Depuis cette fameuse réunion consacrée à l’examen du projet du ministre du Travail Charbel Nahas, qui a abouti à l’adoption d’un décret sur le relèvement des salaires préparé discrètement par le Premier ministre et le ministre de l’Économie, les efforts se sont déployés pour tenter de recoller les morceaux épars du gouvernement. Cette réunion n’avait pas seulement montré l’importance du clivage entre certaines composantes du gouvernement, notamment le bloc de la Réforme et du Changement et le camp du Premier ministre, celui du président de la République et du leader druze Walid Joumblatt. Elle avait aussi mis en évidence des tiraillements entre les alliés que l’on croyait unis comme les doigts d’une main, à savoir le CPL et le Hezbollah. Le général Aoun pouvait en effet s’attendre à tout sauf au vote des ministres du Hezbollah en faveur du projet de Mikati. C’est pourtant ce qui est arrivé et il a fallu avaler « cette grosse couleuvre ».
Avec sagesse, Aoun a donc préféré attendre les explications de ses alliés avant d’adopter une position publique, alors que ses partisans ne cachaient pas une désillusion certaine. Des voix ont commencé à parler de la résurrection du fameux « accord quadripartite » (entre le courant du Futur, Amal, le Hezbollah et le PSP) qui avait permis en 2005 la victoire de l’ancienne majorité aux élections législatives. D’autres voix ont préféré utiliser un langage plus confessionnel, affirmant qu’en réalité tous les partis et courants musulmans oublient leurs divergences et s’entendent lorsqu’il s’agit de rejeter l’émergence « d’un courant chrétien fort, cherchant à redonner aux chrétiens leur place historique dans l’appareil de l’État et dans le système de prise des décisions ». Enfin, une troisième catégorie de personnes a estimé que le CPL est en train d’appuyer le Hezbollah dans toutes les questions épineuses, allant du dossier syrien à la position envers les États-Unis et l’Occident en général, en passant par le TSL, alors qu’en contrepartie, le Hezbollah place en tête de ses priorités l’unité de la communauté chiite, laissant en plan ses autres alliés, lorsqu’ils ont besoin de son appui... En un mot, derrière le calme affiché, la gronde se faisait sentir, alimentée d’ailleurs par les rivaux et adversaires du CPL, heureux de le voir essuyer des coups, de la part de ses alliés en plus !
Mais le plus grave dans ce qui s’était passé au cours de cette fameuse réunion, c’est que quelques jours auparavant, dans son dernier discours, le secrétaire général du Hezbollah avait déclaré clairement l’appui de son parti aux revendications du bloc de la Réforme et du Changement qu’il avait qualifiées de justes. La crédibilité de sayyed Hassan Nasrallah était donc en jeu et c’est lui qui a réagi en premier, contactant aussitôt le président de la Chambre Nabih Berry et le général Michel Aoun. Nasrallah a d’abord rappelé à Berry l’importance de l’alliance avec le CPL et sa profondeur stratégique, puisque cette alliance n’a pas seulement empêché l’isolement du Hezbollah et de la communauté chiite en général, mais elle a aussi permis d’éviter la division confessionnelle totale du pays en mettant en échec le concept des blocs confessionnels (les chrétiens, les sunnites, les chiites, les druzes...). Berry a, à son tour, rappelé que son mouvement est aussi dans cette alliance et que ce qui s’était passé à la centrale électrique de Zahrani n’avait aucune portée politique et n’était pas dirigé contre le ministre de l’Énergie Gebran Bassil. Selon lui, il s’agissait simplement d’une protestation populaire sans portée politique.
Avec Aoun, Nasrallah a réitéré l’importance qu’il accorde aux positions du général et à l’alliance entre son mouvement et le sien. Il a été convenu de tenir une réunion au niveau « des seconds couteaux » pour débattre de toutes les divergences et pour tenter de trouver des solutions, tout en gardant à l’esprit la nécessité de préserver à tout prix cette alliance.
De fait, les ministres Ali Hassan Khalil et Gebran Bassil se sont réunis en présence du conseiller de Nasrallah pour les questions politiques Hussein Khalil et ils se sont entendus à tenir des réunions régulières avant les séances « importantes » du gouvernement et de coordonner en permanence leurs positions. Il a été aussi convenu de faire en sorte d’accélérer l’action gouvernementale, notamment dans les dossiers réclamés par le bloc du Changement et de la Réforme, comme les questions sociales et les nominations. Le président de la Chambre s’est chargé de mettre Mikati et Joumblatt au courant de ces nouvelles dispositions. Ce qui s’est d’ailleurs fait sentir dans les dernières déclarations de Joumblatt. Cet accord tacite a toutefois été critiqué par le président de la République qui s’est insurgé contre « cette nouvelle troïka ». Des contacts ont été aussitôt entrepris pour l’inclure dans cette entente. Une réunion a été fixée entre Sleiman et Aoun au palais de Baabda, dans ce but. Même si les deux hommes ne semblent pas s’être entendus sur un nom pour la présidence du Conseil supérieur de la magistrature, il serait désormais question de revenir au mécanisme trouvé par le ministre Mohammad Fneich pour les nominations dans le précédent gouvernement et qui consistait à ce que le ministre concerné propose trois noms qui seraient soumis au vote du gouvernement.
En principe, il ne devrait donc plus y avoir de conflits majeurs qui risqueraient de faire éclater le gouvernement. Au contraire, maintenant que la question du financement du TSL a été dépassée, les questions litigieuses ne portent plus sur le fond, mais sur les détails, et la tendance est de recourir au vote lorsque cela est nécessaire. L’action du gouvernement devrait profiter de cette nouvelle ambiance. Au moins pour quelques mois.
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