Marwan Charbel est un phénomène nouveau sur
la scène politique libanaise qui suscite une certaine polémique. Ses partisans
louent sa transparence et son franc-parler ; ses détracteurs lui trouvent une
certaine candeur qui s’accommode mal, disent-ils, avec la tâche difficile dont
il s’est retrouvé affublé l’an dernier : veiller à la sécurité du pays à
l’un des moments les plus turbulents de l’histoire du pays. Celui, notamment,
de l’effondrement du régime syrien, et de la métastase hezbollahie au Liban.
Qu’à cela ne tienne, le ministre de l’Intérieur est un partisan invétéré du
dialogue interne, seul moyen de sauver l’État et de préserver le Liban des
dangers de la crise syrienne.
L’Orient-Le Jour : Quiconque s’adonne aujourd’hui au plaisir de bloquer les routes, tantôt sous le nom des « amis de l’armée », tantôt pour des causes néanmoins justes comme celle des pèlerins kidnappés en Syrie. Que ressentez-vous en tant que ministre de l’Intérieur face à ce qui paraît être réellement un effondrement de l’État ?
Marwan Charbel : Mon sentiment est que nous sommes à la veille de la fondation d’un nouvel État. Tous ceux qui protestent actuellement sur les routes protestent en fait contre le régime dans lequel nous nous trouvons actuellement et qui est fondé sur le confessionnalisme. J’œuvre personnellement, à partir du ministère de l’Intérieur, pour tenter de mettre en place un nouveau système qui puisse satisfaire tout le monde, aider les citoyens et protéger les institutions. Nous espérons, partant, aboutir au Liban dont nous rêvons tous. Je comprends pour quelles raisons les routes sont coupées et je m’emploie à régler ces problèmes avec sagesse, quand bien même la situation sécuritaire serait un peu difficile. Le problème, c’est le système confessionnel en place depuis 1943.
L’on pourrait vous répondre que le système, quoique déficient, existe, mais que certains cherchent sciemment à le torpiller. Certains ont fait une campagne politique et médiatique en se basant sur le fait, par exemple, que l’État et vous-même seriez incapables d’obtenir la levée du sit-in de cheikh Assir, que l’État est incapable d’établir sa souveraineté sur son territoire, et qu’il a donc besoin en permanence d’une « force d’appoint ». Qu’en pensez-vous ?
Nous traversons des circonstances difficiles pour l’État. Mais l’État et toutes les parties devraient profiter de l’occasion pour se comporter avec sagesse et régler tous les différends politiques et toutes les questions sociales calmement et avec compréhension. Il suffit de s’asseoir, de discuter, de tisser des liens pour rapprocher les gens... Il suffit de cela pour que la moitié du problème soit déjà réglée. Et c’est à l’État de résoudre l’autre moitié du problème, mais en agissant, sans paroles vaines. L’État, c’est aussi les citoyens. Malheureusement, la plupart des citoyens adhèrent à des partis qui sont confessionnels. Les responsables de ces partis se font une concurrence féroce et s’occupent de leurs partis beaucoup plus que de l’État. Aux yeux de ces partis, l’État ne doit être qu’un parrain pour des fonctionnaires issus de leurs rangs. Or le fonctionnaire qui relève d’un parti ne réussit pas généralement dans sa mission, pas en fonction des critères de la citoyenneté, en tout cas. Il sera toujours au côté de son parti, mais pas au côté de l’État.
Certes. Encore une fois, le système est peut-être déficient. Il reste qu’il y a un état de fait dans le pays. C’est un seul camp qui semble miner la souveraineté du pays en profitant d’un pouvoir de fait, en l’occurrence les armes. À titre d’exemple, la résistance à l’armée des trafiquants de drogue dans la Békaa ?
Les partis de la région n’ont rien à voir avec cette histoire. Ils sont contre la culture du haschisch et certaines formations ont même refusé de se rendre sur les lieux.
Ils monopolisent pourtant la représentation parlementaire de la région depuis 1992...
