Jeanine Jalkh
Tous ceux qui ont misé sur des révélations tonitruantes au premier jour du témoignage de Walid Joumblatt devant le Tribunal spécial pour le Liban sont probablement restés sur leur faim hier. Attendu avec grand intérêt par nombre d'observateurs et de médias, le passage du leader druze devant le TSL aura toutefois servi à apporter un éclairage supplémentaire, dans un style propre à M. Joumblatt, confortant les faits déjà recueillis par la cour lors de témoignages précédents.
Deux éléments saillants ont toutefois marqué le récit du témoin décryptant le contexte politique qui a précédé l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri : les détails sur l'assassinat de son père, Kamal Joumblatt, en 1977, un crime que Walid Joumblatt impute sans aucune hésitation au régime syrien, et l'élimination par ce régime d'un cortège d'officiers syriens, que le leader druze considère liés de manière directe ou indirecte à l'assassinat de Rafic Hariri, en février 2005. Évoquant les morts subites de Ghazi Kanaan, Jameh Jameh, Kassef Chawkat et Rustom Ghazalé, des personnalités parmi les plus haut placées à Damas, Walid Joumblatt a dit tout haut ce que nombre de Libanais et d'observateurs internationaux pensent tout bas depuis un certain temps.
Avec un calme surprenant, le député du Chouf a passé en revue l'historique de sa relation avec le régime syrien qui remonte au lendemain de l'assassinat de son père, en 1977. Convaincu dès les premiers instants que le régime syrien était derrière l'assassinat de Kamal Joumblatt, qui s'était opposé à l'entrée des troupes syriennes au Liban, il cite les propos prononcés par son père devant l'ancien président syrien Hafez el-Assad : « Il lui avait dit : je n'entrerai pas dans ta prison », a raconté le chef du PSP.
Une enquête a effectivement eu lieu suite à l'assassinat sans aboutir, le dossier ayant été enterré à la Cour de justice. « Le juge (d'instruction) Hassan Kawass était excellent. Il a pris en charge l'enquête qu'il a pratiquement finalisée. Je garde chez moi le rapport de cette enquête qui retrace les détails de l'opération, à commencer par la voiture qui a suivi Kamal Joumblatt. Le leader du PSP a expliqué comment ils (les criminels) sont descendus de la voiture, comment ils ont tué son père dans les environs de Baakline, puis comment « le véhicule s'est dirigé vers le siège des services de renseignements syriens, à Sin el Fil, que présidait à l'époque le colonel ou le général Ibrahim Hwayji », a-t-il dit.
Bachar, un orientaliste
Et pourtant, Walid Joumblatt le dit à plusieurs reprises, il n'avait d'autre choix que d'aller serrer la main des assassins. Un choix qui lui était dicté par les circonstances politiques et l'intérêt de la nation en proie aux vents du complot et à l'occupation.
Après Taëf, Walid Joumblatt a tenté avec Rafic Hariri et l'ancien président Élias Hraoui de créer une opportunité pour habiliter le Liban à se gouverner lui-même. Mais le régime syrien œuvrait constamment à contrer leurs aspirations.
Il a notamment raconté comment Rafic Hariri et Hraoui n'avaient aucun pouvoir sur l'armée du fait de l'emprise syrienne sur le pays et sur l'institution militaire. « L'armée libanaise était sous la coupe de l'armée syrienne et de la présidence syrienne, et ce sous la supervision d'Émile Lahoud », l'ancien président libanais. « Il (Émile Lahoud) recevait des ordres du régime syrien et les transmettait aux services de sécurité libanais », a expliqué M. Joumblatt.
Il a par ailleurs relaté l'entretien au cours duquel il avait affirmé devant Rustom Ghazalé son opposition à la prorogation du mandat du président Émile Lahoud, en 2003. « Il m'a demandé : vous êtes avec nous ou contre nous? J'ai répondu : j'ai été avec vous durant les 27 dernières années, mais je crois qu'il y a d'autres candidats plus valables que M. Lahoud. » « J'ai plus tard su que mon rendez-vous avec le président Assad avait été annulé, de même qu'un dîner prévu avec le président Lahoud », a ajouté M. Joumblatt.
