Béchara Maroun
Human Rights Watch (HRW) a rendu public hier son rapport mondial annuel visant à évaluer les pratiques en matière de droits humains dans plus de 90 pays. À l'hôtel Riviera, le directeur adjoint pour le Moyen-Orient de HRW, Nadim Houry, a dévoilé le chapitre consacré au Liban, en présence du directeur exécutif Kenneth Roth, qui a assuré que l'instabilité dans le monde en 2014 a aggravé la situation des droits de l'homme et que « de nombreux gouvernements estiment que ces derniers sont un luxe ou une contrainte durant les périodes de crise, alors qu'ils devraient être une réflexion au sujet des valeurs humaines et morales et aider à la résolution des problèmes ».
Fidèle au thème général du rapport, le chapitre consacré au Liban indique que la détérioration de la situation sécuritaire a eu un impact négatif sur les protections des droits humains au pays du Cèdre, notamment du fait que « le gouvernement a adopté des restrictions très larges qui pèsent sur les réfugiés syriens ». Sur ce plan, Nadim Houry a dénoncé les nouvelles mesures pour réguler l'entrée des Syriens au pays, et qui « empêchent à des personnes fuyant la mort de trouver refuge au Liban, contrairement aux traités et conventions internationales ». « Par ailleurs, de nombreux Syriens ont eu des difficultés à renouveler leurs papiers, des mesures qui coûtent parfois cher, a poursuivi M. Houry. Cela a poussé de nombreux Syriens à perdre leur statut. Suite à des affrontements entre des militants extrémistes basés en Syrie et l'armée libanaise, en outre, les réfugiés syriens ont été victimes de mesures de représailles de plus en plus importantes, telles que des couvre-feux imposés par les municipalités, des expulsions forcées et des actes de violence, suscitant cependant peu de réactions de la part des autorités libanaises. Des Syriens non munis d'armes ont assuré avoir été victimes d'agression mais qu'ils avaient trop peur de porter plainte auprès des autorités. »
Et d'ajouter : « Les forces de sécurité se sont également rendues coupables d'abus au cours de leurs opérations. Certaines personnes suspectées d'être impliquées dans les attentats à la voiture piégée ou dans d'autres attaques ont subi de longues périodes de détention provisoire, et ont rapporté avoir subi des mauvais traitements ou des actes de torture. Plus d'une vingtaine de personnes emprisonnées par l'armée lors d'opérations de sécurité ont raconté à HRW avoir été torturées par les forces de sécurité, notamment à coups de fouet, de bâton, de matraque, et au moyen de chocs électriques. » « Suite aux affrontements de Ersal, par ailleurs, des soldats libanais ont refusé de laisser les Syriens fuir pendant les combats, et des cibles civiles avaient essuyé des tirs à l'aveugle, y compris de la part de l'armée », a-t-il ajouté, appelant l'armée libanaise à plus de transparence et à permettre des investigations sérieuses.
« Pas un luxe... »
Sur un autre plan, Nadim Houry a relevé le report des législatives et la vacance présidentielle, estimant que de nombreux projets de lois relatifs aux disparus de guerre, à la torture, et à la réforme du code civil ont été gelés. Il a toutefois indiqué que l'adoption de la loi contre la violence domestique, « qui reste une grande loi malgré ses défauts », est le seul événement marquant positif en 2014. HRW a, sur un autre plan, rappelé que le Liban devrait mettre en place un mécanisme national de prévention pour visiter et contrôler les lieux de détention, ainsi que l'exige le Protocole facultatif de la Convention contre la torture, et qu'il faudrait enquêter sur les abus signalés et rendre responsables ceux qui les ont commis. Dans son rapport, HRW a aussi rappelé que le Comité des Nations unies contre la torture a publié un rapport dans lequel il estime que la torture au Liban est « une pratique largement répandue et couramment utilisée par les forces de l'ordre et les organismes d'application de la loi ». L'organisation s'est aussi prononcée sur les droits des employées domestiques migrantes. Depuis mai 2014, en effet, le Liban a entrepris de refuser le renouvellement du permis de séjour d'un certain nombre d'enfants nés au Liban de parents migrants à faible revenu, ainsi qu'à ces derniers, ce qui a conduit à des expulsions.
« Les droits de l'homme ne sont pas un luxe dont on doit s'occuper quand le pays prospère. Les autorités nous disent que ce n'est pas le moment de traiter de tels sujets mais nous ne pouvons pas attendre que tous les problèmes politiques soient résolus. Le Liban doit s'atteler à de nombreux dossiers comme celui de la discrimination à l'égard des femmes et doit encore se pencher sur son passé afin de clore le dossier des disparus de guerre », a encore affirmé M. Houry.
Le rapport annuel n'a toutefois pas mentionné l'affaire du raid du hammam turc de Hamra, quand une vingtaine de personnes ont été arrêtées pour homosexualité ni l'atteinte aux informations privées des internautes et bloggeurs par les forces de l'ordre. Quant à l'opération récemment effectuée par l'État dans la prison de Roumieh pour déplacer des islamistes prisonniers, et qui aurait témoigné de nombreux abus aux dires des familles des prisonniers non islamistes, les responsables de HRW ont affirmé n'avoir jusque-là aucune information à ce sujet.
Cette 25e édition annuelle du Rapport mondial de HRW, qui se penche entre autres sur la situation en Palestine et en Égypte, invite dans son introduction rédigée par Kenneth Roth les gouvernements du monde à reconnaître que les droits humains constituent un repère moral efficace lors de périodes agitées, et que les violations de ces droits risquent de déclencher ou d'aggraver de graves problèmes sécuritaires. « En Syrie, les grandes puissances et les États-Unis ne se concentrent que sur l'État islamique et passent outre d'autres atrocités, a-t-il affirmé hier. Mais il faut faire pression sur Bachar el-Assad afin de mettre un terme au lancer de barils explosifs. Les États-Unis doivent montrer qu'ils se soucient de tous les citoyens syriens, et non pas seulement d'une partie d'entre eux. »
En réponse à une question, M. Roth a finalement déclaré à L'Orient-Le Jour que le Liban continue de bénéficier d'une situation bien meilleure, comparée aux pays de la région en ce qui concerne les droits de l'homme. « Nous sommes au moins capables de tenir encore un point de presse », a-t-il noté, en allusion à l'interdiction par l'Égypte à HRW de tenir une conférence de presse suite aux agressions de Rab'aa.
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