Par Michel TOUMA | 21/07/2011
Hasard ou coïncidence, Nagib Mikati semble lever les bras en signe d’exaspération, hier, lors du Conseil des ministres à Baabda. Photo Ibrahim Tawil
C’est pratiquement le régime de la douche écossaise... Une douche écossaise honteuse et inadmissible. Un rapide rappel des faits permet de l’illustrer clairement.
La semaine dernière, le patriarcat maronite paraissait déterminé à relancer et à prendre en main le dossier des empiétements illégaux sur les biens-fonds de l’Église maronite dans la localité chiite de Lassa (caza de Jbeil) de la part d’habitants proches du tandem Hezbollah-Amal. Des topographes, accompagnés de responsables de la Ligue maronite, chargés d’effectuer les relevés nécessaires sur ce plan, ont toutefois été confrontés à l’intervention musclée et agressive des habitants concernés qui refusent que les relevés topographiques requis soient effectués, de peur que leur agression contre les biens d’autrui ne soit répertoriée et officiellement enregistrée.
Dans la journée de mardi, une équipe de journalistes de la MTV qui se proposaient de filmer un reportage sur ce dossier ont été la cible d’une intervention tout aussi musclée et d’une agression en bonne et due forme de la part de ces mêmes habitants-squatters ayant empiété sur les biens-fonds d’autrui. Intervenant après l’incident ayant visé la délégation de Ligue maronite et des topographes, cette atteinte à l’équipe de la MTV avait suscité, mardi, l’ire du ministre de l’Intérieur Marwan Charbel. Les milieux du ministre affirmaient mardi que M. Charbel était déterminé à sévir contre les agresseurs et à envoyer sans tarder (aujourd’hui, jeudi) une unité forte de cinquante membres des FSI à Lassa afin que les topographes puissent poursuivre leur tâche, les FSI ayant reçu, de la part de M. Charbel, des instructions fermes d’appréhender toute personne qui tenterait d’entraver l’action des experts en topographie ou celle des journalistes. Les mêmes milieux rapportaient aussi que M. Charbel soulignait devant ses visiteurs qu’il ne pouvait pas accepter que ses prérogatives en tant que ministre de l’Intérieur soient bafouées de la sorte et qu’il était ainsi déterminé à réagir... Mais cela, c’était mardi soir ...
Dans la journée d’hier, la double détermination et la fermeté manifestées aussi bien par le patriarcat maronite que par le ministre de l’Intérieur se sont envolées en fumée comme par enchantement, par un coup de baguette magique. Que s’est-il donc passé entre mardi soir et mercredi dans la journée ? Il est certes encore trop tôt pour apporter une réponse tranchée à cette interrogation. Si tant est que l’on pourra obtenir sous peu une telle réponse. Mais de là à supposer que la baguette magique du Hezbollah et de ses alliés fidèles (en l’occurrence le CPL) a fait rapidement son effet, il n’y a qu’un pas qu’il n’est pas très difficile de franchir. Là aussi, les faits parlent d’eux-mêmes. Dans une déclaration à la MTV, hier soir, le ministre de l’Intérieur a subitement changé de ton au sujet de la double agression perpétrée par les habitants de Lassa (sans compter celle ayant visé une autre équipe de la MTV dans la banlieue sud, lundi). M. Charbel a ainsi souligné qu’il fallait prendre en considération « les spécificités de chaque région », qu’il fallait faire preuve de « compréhension » à l’égard de la réaction des agresseurs, relevant que si ces derniers agissent comme ils l’ont fait, c’est parce qu’ils ont ... « peur » ! Le ministre s’est évidemment abstenu de préciser « peur » de qui et de quoi ...
La réunion à Bkerké
Autre mystérieuse dérobade enregistrée hier : celle du patriarcat maronite. Le dossier des empiétements de Lassa a fait l’objet en fin de journée d’une réunion qui s’est tenue à Bkerké sous la présidence du patriarche Béchara Raï, en présence des députés Simon Abiramia et Émile Rahmé, et de représentants du tandem Hezbollah-Amal. Résultat de ces « concertations » : l’opération de relevé topographique (qui devait reprendre aujourd’hui) est gelée pour une période de deux mois (aucune explication n’a été donnée sur les raisons de ce report) ; durant ce laps de temps, les « agressions et les empiétements » seront ... interdits (sic !) ; le poste de gendarmerie de Lassa sera renforcé ; et une unité de 75 membres des commandos des FSI sera prête à intervenir à tout moment en cas de besoin.
En langage « libanais », cela signifie (du moins en première analyse) noyer le poisson dans l’eau et étouffer, voire clore, l’affaire des empiètements des habitants-squatters sur les biens-fonds de l’Église maronite. Car d’ici à deux mois, l’opinion publique et les victimes des agressions immobilières auront eu tout le temps d’oublier le contentieux, permettant ainsi aux squatters de dormir en paix.
