Par Philippe Abi-Akl | 07/04/2011
Éclairage La mutinerie de Roumieh n'est pas la première du genre, ni là ni dans bien d'autres centres de détention, au Sud, au Nord et dans la Békaa. Mais cette fois, selon des observateurs avertis, ce qui se passe à Roumieh depuis vendredi serait manifestement le résultat d'un mot d'ordre politique déterminé. Premier indice : le mouvement de révolte a été suivi, et encouragé du dehors, par cellulaires, quelques petites minutes après qu'il eut éclaté. Des parties actives, et influentes, ont donc pris contact avec les prisonniers.
Leur offrant du reste un puissant soutien de terrain, par la fermeture notamment de la route de l'aéroport et de la route internationale Beyrouth-Damas à hauteur de Chtaura, ou encore à Baalbeck. Sans compter, on s'en doute, l'agitation de rue relevée dans le quartier dit Hay Charawné ainsi que dans plusieurs zones de la banlieue sud, où des pneus ont été brûlés pour couper les routes. En signe de protestation contre la répression de la mutinerie.
Donc, comme naguère pour les revendications syndicales, des parties exploitent politiquement les événements actuels. La jonction s'opère principalement avec les éléments détenus pour des causes réputées juteuses, par rapport aux recettes de certaines fractions, comme le trafic de drogue, les traites diverses ou le vol de voitures à grande échelle. Autrement dit, le crime organisé, et l'on est en droit d'imaginer par qui. Quoique rien ne puisse être prouvé. Le fait est qu'en 1996, l'on avait pensé venir à bout du problème. Une amnistie générale avait été en effet décrétée, à la condition qu'il n'y ait pas de récidives. Mais les intéressés, c'est le mot, n'en ont jamais eu cure. La culture du pavot ou du H, les laboratoires clandestins, les exportations tous azimuts n'ont fait que se démultiplier en 15 ans.
Contre-révolte
Politique, oui, mais pas n'importe laquelle. Les détenus en provenance du camp ex-terroriste de Nahr el-Bared ou de Denniyé, les islamistes à tous crins, Fateh el-Islam entre autres, n'ont pas participé à la révolte de Roumieh. Alors qu'ils sont concentrés dans le bloc du bâtiment D où elle s'est produite. Ils ont certifié aux responsables qu'ils n'ont rien à voir avec le mouvement. En balançant même, comme on dit familièrement dans le jargon policier, leurs codétenus soulevés. Pour affirmer que les motivations de ces derniers se rapportent surtout à la marge de liberté, et de profit, en termes de trafic de drogue. Pratique courante dans les prisons. Ces islamistes ont demandé à être dégagés des lieux. Ils ont toutefois mis en garde contre une opération de prise d'assaut par les forces de l'ordre. Estimant que l'on pourrait sortir les mutins par la négociation.
Toujours dans ce cadre, et selon un responsable sécuritaire, les révoltés avaient vainement tenté d'obtenir l'appui des fondamentalistes de Denniyé et du camp de Nahr el-Bared, relancés par trois délégués. Les radicaux l'ont mal pris, ils ont même agressé les mandataires, faisant parmi eux un blessé que l'on a dû hospitaliser.
Allant encore plus loin, les islamistes ont averti les mutins qu'ils n'ont pas l'intention de laisser les choses se dégrader davantage. Ni de permettre l'incendie de la prison ou la destruction de son infrastructure. Cela, après la mise à feu des cuisines et des réservoirs de fuel.
Retour à la politique et à la contre-politique.Après les frictions entre radicaux islamistes et criminels de droit commun relevant d'une autre appartenance, les autorités ont craint qu'il ne se produise à Roumieh des affrontements à caractère confessionnel, entre sunnites et chiites pour tout dire. Ils ont dès lors mis les bouchées doubles pour reprendre le contrôle de la situation. Alarmante, sans aucun doute : prodige des contacts effrénés avec l'extérieur, tous les détenus ou presque se trouvent aujourd'hui armés de lames diverses ou d'objets contondants.
Reste la question du timing. Choisi alors que le gouvernement n'est pas encore formé et que les dirigeants sortants, chargés d'expédier les affaires courantes, ne peuvent pas prendre de décisions déterminantes. Ils ne sont en mesure que d'amortir les coups, mais pas de lancer un programme de fond pour les pénitenciers excessivement surpeuplés : l'on trouve à Roumieh cinq fois plus de prisonniers que les locaux ne peuvent en contenir !
Selon un opposant, l'opération de Roumieh vise d'abord, sur le plan politique, le président Michel Sleiman et Ziyad Baroud. Dans le cadre des efforts pour empêcher le retour au ministère de l'Intérieur de Baroud, qui a pour rival, par rapport à ce poste, le gendre du général Michel Aoun, Gebran Bassil. Il y a aussi un message adressé au Premier ministre désigné, Nagib Mikati. Pour bien montrer que la sécurité n'est plus une ligne rouge. Et que l'on doit comprendre ce qui pourrait se passer, après l'acte d'accusation, si les souverainistes ou les centristes refusent de le désavouer. Sans compter, également, que l'armement hors légalité pose de nouveau un ultimatum indirect, prévenant que nul ne doit plus songer à l'abolir, sous peine d'ennuis graves, commençant par la fermeture des routes internationales ou départementales.
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