. »

La religion, tabou des tabous
Responsabilité. Il semble que ce soit le mot-clé pour définir la caricature et le dessin de presse au Liban. Sous bien des aspects, le pays reste une poudrière, et aucun illustrateur n’a envie d’être l’étincelle qui y mettra le feu. « En quinze ans de métier, on ne m’a jamais dit de faire ou de ne pas faire un dessin », tranche net Armand Homsi quand on lui pose la question. Installé dans une bulle de verre, au cœur de la rédaction du journal an-Nahar où il travaille, le dessinateur reconnaît néanmoins qu’il y a des sujets qu’il est difficile d’aborder. « La religion, par exemple. On sait que ça ne mènera nulle part, que ça peut déborder largement le cadre du dessin. Je n’appellerais pas ça de l’autocensure pour autant, c’est plutôt une réflexion préalable de ma part. »
Ses dessins sans commentaires, travaillés à la plume, ne manquent pas de mordant pour autant. « Ce qui compte, c’est qu’on ne puisse jamais dire que le dessin est faux. On l’aime ou on ne l’aime pas, mais il relate une réalité. » Armand Homsi a fait sien l’adage qui veut que la caricature soit « l’art de déformer une image pour en faire un tableau plus vrai ». La une d’an-Nahar du 23 septembre montrait Mahmoud Abbas remettant sa demande d’adhésion à Ban Ki-moon. Au dos du journal, Armand Homsi a dessiné les mêmes personnages, mais cette fois une paire de ciseaux symbolisant le veto américain vient couper le document en deux. « Vous voyez, ici le dessin est plus vrai que la photo », s’amuse-t-il.
Pendant dix ans, entre 1987 et 1997, l’illustratrice Michèle Standjofski a tenu une chronique illustrée dans L’Orient-Le Jour : « Beyrouth Déroute ». « Cela racontait le quotidien d’un couple de Beyrouthins. Les quatre premières années, le Liban était encore en pleine guerre, il y avait de la matière », se souvient-elle. Mais dans son univers, on préférait rire ou s’attendrir des conséquences de la guerre pour le Libanais moyen que d’en faire une analyse au vitriol. « Je commentais l’actualité sans la commenter vraiment. Quand on fait du dessin de presse, on est responsable de ce qu’on dit. Un minimum d’autocensure doit exister et cela a d’ailleurs toujours existé. »
Cela, les jeunes illustrateurs l’ont bien intégré ; ce qui ne veut pas dire qu’ils s’y résignent. À trente-six ans, Mazen Kerbage est le fer de lance de cette nouvelle génération, même s’il ne le revendique pas. Son trait déjanté n’a jamais cherché à éviter les tabous, bien au contraire. « C’est justement ceux-là que j’essaie d’aborder par tous les moyens. » Remuer, déranger, choquer parfois : cela ne l’effraie pas. « Il est toujours possible de parler de tout, il suffit de trouver la manière de le faire passer à la censure, qu’elle soit morale, religieuse, d’État, ou de la presse elle-même. Ça pousse souvent à trouver des manières plus originales et créatives que si on faisait du premier degré. »





Autocensure et créativité
L’autocensure comme vecteur de créativité ? Pourquoi pas. « J’essaye de traiter les sujets de manière inattendue. Pas forcément drôle ou dramatique, mais en essayant de surprendre, confirme Armand Homsi. Il arrive qu’on traite d’une même actualité pendant deux semaines, on est de toute façon obligé de dire les choses autrement. Quand le lecteur sent que le dessin est fait avec le respect de son intelligence, il nous le rend. »
Si la politique reste le terrain de jeu favori des dessinateurs de presse, les jeunes illustrateurs semblent en être un peu lassés. « Bien sûr, cela m’intéresse, mais ce n’est pas ce qui vient en premier », estime Joseph Kaï, dessinateur de 22 ans. « Dès qu’on parle de politique, on est considéré comme étant partisan. Je préfère m’inspirer du quotidien, de la manière dont la société beyrouthine fonctionne, des rapports entre les différentes communautés. Il y a peu de place dans les journaux libanais pour faire du dessin de presse qui s’adresse à l’actualité au sens large, qui parle de la société, de la culture, regrette-t-il. Notre génération a pourtant des choses à dire, même si c’est avec une approche, un humour différents. »
Depuis une vingtaine d’années qu’elle enseigne à l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA) et huit ans qu’elle dirige le département illustration et bande dessinée, Michèle Standjofski a vu passer plusieurs générations d’illustrateurs. « Peu de choses ont changé. Les technologies sont différentes, mais c’est un changement de surface. Les jeunes d’aujourd’hui ont le même enthousiasme que nous avions à 20 ans, analyse-t-elle. Peut-être sont-ils plus sages que nous ne l’étions, plus politiquement corrects. Il y a moins de pudeur dans leurs dessins, mais ça n’est pas forcément plus osé. »
« Certains prédisent qu’en 2015 il n’y aura plus de journaux imprimés. La vraie question pour les jeunes, c’est de savoir où ils vont dessiner, s’interroge Stavro Jabra. Cela dit, le problème se pose pour tous les métiers, il faut s’adapter. » Il n’y a pas de raison de s’alarmer. S’adapter, il semble que c’est ce que les dessinateurs de presse et les caricaturistes libanais font depuis toujours.


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