Il aurait été possible de penser que le but recherché est de calmer le jeu afin que le relevé topographique puisse se poursuivre dans un climat serein. Une petite phrase lancée tard hier soir par le député Simon Abiramia tend à confirmer toutefois que l’objectif est bel et bien de noyer le poisson dans l’eau et d’étouffer l’affaire. « Les biens-fonds là-bas (à Lassa) ne sont ni chiites ni maronites, mais ils relèvent (le député a eu la décence de ne pas utiliser le terme « appartiennent à ») d’individus qui n’appartiennent à aucun parti » (ce qui ne change rien au problème, sans compter que ces biens-fonds « appartiennent » bel et bien à l’Église maronite). Et le député d’ajouter, cerise sur le gâteau : « Comme d’habitude, au Liban, certains pêcheurs en eaux troubles exagèrent les choses et les sortent de leur contexte » (!).
En Conseil des ministres
La « baguette magique » qui a subitement provoqué un changement de cap en vingt-quatre heures s’est sans doute manifestée de manière latente lors du Conseil des ministres qui s’est tenu hier après-midi au palais de Baabda et au cours duquel le ministre de l’Intérieur a présenté un exposé sur la question, indiquant, fort à propos, que « l’affaire est actuellement traitée et que la solution devrait intervenir entre ce soir (hier) et demain au plus tard (aujourd’hui) ».
De son côté, le président Michel Sleiman, après avoir appelé le gouvernement à plancher sur les problèmes de « la cherté injustifiée » et du pourvoi aux postes vacants au sein de l’administration, a souligné la nécessité d’« appliquer la loi à l’adresse de ceux qui se rendent coupables d’agressions contre les biens, les personnes ou les fonctionnaires », allant même jusqu’à ajouter qu’il allait « arrêter » les responsables de ces agressions.
Le Premier ministre, quant à lui, a été plus nébuleux, exprimant son « souci » du « respect des lois se rapportant à la propriété privée ».
Souhaid accuse...
Loin, très loin de ce climat de tergiversations, l’ancien député Farès Souhaid s’est élevé hier soir contre « l’accord » conclu en fin de journée à la suite de la réunion tenue à Bkerké (et qui doit faire l’objet d’un communiqué aujourd’hui). « Ce qui s’est passé durant la réunion est honteux, a-t-il déclaré. Cela sape le moral des citoyens du jurd de Jbeil. Les députés de Jbeil se sont contentés d’ajourner la solution sans donner de réponse concernant les modalités d’application. C’est de la responsabilité de l’État de contrôler les travaux du cadastre sans prendre en considération les humeurs des uns et des autres. La loi prévoit qu’en cas de litige, les juges doivent trancher. »
Et M. Souhaid de s’interroger sur les raisons du délai de deux mois, accusant sur ce plan les députés de Jbeil de « noyer le poisson dans l’eau et de se soumettre à la volonté du Hezbollah »...
...Car dans cette affaire deux mentalités, deux logiques, voire deux « cultures » (au sens large du terme) s’affrontent : celle de l’État et du droit inaliénable, d’une part, et celle de la « milice », du pouvoir du fait accompli, de l’autre. Et, hier, la première paraît bien s’être résignée devant la seconde.
Dans la journée de mardi, une équipe de journalistes de la MTV qui se proposaient de filmer un reportage sur ce dossier ont été la cible d’une intervention tout aussi musclée et d’une agression en bonne et due forme de la part de ces mêmes habitants-squatters ayant empiété sur les biens-fonds d’autrui. Intervenant après l’incident ayant visé la délégation de Ligue maronite et des topographes, cette atteinte à l’équipe de la MTV avait suscité, mardi, l’ire du ministre de l’Intérieur Marwan Charbel. Les milieux du ministre affirmaient mardi que M. Charbel était déterminé à sévir contre les agresseurs et à envoyer sans tarder (aujourd’hui, jeudi) une unité forte de cinquante membres des FSI à Lassa afin que les topographes puissent poursuivre leur tâche, les FSI ayant reçu, de la part de M. Charbel, des instructions fermes d’appréhender toute personne qui tenterait d’entraver l’action des experts en topographie ou celle des journalistes. Les mêmes milieux rapportaient aussi que M. Charbel soulignait devant ses visiteurs qu’il ne pouvait pas accepter que ses prérogatives en tant que ministre de l’Intérieur soient bafouées de la sorte et qu’il était ainsi déterminé à réagir... Mais cela, c’était mardi soir ...
