Victime de maltraitance et de servitude, Nenen s’est
cassé le dos et le pied en essayant de fuir la maison de son employeur. Après
une longue hospitalisation, cette employée de maison philippine est privée de
liberté, sur ordre de la SG, dans l’attente d’être rapatriée.
« Je veux rentrer chez moi aux Philippines. Je veux
retourner auprès de ma famille. » C’est comme une antienne que Nenen D.
répète ces deux phrases, dans un petit bureau de « l’abri » du centre
des migrants de Caritas, à Sin el-Fil, mieux connu sous l’appellation de
« shelter », une alternative au centre de rétention du secteur du
Palais de justice. Cette employée de maison philippine aurait déjà dû être
rapatriée, depuis deux bons mois. Mais son départ attend le bon vouloir de son
employeur et garant, Wissam A., nullement pressé de rendre sa liberté à celle
qui lui donne tant de fil à retordre. Pour ce faire, il devrait d’abord
régulariser sa situation, lui rendre son passeport et lui acheter un billet
d’avion. Mais l’affaire s’éternise et pourrait prendre encore des mois, vu le
manque de coopération de l’employeur. Et ce malgré l’intervention conjointe de
l’ambassade des Philippines, de Caritas et de la Sûreté générale.
C’est avec peine que Nenen se déplace. Elle boite encore. Sa jambe la fait toujours souffrir. Son dos aussi. Elle prend pourtant ses médicaments, mais elle a besoin de séances de physiothérapie qu’elle ne pourra suivre qu’une fois arrivée aux Philippines. Qui se chargerait de les lui payer ici ? Certainement pas son employeur. Les larmes aux yeux, elle raconte son histoire, pour la énième fois. Une histoire de servitude, de maltraitance et d’humiliation, qu’elle nous avait déjà racontée, en février dernier, depuis son lit d’hôpital, à l’Hôpital gouvernemental Rafic Hariri de Ghobeiry. Elle attendait que son employeur veuille bien régler la facture, pour lui permettre de sortir. Une histoire que nous n’avons pas publiée, pour protéger cette femme, qui craignait des représailles, et ne pas entraver son retour auprès des siens.
Vendue à son employeur
Nenen est aujourd’hui déterminée à se faire entendre, en espérant que soit finalement exaucé son vœu le plus cher : retrouver son mari et ses trois enfants qui l’attendent avec impatience, et ouvrir un petit commerce. Porter plainte contre son employeur ? Elle n’y pense pas, du moins pour le moment. « Je veux juste mon billet d’avion », supplie-t-elle, d’une voix à peine audible. Et pourtant, son patron lui doit encore 270 dollars de salaires impayés.
C’est après avoir sauté de la fenêtre de l’appartement de ses employeurs, situé au premier étage d’un immeuble, quelque part à Beyrouth, que cette femme de 46 ans a été admise à l’hôpital, le 16 décembre dernier. « Je ne voulais pas me suicider, dit Nenen avec insistance. Je voulais juste prendre la fuite. Mais en sautant de la fenêtre, j’ai glissé. » Le bas du dos et le pied fracturés, elle a été ramenée illico par le concierge de l’immeuble à ses employeurs. « Je lui ai pourtant demandé de ne pas avertir mes patrons. Je voulais juste m’en aller », raconte-t-elle.
