Par Nada MERHI | 06/04/2011
Zeina Daccache animant un atelier de dramathérapie à l’intention d’étudiants intéressés par cette discipline.
Son action dans l'enceinte des prisons libanaises n'est plus à louer. Le travail qu'elle effectue depuis trois ans déjà auprès des détenus à Roumieh lui a valu une reconnaissance tant nationale qu'internationale. Zeina Daccache, actrice et dramathérapeute engagée dans le social depuis sa tendre jeunesse, a réussi à bouleverser le quotidien de plusieurs dizaines de prisonniers, enlisés dans une monotonie meurtrière.
Armée de son expertise dans le théâtre, de sa formation en dramathérapie et de la seule expérience théâtrale qu'elle a vécue dans le domaine dans une prison italienne à Volterra sous la direction d'Armando Punzo, Zeina Daccache a lancé son projet en 2008 à la prison de Roumieh, grâce à un financement de l'Union européenne et de l'association ADDL, fondée par Mes Ziyad Baroud et Ghassan Moukheiber. Une quarantaine de détenus ont alors répondu présent. «Je ne pouvais pas travailler avec ces personnes sans les connaître et sans qu'elles ne se connaissent les unes les autres, explique Zeina Daccache. J'ai donc initié durant les cinq premiers mois les cours de dramathérapie qui leur ont permis de parler de leurs problèmes, de leurs crimes, de leurs attentes et de se projeter dans l'avenir.
L'un des principaux problèmes de ces détenus est qu'ils se sentent marginalisés, incompris, victimes d'une injustice... «Le projet comprenait deux volets, poursuit Zeina Daccache. Les sessions de dramathérapie, d'une part, et la production d'une pièce de théâtre qui permettrait aux prisonniers de faire entendre leur voix, d'autre part.»
Douze Libanais en colère a ainsi vu le jour. La pièce, qui a été très bien accueillie par le public, a été suivie d'un documentaire dont la réalisation a été financée par le Bureau de la coopération italienne au Liban. Le documentaire a été présenté à plus d'un festival régional et international, et couronné de plusieurs prix.
Une expérience douloureuse
Ce projet de dramathérapie à la prison de Roumieh se poursuit cette année encore. Mais l'ordre du jour a été élargi pour englober des ateliers de fabrication de bougies, dont les recettes sont entièrement versées aux prisonniers, ainsi que des sessions de dynamique de groupe avec un psychologue.
Zeina Daccache invite aussi des dramathérapeutes de renommée internationale à animer des sessions de cinq jours à Roumieh, ainsi que d'autres sessions destinées à former des dramathérapeutes libanais. «C'est une façon d'alimenter positivement ces sessions et d'aider les prisonniers, indique-t-elle. Cela me permet aussi d'enrichir mon travail. Sur un autre plan, j'ai constaté une demande croissante pour ces sessions, formulée surtout par des ONG impliquées dans le travail social. J'ai eu alors l'idée d'initier d'autres personnes à la dramathérapie dans le cadre d'ateliers animés par des professionnels étrangers. Sally Baley est ainsi venue l'année dernière et, récemment, John Bergman, qui a à son actif une expérience de trente années dans des prisons aux États-Unis.»
«Le travail effectué par Zeina est admirable», s'exclame ce dramathérapeute américain, qui poursuit: «Au début, les prisonniers ne savent pas à quoi s'attendre. Ils fréquentent ces sessions pensant qu'ils vont devenir des stars, pour échapper à leur cellule ou à leur solitude... Mais en travaillant, ils constatent que ce n'est pas le cas. En fait, la dramathérapie est une discipline très difficile. Il ne s'agit pas toujours d'une bonne expérience. Celle-ci est souvent trop douloureuse. Mais notre rôle est de les pousser à l'extrême, de leur lancer des défis pour qu'ils confrontent leurs vrais problèmes. Cela leur permettra de se sentir mieux, et les gens font tout pour se sentir mieux.»
Des plans pour l'avenir
Ces ateliers de dramathérapie portent leurs fruits. Une étude étalée sur quinze mois conduite sur deux groupes de prisonniers - le premier formé de personnes ayant participé aux sessions et le second comprenant des détenus n'ayant pas suivi la dramathérapie - a été effectuée pour évaluer l'impact de la première édition de ce projet. L'étude a montré une amélioration à plusieurs niveaux. D'abord, «le sentiment de toute puissance et de grandeur a diminué chez ces prisonniers qui se sont finalement remis en question au niveau identitaire, constate Zeina Daccache. Il en est de même de leur sentiment d'être victime d'une injustice. Désormais, au lieu de projeter sur la société leurs angoisses, ils sont devenus capables d'effectuer un travail sur eux-mêmes. De plus, ils ont banni de leurs discours tout propos concernant les meurtres, ils se sentent moins déprimés et essaient même de dresser des plans pour l'avenir. Les prisonniers expriment par ailleurs le désir de s'adapter au monde extérieur, se sentent plus en sécurité grâce au travail de groupe. Enfin, ils se sentent moins rejetés et ressentent une empathie ou une compassion pour les autres, alors qu'ils n'étaient fixés que sur leur propre personne. Malheureusement, nous n'avons pas les moyens ni la structure nécessaires qui nous permettent de poursuivre le travail avec eux en dehors des murs de la prison.»
Sur un plan plus pratique, les effets positifs de ces ateliers se sont fait ressentir au cours du week-end dernier, lors de la mutinerie qui a éclaté samedi matin à la prison de Roumieh. Zeina Daccache raconte ainsi que les prisonniers qui suivent ces sessions se sont opposés aux mutins qui mettaient le feu au bloc D - bâtiment dans lequel se déroulent les séances de dramathérapie - les empêchant de toucher au théâtre. Ils ont pu sauver les équipements d'une valeur estimée à près de 50000 dollars. «C'est vous dire à quel point ce projet a positivement influencé les prisonniers qui l'ont suivi», fait-elle remarquer.
L'édition 2011 de dramathérapie à la prison de Roumieh sera clôturée en juin par la présentation d'une adaptation de l'œuvre de Robert Gurik, Le pendu, un travail financé par la Fondation Drosos et le Bureau de la coopération italienne au Liban. Si Douze Libanais en colère avait soulevé le problème de la peine de mort, de la discrimination, du racisme, de la routine dans la prison, du jugement porté par la société sur les ex-prisonniers, Le Pendu porte sur l'exploitation de l'autre pour atteindre ses buts, sur le rôle de l'environnement dans la formation d'un criminel, ainsi que sur le désir de se rebeller et de changer les systèmes en vigueur. À suivre...
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