Le témoin a relaté alors sa première rencontre avec Bachar el-Assad, en 1999 à Anjar, où il devait le rencontrer à un déjeuner en présence de Ghazi Kanaan, l'ancien chef des SR syriens au Liban à cette époque. « C'était un échange à caractère général. Il ( Bachar) m'a posé des questions sur la localisation des druzes à la manière d'un orientaliste. Des questions superficielles. »
« Lorsqu' il est parti, Ghazi Kanaan m'a dit : "j'aimerais que tu saches qui sont les Assad". » Une phrase qui ne devait avoir d'échos chez le témoin que plusieurs années plus tard, lorsque l'officier syrien a été acculé à orchestrer son propre suicide, a-t-il dit. Le député a enchaîné sur la tenue d'une seconde rencontre avec Bachar, quelque temps après, à Jabal Kassioun. « Un malaise régnait au cours de la rencontre. Les questions étaient orientées sur Rafic Hariri, son rôle, ses projets et sur Solidere. On pouvait déjà percevoir l'adversité qu'il lui portait. »
La déposition des morts
Pour Walid Joumblatt, il n'y a aucun doute sur le fait que le cortège des récentes éliminations de personnalités syriennes est directement lié à l'assassinat de Rafic Hariri. « Tous ceux qui ont participé ou contribué à l'assassinat de l'ancien Premier ministre ont été tués », a-t-il dit, notant toutefois ne pas être certain du fait que Ghazi Kanaan ait pris part au complot. Fait notoire, poursuit le député, Assef Chawkat, ancien ministre syrien de la Défense et gendre de Bachar, a été promu général et désigné à la tête des services de renseignements militaires le même jour, voire même durant l'heure qui a suivi l'assassinat de Rafic Hariri en 2005. « Cependant, il fallait l'éliminer, puisque le maillon qui relie les accusés aux commanditaires devait disparaître », a-t-il souligné.
Est ensuite venu le tour de Jameh Jameh, ancien responsable des SR syriens à Beyrouth, et plus récemment Rustom Ghazaleh, ancien chef des SR syriens au Liban, des personnalités qui auraient pu venir témoigner et apporter des preuves dans l'affaire Hariri, assure M. Joumblatt.
Ce à quoi le président de la chambre, David Re, lui répond en le renvoyant aux règles de procédure et de preuves qui, affirme le juge, prévoient la possibilité même pour des personnes décédées de pouvoir utiliser leur déposition au tribunal. Une remarque qui laisse entendre que Rustom Ghazaleh, notamment, aurait déjà donné sa déposition aux enquêteurs.
Walid Joumblatt est revenu sur l'épisode de la rencontre entre Bachar el-Assad et Rafic Hariri en décembre 2003 au cours de laquelle le président syrien a menacé l'ancien Premier ministre s'il n'avalisait pas la prorogation du mandat d'Émile Lahoud, « l'homme fort du régime syrien au Liban ». « Fais savoir à Jacques Chirac (ancien président français) que s'il cherche à me faire expulser du Liban, je détruirai le pays » (le Liban), avait dit Bachar el-Assad à Hariri, avant de majorer ses propos de menaces dirigées contre Walid Joumblatt. « Walid Joumblatt est soutenu par une partie des druzes. Moi aussi », avait intimé le président syrien.
De retour de Damas, Rafic Hariri s'est dirigé chez Walid Joumblatt, qui lui a conseillé de voter en faveur de Lahoud « par souci pour sa sécurité et son intégrité physique », a poursuivi le témoin.
Le leader druze a enfin réitéré ce que plusieurs avaient affirmé avant lui, à savoir que la résolution 1559 a été concoctée dans les coulisses des grandes puissances, et que Rafic Hariri n'y était pour rien. Toutefois, a-t-il indiqué, si la prorogation n'avait pas eu lieu, la 1559 n'aurait pas existé.
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