D’abord sommairement prise en charge à domicile au moyen de cachets, Nenen a finalement été hospitalisée et opérée du dos. Elle risquait la paralysie. « On m’a posé une tige métallique dans le dos et on m’a soigné la jambe », explique-t-elle, faisant l’éloge de l’ensemble du personnel soignant qui s’est occupé d’elle. « Mon patron n’arrêtait pas de me dire que ça lui coûterait trop cher de m’hospitaliser. Mais j’étais incapable de marcher ou même de me lever. J’avais très mal au dos et au pied », se souvient-elle. L’employée de maison ne bénéficiait d’aucune assurance médicale, mais elle l’ignorait. Elle ignorait aussi que ses papiers n’étaient pas en règle. « Mes employeurs m’ont embauchée depuis le Koweït. L’agence m’a vendue à eux pour 650 dinars. La famille, qui est libanaise, a ensuite déménagé au Liban il y a six mois, et moi avec. Je ne sais pas s’ils ont légalisé ma situation, indique-t-elle. Tout ce que je sais, c’est que je suis entrée au Liban avec un visa touristique de trois mois. »
Sanctionnée par sa patronne
Nenen égrène, d’une voix monocorde, les mauvais traitements infligés par sa patronne, Racha M., « une jeune femme nerveuse, au tempérament difficile », comme elle la décrit. « Elle me surchargeait de travail, jour et nuit, raconte-t-elle, sans la moindre journée de repos hebdomadaire, ni même la moindre sieste, de temps à autre. Le jour, j’accomplissais les tâches domestiques, et la nuit, je devais donner le biberon aux deux bébés du couple et les porter dès qu’ils pleuraient. » Nenen décrit la confiscation de son passeport, les interdictions de sortie. « Ma patronne m’enfermait à clé dès qu’elle sortait. » Elle évoque aussi les sanctions auxquelles elle été soumise, pour une raison ou une autre. « Madame me faisait frotter les murs. Elle disait qu’elle voulait me voir devenir folle à force de les frotter. »
Nenen relate, de plus, les coupes de salaires, selon le bon vouloir de son employeur, époux de sa patronne. « J’étais payée l’équivalent de 60 dinars koweïtiens (216 dollars américains), alors que mon contrat, à partir du Koweït, était de 65 dinars (234 dollars). Au début de mon contrat, j’ai même travaillé trois mois sans être payée, pour rembourser le prix de mon billet d’avion. » Chaque fois qu’elle effectuait un virement aux Philippines, son patron prélevait 20 dollars de son salaire. Les frais de virement n’étaient pourtant que de 10 dollars. « J’ai demandé à rentrer chez moi, lorsque nous étions encore au Koweït, mais il a refusé de me laisser partir », indique-t-elle.
Pour lui faire avaler ces abus, l’employeur a offert à la jeune femme un téléphone portable. « Je n’avais d’autre choix que d’accepter, pensant que cela me permettrait de garder le contact avec ma famille », souligne-t-elle. Nenen a finalement réalisé que ce téléphone n’était qu’un trompe-l’œil. Sa patronne le confisquait régulièrement et effaçait les messages qu’elle recevait de sa famille. Elle n’a donc pas su que son fils a été mordu par un chien. « Ce jour-là, ma famille a essayé de me joindre, à mon mobile et à celui de ma patronne, mais cette dernière fermait systématiquement la communication. »
Empêchée d’utiliser les toilettes
Le pire ne pouvait qu’arriver. Une nuit, Nenen s’est recouchée, après avoir donné le biberon au nourrisson qui pleurait. « Je n’ai pas entendu l’aîné pleurer, dit-elle. J’étais trop fatiguée. Le lendemain, ma patronne a voulu me punir. Elle m’a demandé de lui donner la carte à puce de mon téléphone mobile. C’était un numéro philippin. Je ne pouvais la lui donner. Je l’ai cachée dans ma bouche. » Nenen raconte alors comment sa patronne l’a agressée, l’a saisie par la gorge pour lui faire cracher la puce, au risque de l’étrangler, et l’a poussée contre une échelle. « Ce jour-là, elle m’a fait dormir par terre, devant la porte, sans rien pour me couvrir, pas même ma serviette. Elle m’a confisqué tous les habits qu’elle m’avait donnés. Elle m’a même empêchée d’utiliser les toilettes, durant une journée entière, en me disant que sa maison n’était pas un hôtel. J’ai fini par faire pipi dans ma culotte. Elle ne m’a pas laissé me changer. » C’est alors que Nenen a décidé de fuir son calvaire.