Oui, mais ils sont contre la culture du haschisch. C’est un interdit religieux. La grande erreur est sans doute celle de l’État, qui n’a pas su trouver durant toutes ces années une alternative aux cultivateurs. Nous sommes en train d’œuvrer pour leur trouver cette alternative. La plus grande erreur de l’État est sans doute de n’avoir pas instauré une règlementation pour les partis. Il a laissé une liberté sans garde-fous à ces derniers. Chacun, partant, en fait à sa tête. Les partis devraient respecter la loi, protéger celle-ci et sentir que c’est l’État qui le protège, et pas le contraire.
Il ne faut donc pas qu’un parti se sente plus fort que l’État...
C’est précisément ce que je suis en train de dire. Il doit sentir que c’est l’État qui le protège, pas lui qui protège l’État. Tous les partis pensent qu’ils sont plus forts que l’État. C’est faux. C’est l’État qui protège le parti, pas le contraire.
Durant le mois sécuritaire, il y a eu cette impression que le nombre d’incidents sécuritaires ont augmenté. Qu’en pensez-vous ? Y a-t-il eu, d’après-vous, une volonté de torpiller cette initiative?
Au contraire, c’était très efficace. Nous avons obtenu de très bons résultats. Mais, au Liban, il faut tout raconter au citoyen à la télévision. C’est inadmissible. Nous avons arrêté 1 436 personnes, dont beaucoup parmi ceux qui bloquaient les routes. Ils ont été filmés puis arrêtés. Nous avons aussi saisi beaucoup de voitures aux plaques falsifiées. Ce qui nous empêche d’ouvrir les routes, ce sont des raisons politiques. À partir du moment où il existe une décision politique en Conseil des ministres, l’on peut faire usage de la force pour rouvrir les voies publiques. Si c’était en mon pouvoir, le mois sécuritaire durerait 365 jours, et les citoyens seraient tellement réconfortés. Ceux qui bloquaient les routes, d’ailleurs, étaient contre le blocage des voies publiques. Ils me contactaient en tout cas pour me le signifier. Mais il y a toujours certains qui veulent faire de l’excès de zèle et contrevenir aux ordres.
Qu’en est-il du complot terroriste diabolique qui, dit-on, aurait été déjoué avec l’arrestation de Michel Samaha ?
Laissons la justice faire son œuvre. Je n’aime pas anticiper. Attendons pour voir si cette personne est innocente ou pas. Je possède toutes les informations nécessaires, mais c’est en dernier ressort à la justice de juger.
Concernant la crise syrienne et ses répercussions sur le Liban ?
Ses répercussions sont très grandes sur le pays. Et je crains qu’elles ne le soient encore plus en voyant combien les Libanais sont divisés entre eux. Je ne serai apaisé que lorsqu’ils sauront s’entendre. Le président de la République a lancé un appel au dialogue pour qu’ils oublient leurs conflits politiques et recherchent ensemble un moyen de sauver le pays.
Mais il y a eu des propos clairs de la part du chef de l’État sur la nécessité de respecter la souveraineté de l’État et la Constitution et déterminant ce qui devrait être le cadre de la stratégie de défense. La réponse des concernés faisait état de la nécessité d’une stratégie de libération au côté de la stratégie de défense.
Chaque partie va évidemment essayer de montrer ses muscles. À la table de dialogue, il faut les convaincre que leurs propos nous portent atteinte à tous, autant à nous qu’à eux. Si nous réussissons à le faire, le dialogue aura donné ses résultats. Et même si nous restons en conflit, la seule gestion du conflit est importante. Nous pouvons sauver le pays de cette façon.
Vous ne pensez pas cependant qu’il faudrait qu’il y ait un cadre pour ce dialogue, en l’occurrence l’État, et un arbitre, en l’occurrence le chef de l’État ?
Oui, théoriquement. Mais nous n’en sommes plus aux théories sur le terrain. Il y a toujours beaucoup de différence entre la théorie et la pratique au Liban. Nous ne devons pas dialoguer sur base de conditions préalables ou de petits calculs revanchards. Le Liban ne peut pas être gouverné d’une manière sélective, mais sur base d’une entente. Comme on disait autrefois, s’il existe une entente, même qui va dans un sens contraire à la Constitution, c’est bien. La Constitution est d’ailleurs un acte qui suppose un consensus. S’il existe un différend sur le texte, il faut changer le texte, pas se laisser changer par ce texte.
