Par Nada MERHI | 07/04/2011
Fronde La mutinerie à Roumieh a été totalement maîtrisée par les forces de l'ordre dans la nuit de mardi à mercredi. Toutefois, les parents poursuivaient hier leur sit-in devant la prison, réclamant une amnistie générale et s'emportant violemment contre des agents des Forces de sécurité intérieure et des militaires.
Une ambiance grise et morose régnait hier matin dans le périmètre de la prison de Roumieh, où la mutinerie a été entièrement maîtrisée à 4h, au terme d'une opération militaire lancée par les forces spéciales. Le calme précaire qui a marqué la rue en matinée a rapidement viré à la violence avec l'arrivée des bus transportant les parents des prisonniers, en majorité des femmes. Brandissant des banderoles et scandant des slogans appelant à « l'amnistie générale », ces dernières ont coupé la route devant l'entrée principale de la prison. Déchaînées, elles mettaient le feu à des cartons et des brindilles ramassés sur place. De temps à autre, des cris réclamant le droit de visite « pour nous enquérir de nos prisonniers » s'élevaient, suivis rapidement par des jets de pierres lancées en direction des unités spéciales des Forces de sécurité intérieure (FSI) qui se sont déployées massivement à Roumieh ou encore contre les véhicules des FSI qui arrivaient sur les lieux.
« Les parents sont dans leur droit », affirme un jeune homme qui observait la scène de loin, le mot d'ordre hier étant de « laisser uniquement les femmes mener la bataille ». « Mon père est arrêté depuis huit mois pour trafic de drogue et nous n'avons pas de ses nouvelles, poursuit-il. Il souffre d'un cancer à l'estomac et nous n'arrivons pas à lui faire parvenir les médicaments ou à le transporter à l'hôpital. Le problème de cette prison, c'est que tous les accusés sont mis dans un même sac quel que soit leur crime. Les toxicomanes et les personnes souffrant de maladies mentales ne doivent pas être ici, mais dans des centres spécialisés. Il en est de même pour les mineurs. Je ne cherche pas à blâmer le gouvernement, mais celui-ci doit prendre en considération la situation des prisonniers et ne plus les négliger.
C'est ça la démocratie. »
Ce n'est pas l'avis d'une femme de vingt ans, dont le mari et « six autres membres » de la famille sont emprisonnés et qui ne se lassait pas de lancer des pierres en direction des forces de l'ordre, les traitant de tous les noms. « Tout peut se résoudre par la violence. Nous voulons les tabasser comme ils le font avec nos conjoints », crie-t-elle, joignant l'acte à la parole.
Plus loin, une fillette de douze ans cherche des pierres. Pourquoi n'est-elle pas à l'école ? « J'ai pris un congé pour accompagner ma mère, dit-elle. Mes deux oncles sont emprisonnés. Je veux qu'ils soient libérés et qu'ils soient amnistiés. » Quel crime ont-ils commis ? « Je ne sais pas », affirme-t-elle. Puis elle tourne le dos et rejoint la foule des femmes déchaînées.
À l'autre bout de la rue, une jeune femme, accompagnée de ses trois enfants, dont l'aînée ne doit pas dépasser les cinq ans, jette des pierres en direction des FSI, une petite fille d'à peine deux ans à ses côtés. « Non, je n'ai pas peur elle, lance-t-elle, le sourire aux lèvres. Elle est à la même enseigne que les autres. »
« Martyrs de l'injustice »
Parmi les manifestantes hier, nombreuses sont celles qui ont réclamé que « sayyed Hassan (en référence au secrétaire général du Hezbollah) intervienne parce que lui seul leur fait peur ». Des revendications qui se sont multipliées à la sortie d'ex-inculpés dont l'un a déclaré que « les forces de l'ordre ont eu recours à la force avec les prisonniers ». Suite à ces aveux, le jet des pierres s'est intensifié, englobant cette fois-ci des militaires. « L'armée n'a rien à voir là-dedans », se soulève un homme, essayant en vain de calmer les femmes. « Nous ne voulons pas que le dossier soit politisé au détriment de nos enfants, poursuit-il. Nos revendications sont pacifiques et justes. Seuls nos enfants nous importent. Ces derniers sont devenus les martyrs de l'injustice. »
Deux morts et 19 blessés
Face à cette colère de la rue, un calme régnait au sein de la prison où des travaux de restauration des sections endommagées ont été entamés dès 6h, deux heures après la fin de l'assaut. Une délégation du Haut Comité de secours s'est rendue sur les lieux pour faire le bilan des dégâts. De son côté, l'Association justice et miséricorde (AJEM), qui assurait le lien entre les parents et les détenus, veillait à acheminer de la nourriture à la prison, d'autant que la cuisine a été entièrement détruite. « Le spectacle à l'intérieur est désolant, confie le père Hadi al-Aya, président de l'AJEM. De grands espaces ont été entièrement endommagés, comme le centre médical et la cuisine. L'ampleur de cette mutinerie ne peut être mesurée dans l'immédiat. Plusieurs jours sont nécessaires pour cela. » Il précise par ailleurs que la mutinerie a été déclenchée par 20 à 25 % des prisonniers, les autres s'étant réfugiés dans leurs cellules, apeurés.
L'opération militaire entamée mardi à 17h, « suite à une escalade au sein de la prison », a pris fin hier à 4h, souligne un communiqué des Forces de sécurité intérieure, qui précise qu' « un danger planait sur la vie des détenus, d'autant que les portails séparant les différents bâtiments de la prison, auparavant cloisonnés, ont été ouverts ». Le communiqué souligne que les commandements de l'armée et des Forces de sécurité intérieure (FSI) ont décidé de lancer cet assaut « pour éviter que du sang soit versé, pour empêcher une prise de contrôle de la prison, pour maintenir le calme et l'ordre à l'intérieur de l'établissement et suite à un appel au secours lancé du bâtiment réservé aux délinquants et qui était en feu ». Le texte note aussi que « les prisonniers avaient entamé une destruction méthodique de la prison » et « réussi à fabriquer des cocktails Molotov et à mettre la main sur des matériaux tranchants ». Malgré cela, « les forces de l'ordre ont fait preuve d'une grande responsabilité durant l'opération » et « ont tiré des balles à blanc » au cours de l'assaut qui s'est soldé par le décès de Roy Azar. Ce dernier « avait attrapé une grenade assourdissante » lancée par les forces de l'ordre au moment de l'opération. Celle-ci a explosé alors qu'il la portait près de sa poitrine. Quatorze prisonniers et cinq agents des forces de l'ordre ont de même été légèrement blessés et transportés dans des hôpitaux où ils ont reçu les soins nécessaires. Hier matin, le corps de Jamil Abou Anné a été retrouvé dans sa cellule. Ce dernier aurait succombé à une crise cardiaque, selon le rapport du médecin légiste. Un rapport rejeté par les parents du défunt, ces derniers étant convaincus que Jamil Abou Anné a été victime de maltraitance.
Hier, les parents des prisonniers et des mutins se sont dispersés, assurant qu'ils reviendront tous les jours jusqu'à ce qu'ils obtiennent gain de cause. Ils se sont donné rendez-vous aujourd'hui à 10h devant le Palais de justice.
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