Victime, comme tant d’employées de maison étrangères, d’employeurs malhonnêtes et esclavagistes, mais aussi d’un système qui ignore délibérément les droits de la main-d’œuvre domestique, Nenen est aujourd’hui privée de liberté, en attendant que son dossier se débloque. Ses employeurs, eux, sont libres comme l’air. L’homme, son garant, ne prend même plus la peine de répondre aux appels répétés de Caritas. « J’espère qu’il fera preuve d’humanité, se contente de dire Nenen. Je veux qu’il sache que je n’aurais jamais sauté de la fenêtre si j’avais été bien traitée par
son épouse. »
Honte à ce Liban qui laisse les bourreaux en liberté et qui enferme les victimes, ces employées de maison étrangères qui n’ont pas leur mot à dire, et qui continuent de subir, en silence, maltraitance et exploitation.
C’est avec peine que Nenen se déplace. Elle boite encore. Sa jambe la fait toujours souffrir. Son dos aussi. Elle prend pourtant ses médicaments, mais elle a besoin de séances de physiothérapie qu’elle ne pourra suivre qu’une fois arrivée aux Philippines. Qui se chargerait de les lui payer ici ? Certainement pas son employeur. Les larmes aux yeux, elle raconte son histoire, pour la énième fois. Une histoire de servitude, de maltraitance et d’humiliation, qu’elle nous avait déjà racontée, en février dernier, depuis son lit d’hôpital, à l’Hôpital gouvernemental Rafic Hariri de Ghobeiry. Elle attendait que son employeur veuille bien régler la facture, pour lui permettre de sortir. Une histoire que nous n’avons pas publiée, pour protéger cette femme, qui craignait des représailles, et ne pas entraver son retour auprès des siens.
Vendue à son employeur
Nenen est aujourd’hui déterminée à se faire entendre, en espérant que soit finalement exaucé son vœu le plus cher : retrouver son mari et ses trois enfants qui l’attendent avec impatience, et ouvrir un petit commerce. Porter plainte contre son employeur ? Elle n’y pense pas, du moins pour le moment. « Je veux juste mon billet d’avion », supplie-t-elle, d’une voix à peine audible. Et pourtant, son patron lui doit encore 270 dollars de salaires impayés.
C’est après avoir sauté de la fenêtre de l’appartement de ses employeurs, situé au premier étage d’un immeuble, quelque part à Beyrouth, que cette femme de 46 ans a été admise à l’hôpital, le 16 décembre dernier. « Je ne voulais pas me suicider, dit Nenen avec insistance. Je voulais juste prendre la fuite. Mais en sautant de la fenêtre, j’ai glissé. » Le bas du dos et le pied fracturés, elle a été ramenée illico par le concierge de l’immeuble à ses employeurs. « Je lui ai pourtant demandé de ne pas avertir mes patrons. Je voulais juste m’en aller », raconte-t-elle.
D’abord sommairement prise en charge à domicile au moyen de cachets, Nenen a finalement été hospitalisée et opérée du dos. Elle risquait la paralysie. « On m’a posé une tige métallique dans le dos et on m’a soigné la jambe », explique-t-elle, faisant l’éloge de l’ensemble du personnel soignant qui s’est occupé d’elle. « Mon patron n’arrêtait pas de me dire que ça lui coûterait trop cher de m’hospitaliser. Mais j’étais incapable de marcher ou même de me lever. J’avais très mal au dos et au pied », se souvient-elle. L’employée de maison ne bénéficiait d’aucune assurance médicale, mais elle l’ignorait. Elle ignorait aussi que ses papiers n’étaient pas en règle. « Mes employeurs m’ont embauchée depuis le Koweït. L’agence m’a vendue à eux pour 650 dinars. La famille, qui est libanaise, a ensuite déménagé au Liban il y a six mois, et moi avec. Je ne sais pas s’ils ont légalisé ma situation, indique-t-elle. Tout ce que je sais, c’est que je suis entrée au Liban avec un visa touristique de trois mois. »
Sanctionnée par sa patronne
