Tous les indicateurs sont au rouge : l’affluence des
réfugiés syriens, qui débarquent par centaines, risque de se transformer
bientôt en une bombe à retardement si des mesures urgentes ne sont pas prises,
par l’État notamment.
Les chiffres, qui varient d’une source à l’autre, sont
alarmants : les réfugiés syriens auraient déjà atteint le seuil de
26 000 selon les sources associatives, 15 800, selon le ministère des
Affaires sociales qui les répartit comme suit : 8 600 au Liban-Nord,
6 000 dans la Békaa et 1 200 à Beyrouth et dans ses parages.
Si les Libanais et la société civile en général ont réussi, à ce jour, à réagir plus ou moins efficacement afin de contenir ce drame humain, il n’en est pas de même du Liban officiel qui ne semble pas encore réaliser l’ampleur du phénomène et le danger qu’il pourrait représenter à l’avenir s’il n’est pas abordé de manière systématique et rationnelle.
Certes, il va sans dire que l’élan spontané d’un grand nombre de Libanais qui se sont mobilisés pour la cause, cumulé aux efforts entrepris par la société civile (à sa tête le UNHCR, Caritas, le Mouvement social et plusieurs associations islamistes), a donné ses fruits au niveau du soutien immédiat à apporter aux réfugiés, notamment en matière de nourriture et de besoins de première nécessité. Des initiatives qui ont réussi, à ce jour, à assurer la survie de plusieurs centaines de familles arrivées au Liban complètement démunies. Le travail gigantesque effectué en outre par le Comité international de la Croix-Rouge et par la Croix-Rouge libanaise, notamment au niveau des frontières dans le cadre de l’acheminement des blessés, est, à n’en point douter, extrêmement louable du fait des moyens du bord mis en œuvre. Cependant, les premiers arrangements, souvent improvisés sur le terrain, et les aides versées à ce jour commencent déjà à tarir et s’avérer insuffisants par rapport aux besoins. Ils sont en tous les cas très maigres par rapport aux perspectives au plan de l’affluence future, aucune structure d’accueil et de soutien n’ayant été prévue à ce jour par l’État.
Le problème du logement
« Nous faisons face à un problème énorme qui est appelé encore à s’aggraver », confie le président de Caritas, le père Simon Faddoul, qui croit savoir que les chiffres sont encore plus importants que ceux qui sont officiellement annoncés, sachant notamment que beaucoup de réfugiés ne s’inscrivent pas auprès des municipalités ou des ONG par crainte de poursuites quelconques. Caritas, qui s’active au Nord et dans la Békaa auprès de 5 000 familles, « ne fonctionne pas encore à pleine capacité » et attend que l’appel d’urgence lancé à ses partenaires soit prochainement pris en compte.
Depuis quelques jours, le Haut Comité de secours a tiré
la sonnette d’alarme : ce sont près de 40 familles qui sont menacées
d’expulsion de leurs habitations provisoires, et le chiffre va grandissant,
affirme le porte-parole de l’ONG, Ahmad Moussa. Répartis entre les régions
d’Abou Samra, à Tripoli, de Chok et de Kalamoun, les réfugiés se retrouvent
parfois à plus de 5 familles dans un même chalet, explique le porte-parole qui
précise que les loyers, qui varient entre 200 et 400 dollars, étaient au départ
versés par les ONG. « Mais celles-ci n’arrivent plus à joindre les deux
bouts avec le rythme d’affluence des réfugiés dont les rangs ne cessent de
grossir », dit-il.
Évoquée hier en Conseil des ministres à l’occasion de la demande par le ministre des Affaires sociales, Waël Bou Faour, d’une avance de 100 millions de dollars, la question a failli tourner à la polémique politique lorsque le ministre de la Culture, Gaby Layoun, a traité une partie des réfugiés, en l’occurrence les blessés qui sont pris en charge par le Haut Comité de secours, de « responsables d’opérations terroristes effectuées en Syrie ». Un débat auquel le ministre Bou Faour a mis un terme en affirmant que son département continuera à poursuivre ses efforts dans cette même direction, quand bien même le gouvernement venait de lui refuser l’avance.
