Hamadé au TSL : La polarisation 8-14 Mars a conduit le Liban au bord de l’abîme
Jeanine Jalkh
C'est une audience agitée et tendue au plus haut point qui s'est déroulée hier au Tribunal spécial pour le Liban, lequel a témoigné d'un bras de fer inhabituel entre le président de la chambre de première instance et le conseil de Moustapha Badreddine, l'un des cinq accusés dans l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri.
Consacrée à la poursuite du témoignage du député Marwan Hamadé et son interrogatoire par la partie adverse, l'audience a été levée à deux reprises en cours d'après-midi par le juge David Re. Ce dernier devait notamment consulter ses pairs sur la question de savoir si Antoine Korkmaz, l'avocat de défense affecté à Moustapha Badreddine, pouvait poursuivre sa tâche qui venait d'être sérieusement contestée, voire sévèrement critiquée par le président de la chambre.
Et pour cause : Antoine Korkmaz a entamé son contre-interrogatoire par un épilogue dans lequel il a accusé sans ambages le témoin d'avoir porté un « verdict préalable » aux cinq accusés « avant la fin de la procédure », lui reprochant de faire fi du principe sacro-saint de la présomption d'innocence. Le juge David Re l'interrompt subitement pour lui demander s'il insinuait dans ses remarques une accusation adressée également aux juges et si ses observations portaient sur la teneur des témoignages donnés au cours d'audience.
« Êtes-vous en train de suggérer que les juges ne connaissent pas le principe de la présomption d'innocence? » a demandé le juge Re sur un ton survolté.
« C'est votre dernière chance »
« Non, se reprend M. Korkmaz, je sais que vous connaissez ces principes, Monsieur le président. Mais je faisais allusion aux déclarations de M. Hamadé en dehors du tribunal, notamment devant la presse. » Le juge Re lève l'audience pour un laps de temps pour revenir annoncer à M. Korkmaz qu'il pourra poursuivre, seulement après lui avoir rappelé les règles de procédure qui s'appliquent, lui suggérant de laisser plutôt ses adjoints poursuivre la tâche s'il ne compte pas se conformer aux règles et se contenter de poser ses questions au témoin.
« C'est votre dernière chance », lui intime le président de la chambre qui lui reproche le fait qu'il n'avait même pas assisté aux autres audiences au cours desquelles M. Hamadé donnait son témoignage, laissant entendre qu'il s'agit d'une attitude inappréciée dans les procédures juridiques.
M. Korkmaz s'exécute et commence son interrogatoire en demandant à M. Hamadé s'il connaissait Moustapha Badreddine – alias Sami Issa – ou Safi Badr. Ce à quoi, le député répond par la négative, précisant avoir tout simplement eu écho de l'implication de Moustapha Badreddine dans la tentative d'assassinat de l'émir du Koweït dans les années 80.
L'avocat de défense revient à la charge, soumettant au témoin une liste de numéros de téléphone appartenant à des personnes qui l'auraient contacté après la tentative d'assassinat qui avait visé M. Hamadé en octobre 2004.
« Si vous essayez de suggérer que je connais M. Badreddine, je vous réponds non », tranche le député.
L'audience a été ouverte par l'annonce faite par le juge David Re qui a affirmé que la chambre a accepté la demande formulée par l'accusation d'appeler le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, et le journaliste, Ali Hamadé, à la barre. Citant les motifs avancés par l'accusation, ce dernier a souligné que les témoignages de MM. Joumblatt et Hamadé seraient pertinents pour le tribunal du fait des relations étroites qu'ils entretenaient avec l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. M. Joumblatt, qui est « un homme politique influent », a des connaissances approfondies du climat politique qui régnait notamment durant la période 2004-2005, ajoute le juge.
M. Marwan Hamadé est ensuite invité à commenter une photo dans laquelle on le voit aux côtés de Rafic Hariri, de Bahia, sa sœur, d'Antoine Ghanem et de Pierre Gemayel que l'on perçoit dans le fond, au Parlement.
« C'est une photo qui a beaucoup de sens pour moi. On voit Rafic Hariri souriant juste avant sa mort, souriant en dépit du danger et des menaces qui lui avaient été proférées par le régime syrien et Bachar el-Assad », dit-il, avant de relever que l'ancien Premier ministre était confiant qu'il remporterait les élections législatives.
Craignant que le témoin ne s'enlise une fois de plus dans un exposé politique exhaustif, le juge Re lui rappelle la nécessité de répondre de manière succincte aux questions qui lui sont posées et d'éviter les digressions.
Au tour du chef du bureau des victimes, Peter Haynes, d'interroger le témoin sur les détails de l'attentat qui a failli lui coûter la vie en octobre 2004.
Une lumière blanche intense
« Il n'est peut-être pas aisé de décrire l'instant où la personne est ciblée par un attentat à la voiture piégée. Une vie normale ne doit pas inclure une telle violence. Lorsqu'on a tenté de m'assassiner, j'étais seul dans le véhicule avec mon chauffeur et mon garde du corps, et nous discutions, lors d'une journée tout à fait normale. Et soudain, une lumière blanche intense jaillit, et nous somme projetés en hauteur, tout cela en quelques fractions de secondes », a raconté Marwan Hamadé.
Et de poursuivre : « Je me suis agrippé au siège de la voiture par réflexe, et c'est ce qui a évité que mon crâne ne soit pas plus touché encore, a souligné le député. J'ai tenté de sortir de cet enfer qu'était devenu mon véhicule, mais ma jambe était cassée. J'ai trébuché et j'ai dû me traîner sur le bitume. Mon chauffeur avait les bras cassés, mais il s'en est sorti. Mon garde du corps s'est lui quasiment évaporé, et nous n'avons pas pu retrouver son corps. Ses restes ont été projetés à plus de 200 mètres. C'est un homme qui faisait son jogging qui est venu à ma rescousse, et c'est grâce à lui que j'ai eu la vie sauve. Il m'a transporté à l'hôpital le plus proche. Par la suite, j'ai dû subir plusieurs opérations chirurgicales. »
Après l'attentat, les réactions étaient différentes, a-t-il dit, déplorant le fait que pour certains il fallait poursuivre un train de vie normal, « business as usual, comme on dit », relève le témoin. À ce propos, il évoque la manifestation du 8 mars 2005, placée sous le slogan « Merci à la Syrie », qui, a-t-il dit, avait notamment pour objectif d' « exprimer le rejet de la résolution 1559 ».
Quant à ceux qui ont été ébranlés par l'assassinat de l'ancien Premier ministre, leur réaction a été illustrée par le rassemblement du 14 mars, « où se sont retrouvés plus d'un million et demi de Libanais, une première dans le monde arabe », poursuit le témoin. À partir de cette date, la polarisation entre 8 et 14 Mars était née, a-t-il ajouté. C'est cette polarisation qui conduira le pays « au bord de l'abîme », commente encore M. Hamadé qui décrit l'impact néfaste de cette division sur le pays en termes de sécurité, de croissance et d'immigration. « Le clivage était devenu confessionnel et communautaire », poursuit le témoin.
Le député est ensuite interrogé sur l'enjeu que représentaient les fermes de Chebaa sur la scène politique libanaise et régionale ainsi que sur les relations qu'entretenait Rafic Hariri avec le Hezbollah. Des relations qui « n'étaient pas intimes », mais plutôt « normales », et qui se manifestaient par le recours à des médiateurs les derniers temps.
Le député a enfin souligné qu'une réunion avait eu lieu entre Hassan Nasrallah et Rafic Hariri un mois avant l'assassinat de ce dernier.
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