Nenen égrène, d’une voix monocorde, les mauvais traitements infligés par sa patronne, Racha M., « une jeune femme nerveuse, au tempérament difficile », comme elle la décrit. « Elle me surchargeait de travail, jour et nuit, raconte-t-elle, sans la moindre journée de repos hebdomadaire, ni même la moindre sieste, de temps à autre. Le jour, j’accomplissais les tâches domestiques, et la nuit, je devais donner le biberon aux deux bébés du couple et les porter dès qu’ils pleuraient. » Nenen décrit la confiscation de son passeport, les interdictions de sortie. « Ma patronne m’enfermait à clé dès qu’elle sortait. » Elle évoque aussi les sanctions auxquelles elle été soumise, pour une raison ou une autre. « Madame me faisait frotter les murs. Elle disait qu’elle voulait me voir devenir folle à force de les frotter. »
Nenen relate, de plus, les coupes de salaires, selon le bon vouloir de son employeur, époux de sa patronne. « J’étais payée l’équivalent de 60 dinars koweïtiens (216 dollars américains), alors que mon contrat, à partir du Koweït, était de 65 dinars (234 dollars). Au début de mon contrat, j’ai même travaillé trois mois sans être payée, pour rembourser le prix de mon billet d’avion. » Chaque fois qu’elle effectuait un virement aux Philippines, son patron prélevait 20 dollars de son salaire. Les frais de virement n’étaient pourtant que de 10 dollars. « J’ai demandé à rentrer chez moi, lorsque nous étions encore au Koweït, mais il a refusé de me laisser partir », indique-t-elle.
Pour lui faire avaler ces abus, l’employeur a offert à la jeune femme un téléphone portable. « Je n’avais d’autre choix que d’accepter, pensant que cela me permettrait de garder le contact avec ma famille », souligne-t-elle. Nenen a finalement réalisé que ce téléphone n’était qu’un trompe-l’œil. Sa patronne le confisquait régulièrement et effaçait les messages qu’elle recevait de sa famille. Elle n’a donc pas su que son fils a été mordu par un chien. « Ce jour-là, ma famille a essayé de me joindre, à mon mobile et à celui de ma patronne, mais cette dernière fermait systématiquement la communication. »
Empêchée d’utiliser les toilettes
Le pire ne pouvait qu’arriver. Une nuit, Nenen s’est recouchée, après avoir donné le biberon au nourrisson qui pleurait. « Je n’ai pas entendu l’aîné pleurer, dit-elle. J’étais trop fatiguée. Le lendemain, ma patronne a voulu me punir. Elle m’a demandé de lui donner la carte à puce de mon téléphone mobile. C’était un numéro philippin. Je ne pouvais la lui donner. Je l’ai cachée dans ma bouche. » Nenen raconte alors comment sa patronne l’a agressée, l’a saisie par la gorge pour lui faire cracher la puce, au risque de l’étrangler, et l’a poussée contre une échelle. « Ce jour-là, elle m’a fait dormir par terre, devant la porte, sans rien pour me couvrir, pas même ma serviette. Elle m’a confisqué tous les habits qu’elle m’avait donnés. Elle m’a même empêchée d’utiliser les toilettes, durant une journée entière, en me disant que sa maison n’était pas un hôtel. J’ai fini par faire pipi dans ma culotte. Elle ne m’a pas laissé me changer. » C’est alors que Nenen a décidé de fuir son calvaire.
Victime, comme tant d’employées de maison étrangères, d’employeurs malhonnêtes et esclavagistes, mais aussi d’un système qui ignore délibérément les droits de la main-d’œuvre domestique, Nenen est aujourd’hui privée de liberté, en attendant que son dossier se débloque. Ses employeurs, eux, sont libres comme l’air. L’homme, son garant, ne prend même plus la peine de répondre aux appels répétés de Caritas. « J’espère qu’il fera preuve d’humanité, se contente de dire Nenen. Je veux qu’il sache que je n’aurais jamais sauté de la fenêtre si j’avais été bien traitée par
son épouse. »
Honte à ce Liban qui laisse les bourreaux en liberté et qui enferme les victimes, ces employées de maison étrangères qui n’ont pas leur mot à dire, et qui continuent de subir, en silence, maltraitance et exploitation.
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