Vous semblez mettre toutes les parties sur le même pied d’égalité, sans responsabiliser certains plus que d’autres. Pensez-vous que tous assument la même part de responsabilité dans l’état actuel des choses ?
Vous n’entendez pas la violence de leur discours politique ? Cela doit cesser. Nous devons apaiser les esprits. Nous pouvons nous disputer, puis aller déjeuner ensemble quelques minutes plus tard. Mais l’information prend toujours un certain temps avant de parvenir à la rue.
Il y a par ailleurs la question des réfugiés syriens, qui est très importante...
Ce sont des déplacés. Nous espérons qu’ils ne deviendront pas des réfugiés.
Mais au regard du droit international humanitaire, ils devraient bénéficier du statut de réfugiés. 14 ressortissants syriens ont été expulsés récemment par la Sûreté générale. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas vrai. Y a-t-il une loi, que nous devons respecter, ou pas ? J’ai sommé les services de sécurité qui relèvent du ministère de l’Intérieur dès mon arrivée de ne pas se mêler de politique. D’après mon expérience, la politique mine l’institution militaire ou sécuritaire. Lorsque les 14 ressortissants ont été expulsés, nous étions certains qu’aucun d’eux n’avait un problème d’ordre politique avec le régime syrien. Il y a, au Liban, d’autres personnes dont la situation est plus grave aux yeux du régime syrien, notamment certains parmi ceux – c’est le cas de six personnes – qui livrent des armes aux rebelles. Nous ne les avons pas livrés et nous ne les livrerons pas. La Sûreté générale ne fait pas de politique et relève de moi, le ministre de l’Intérieur. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour aider les déplacés syriens, en fonction de nos capacités. Aucun État ne ferait la même chose. Nous n’avons certainement pas voulu nuire à ces 14 personnes ! Ce serait inadmissible. D’ailleurs, il y a deux ou trois d’entre eux qui sont retournés sur le territoire libanais. D’après la loi, tout étranger qui a purgé sa peine doit être expulsé.
Il y a eu des protestations d’ONG internationales comme Humans Right Watch...
Pourquoi ne protestent-ils pas contre la situation des pauvres Irakiens qui sont venus ici du fait de la guerre et qui dorment dans les rues? Ou des Palestiniens qui vivent péniblement dans les camps ? Du point de vue humanitaire, il y a aussi des Libanais qui vivent sous le seuil de pauvreté. Nul ne leur offre de l’aide.
Mais il n’y a plus d’État en Syrie pour lui remettre des ex-détenus. Le régime s’effondre...
Le régime ne s’est-il pas effondré en Irak ? Ou bien c’est toujours les deux poids, deux mesures ? Qui se soucie des Irakiens ? Le dossier syrien est politisé. La politique corrompt même l’humanitaire, lorsqu’elle s’en mêle. Le Liban remplit son devoir. Il l’a fait avec les Irakiens, selon ses capacités, et maintenant avec les Syriens, toujours selon ses capacités. Nous sommes tenus de réserver un excellent accueil aux Syriens, nous leur devons tant, eux qui nous ont accueillis chez eux en 2006. Mais nous ne supportons pas la surenchère. Les adversaires du régime syrien parmi les déplacés ne sont pas inquiétés au Liban. Dans le cadre de la politique de dissociation, nous ne faisons aucune différence entre loyalistes et opposants. Il n’y a aucune politique sélective à l’égard des déplacés syriens. Certains blessés ont été soignés et nous leur avons donné un permis de séjour. Dépolitisons le dossier syrien et laissons les Libanais vivre en paix. Si nous sommes divisés sur la Syrie, nul ne sait ce qui peut arriver. Les agressions syriennes se poursuivent tous les jours. L’essentiel est de consolider l’unité interne.
http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/772913/Marwan_Charbel_a_%3C%3C+L%27Orient-Le_Jour+%3E%3E+%3A_Il_n%27y_a_aucune_politique_selective_a_l%27egard_des_deplaces_syriens.html

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