Le président de la République a remis à titre posthume au symbole de la cause des disparus et des détenus libanais en Syrie les insignes de la médaille d'argent du Mérite.
Le rassemblement hier sur les lieux de la « tente » des familles des victimes de disparition forcée en Syrie et au Liban, dans le jardin Gebran Khalil Gebran, au centre-ville de Beyrouth, près de l'Escwa, était plus triste qu'à l'accoutumée. Comment ne le serait-il pas, alors que Ghazi Aad, le héros de cette cause, n'y retournera plus jamais ? Décédé mercredi à l'aube au terme de trois semaines de coma profond, il est parti à pas feutrés, laissant derrière lui des centaines de familles éplorées, des proches et des amis qui ne s'en remettront jamais tout à fait.
Pour ce dernier adieu, sa famille proche et élargie a tenu à lui rendre un hommage ultime sur les lieux mêmes du sit-in. Dès les premières heures de la journée, les familles des Libanais détenus arbitrairement dans les geôles syriennes, celles des disparus et kidnappés au Liban, ainsi que les amis ont commencé à se rassembler dans le jardin pour faire leurs adieux « au symbole de cette cause humanitaire » pour laquelle il a lutté toute sa vie, en quête de la vérité sur le sort des centaines de disparus dans les prisons syriennes.
« Son décès restera une plaie ouverte », « Comment allons-nous poursuivre le combat sans lui ? », « Personne comme Ghazi ne saurait défendre notre cause », « Ghazi, c'est l'histoire d'une nation »... Hier, les familles se sentaient orphelines, perdues sans le porte-parole de Solide (Soutien aux Libanais en détention et en exil), qui constituait la source de leur force dans une attente qui n'a que trop duré.
Peu après 10h, le cercueil de Ghazi Aad recouvert du drapeau libanais et porté à bout de bras est accueilli par un tonnerre d'applaudissements et un jet de riz et de pétales de rose. Il est posé devant la tente, recouverte pour l'occasion de ses portraits, aux côtés de ceux de nombreux disparus. Les sanglots sont difficiles à réprimer. Les larmes coulent à flots.
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« Envers et contre tous »
Après une courte prière, ses compagnons de lutte se sont adressés à lui pour la dernière fois. Se prononçant au nom des familles des Libanais détenus dans les prisons syriennes, Nathalie Eid a ainsi confié que Ghazi Aad était « un frère, un père et un ami », qui s'est tenu aux côtés des familles durant les moments les plus difficiles de leur vie. Il était « notre référence », « le pouls de notre cause », « notre identité ». Et de promettre de poursuivre le combat.
Wadad Halaouani, présidente du comité des familles des disparus et kidnappés au Liban, a pour sa part rappelé le parcours de Ghazi Aad et le combat qu'ils ont mené ensemble, notamment à partir 2005, date à laquelle la tente a été dressée dans le jardin. Elle a souligné qu'avec la disparition de Ghazi Aad, « le poids des responsabilités m'incombe davantage », mais que les familles sont « déterminées à poursuivre le combat ». « Cette lutte est la compensation de ta perte », note-t-elle.
Le président du Centre libanais des droits humains (CLDH), Wadih el-Asmar, a de son côté affirmé que « si le Liban était doté d'un panthéon, c'est là qu'on déposerait ton corps, Ghazi, et l'on graverait dans le marbre, pour l'éternité : "Merci Ghazi, au nom du Liban et de son peuple" ». Puis ajoutant : « Tu as porté très haut et vaillamment la cause des détenus et des disparus, Ghazi. Tu l'as inscrite dans l'histoire, mais aussi et surtout dans l'avenir de ce pays. Et en ton nom nous continuerons ce combat. »
Pour sa part, le rapporteur de la commission parlementaire des Droits de l'homme, Ghassan Moukheiber, a affirmé que « Ghazi est notre cause, et c'est une cause qui ne mourra jamais ». Il a exhorté les familles à promettre à Ghazi Aad de revenir sur les lieux du sit-in et de ne pas les quitter tant que le dossier n'est pas clos. Appelant à un rassemblement le dimanche 26 novembre en hommage au grand disparu, M. Moukheiber s'est engagé à « œuvrer pour la promulgation de la loi » pour la formation « envers et contre tous » de la commission nationale pour les victimes de disparition forcée en Syrie et les disparus au Liban, qui est toujours en examen au Parlement.
Le chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Liban, Fabrizzio Carboni, a quant à lui rappelé que de nombreux proches de disparus ont quitté ce monde avant d'avoir été fixés sur le sort de leurs bien-aimés. « Nous sommes dans une course contre la montre, a-t-il ajouté. Il est important de prendre les mesures nécessaires pour que les milliers de familles restantes puissent obtenir les réponses qu'elles recherchent. » Et de conclure en affirmant que « le CICR ne laissera pas tomber » Ghazi Aad qui a voulu que chacun poursuive ce combat dans la mesure de ses moyens. « Nous appelons les autorités à ne pas le laisser tomber à leur tour et à mettre en place un mécanisme susceptible de permettre de faire la lumière sur le sort des disparus », a conclu M. Carboni.
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À Dlaybé
Sous les applaudissements, le cercueil de Ghazi Aad a été par la suite transporté hors du jardin Gebran Khalil Gebran. Le convoi s'est dirigé vers son village natal de Dlaybé, dans le Metn, pour le dernier adieu. Les obsèques se sont déroulées en l'église de l'Immaculée Conception et étaient présidées par Mgr Camille Zeidan, représentant le patriarche maronite. Elles se sont déroulées en présence notamment du ministre des Affaires étrangères et représentant le chef de l'État Gebran Bassil, de Ghassan Moukheiber, représentant le président du Parlement et le Premier ministre Tammam Salam, de l'ancien député Antoine Andraos, représentant le Premier ministre désigné Saad Hariri, ainsi que de nombreux députés, ministres, responsables du Courant patriotique libre et représentants d'autres partis et courants.
L'élégie patriarcale a été lue par le père Rafic Warcha. Puis M. Bassil a remis à Ghazi Aad à titre posthume les insignes de la médaille d'argent du Mérite, au nom du chef de l'État, Michel Aoun.
Un dernier hommage a été rendu à Ghazi Aad sur le parvis de l'église. Dans les allocutions prononcées à cette occasion, la famille du disparu et ses amis ont encore fait le serment de « poursuivre le combat » pour que les détenus libanais en Syrie sortent enfin de leur prison, les disparus de leurs limbes et, surtout, le Liban de sa honte, insupportable, indigne : celle de l'amnésie volontaire et servile.
Source & Link : L'orient le jour
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