« Nous faisons face à un fait accompli que personne n’a choisi », a indiqué M. Bou Faour à L’Orient-Le Jour, insistant pour que ce dossier « reste loin des tiraillements politiques », même s’il est conscient « des craintes démographiques, sécuritaires et politiques » que suscite ce drame. « L’État est responsable et doit s’acquitter de son devoir envers les réfugiés », souligne le ministre. Selon lui, ce ne sont pas les vivres, ni les médicaments, encore moins les besoins de première nécessité qui manquent. Le seul problème, dit-il, c’est le logement qui devient de plus en plus pressant et auquel il va falloir trouver une solution au plus tôt, non seulement pour accueillir les nouveaux venus, mais aussi pour reloger les réfugiés qui ont été généreusement reçus par des proches à eux, notamment à Wadi Khaled, lesquels, plusieurs mois plus tard, ne peuvent plus se permettre de soutenir les réfugiés, d’autant qu’il s’agit, dans la plupart des cas, de familles assez démunies au départ.
Tout en étant convaincu que l’État doit absolument intervenir à ce niveau, le ministre Bou Faour croit savoir que la meilleure solution serait que le gouvernement prenne la décision d’ouvrir les écoles officielles pour les transformer en logements temporaires. Autre besoin pressant selon lui, celui de « planifier » l’aide et la stratégie à adopter à l’avenir à l’égard des réfugiés, avant que le dossier ne devienne explosif. Cela suppose, entre autres, l’enregistrement par l’État des personnes qui sont entrées au Liban, même illégalement ; une mission que le ministère de l’Intérieur et la Sûreté générale semblent prêts à gérer, en recevant les réfugiés à cette fin, confie M. Bou Faour. Encore faut-il voir dans quelle mesure les réfugiés, dont la plupart sont des sympathisants de la révolution, se plieront à cette mesure.
Le recensement s’impose
Pour le député du Nord Mouïn Merhebi, le recensement des personnes qui sont entrées au Liban est fondamental, non seulement pour l’État libanais, pour sa sécurité, mais aussi afin d’effectuer un suivi sur le terrain, de connaître les besoins de chacun et de rationaliser le processus d’aide médicale, notamment. Le député qui, dès le début, s’est activé sur le terrain à titre personnel mais également au nom du courant du Futur, dénonce le laxisme dont font preuve les Nations unies ainsi que l’État libanais. « Ce que nous avons fait jusque-là est du simple replâtrage », souligne-t-il. « Actuellement, il y a des familles entières qui se retrouvent dans les rues sans un toit », dit-il, en affirmant que les associations n’ont plus de quoi payer les loyers des réfugiés. Le député s’étonne notamment du fait que le ministère de la Santé n’a pas encore pris l’initiative de mettre sur pied une équipe médicale qui puisse s’enquérir de l’état de santé des réfugiés.
Tout en admettant que l’État a fait preuve d’une grande compréhension à l’égard de ceux qui sont rentrés illégalement – « en s’abstenant désormais de les rapatrier en Syrie » –, le député dénonce toutefois les exactions commises par l’armée libanaise aux barrages, où les soldats recourent souvent à la violence à l’encontre des réfugiés, en procédant souvent à des arrestations. Et le député d’éluder enfin la question de savoir pourquoi le courant du Futur n’a avancé à ce jour aucune aide substantielle aux réfugiés, se contentant d’affirmer « que tout le monde y a mis du sien ». La réponse viendra d’un membre du courant du Futur qui a voulu garder l’anonymat et qui rappelle que l’ancien chef de gouvernement, Saad Hariri, a des problèmes d’argent sérieux depuis plus de deux ans, à l’instar de son courant.
Il reste que l’appel pressant de la société civile pour un élargissement de l’aide et une meilleure planification de celle-ci ne saurait être occulté, tant il est vrai que la question des réfugiés risque de générer des drames humains et de venir compliquer encore plus le paysage politico-sécuritaire libanais. Encore faut-il éviter à cet égard de faire systématiquement l’amalgame entre certains incidents sécuritaires commis par des Syriens et le dossier des réfugiés en tant que tel, ces derniers étant peu susceptibles de rééditer une violence qu’ils ont dénoncée et qu’ils fuient comme la peste.
http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/753181/Les_refugies_syriens+%3A_une_veritable_bombe_a_retardement.html
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