Dans la journée d’hier, la double détermination et la fermeté manifestées aussi bien par le patriarcat maronite que par le ministre de l’Intérieur se sont envolées en fumée comme par enchantement, par un coup de baguette magique. Que s’est-il donc passé entre mardi soir et mercredi dans la journée ? Il est certes encore trop tôt pour apporter une réponse tranchée à cette interrogation. Si tant est que l’on pourra obtenir sous peu une telle réponse. Mais de là à supposer que la baguette magique du Hezbollah et de ses alliés fidèles (en l’occurrence le CPL) a fait rapidement son effet, il n’y a qu’un pas qu’il n’est pas très difficile de franchir. Là aussi, les faits parlent d’eux-mêmes. Dans une déclaration à la MTV, hier soir, le ministre de l’Intérieur a subitement changé de ton au sujet de la double agression perpétrée par les habitants de Lassa (sans compter celle ayant visé une autre équipe de la MTV dans la banlieue sud, lundi). M. Charbel a ainsi souligné qu’il fallait prendre en considération « les spécificités de chaque région », qu’il fallait faire preuve de « compréhension » à l’égard de la réaction des agresseurs, relevant que si ces derniers agissent comme ils l’ont fait, c’est parce qu’ils ont ... « peur » ! Le ministre s’est évidemment abstenu de préciser « peur » de qui et de quoi ...
La réunion à Bkerké
Autre mystérieuse dérobade enregistrée hier : celle du patriarcat maronite. Le dossier des empiétements de Lassa a fait l’objet en fin de journée d’une réunion qui s’est tenue à Bkerké sous la présidence du patriarche Béchara Raï, en présence des députés Simon Abiramia et Émile Rahmé, et de représentants du tandem Hezbollah-Amal. Résultat de ces « concertations » : l’opération de relevé topographique (qui devait reprendre aujourd’hui) est gelée pour une période de deux mois (aucune explication n’a été donnée sur les raisons de ce report) ; durant ce laps de temps, les « agressions et les empiétements » seront ... interdits (sic !) ; le poste de gendarmerie de Lassa sera renforcé ; et une unité de 75 membres des commandos des FSI sera prête à intervenir à tout moment en cas de besoin.
En langage « libanais », cela signifie (du moins en première analyse) noyer le poisson dans l’eau et étouffer, voire clore, l’affaire des empiètements des habitants-squatters sur les biens-fonds de l’Église maronite. Car d’ici à deux mois, l’opinion publique et les victimes des agressions immobilières auront eu tout le temps d’oublier le contentieux, permettant ainsi aux squatters de dormir en paix.
Il aurait été possible de penser que le but recherché est de calmer le jeu afin que le relevé topographique puisse se poursuivre dans un climat serein. Une petite phrase lancée tard hier soir par le député Simon Abiramia tend à confirmer toutefois que l’objectif est bel et bien de noyer le poisson dans l’eau et d’étouffer l’affaire. « Les biens-fonds là-bas (à Lassa) ne sont ni chiites ni maronites, mais ils relèvent (le député a eu la décence de ne pas utiliser le terme « appartiennent à ») d’individus qui n’appartiennent à aucun parti » (ce qui ne change rien au problème, sans compter que ces biens-fonds « appartiennent » bel et bien à l’Église maronite). Et le député d’ajouter, cerise sur le gâteau : « Comme d’habitude, au Liban, certains pêcheurs en eaux troubles exagèrent les choses et les sortent de leur contexte » (!).
En Conseil des ministres
La « baguette magique » qui a subitement provoqué un changement de cap en vingt-quatre heures s’est sans doute manifestée de manière latente lors du Conseil des ministres qui s’est tenu hier après-midi au palais de Baabda et au cours duquel le ministre de l’Intérieur a présenté un exposé sur la question, indiquant, fort à propos, que « l’affaire est actuellement traitée et que la solution devrait intervenir entre ce soir (hier) et demain au plus tard (aujourd’hui) ».
De son côté, le président Michel Sleiman, après avoir appelé le gouvernement à plancher sur les problèmes de « la cherté injustifiée » et du pourvoi aux postes vacants au sein de l’administration, a souligné la nécessité d’« appliquer la loi à l’adresse de ceux qui se rendent coupables d’agressions contre les biens, les personnes ou les fonctionnaires », allant même jusqu’à ajouter qu’il allait « arrêter » les responsables de ces agressions.
Le Premier ministre, quant à lui, a été plus nébuleux, exprimant son « souci » du « respect des lois se rapportant à la propriété privée ».
Souhaid accuse...
Loin, très loin de ce climat de tergiversations, l’ancien député Farès Souhaid s’est élevé hier soir contre « l’accord » conclu en fin de journée à la suite de la réunion tenue à Bkerké (et qui doit faire l’objet d’un communiqué aujourd’hui). « Ce qui s’est passé durant la réunion est honteux, a-t-il déclaré. Cela sape le moral des citoyens du jurd de Jbeil. Les députés de Jbeil se sont contentés d’ajourner la solution sans donner de réponse concernant les modalités d’application. C’est de la responsabilité de l’État de contrôler les travaux du cadastre sans prendre en considération les humeurs des uns et des autres. La loi prévoit qu’en cas de litige, les juges doivent trancher. »
Et M. Souhaid de s’interroger sur les raisons du délai de deux mois, accusant sur ce plan les députés de Jbeil de « noyer le poisson dans l’eau et de se soumettre à la volonté du Hezbollah »...
...Car dans cette affaire deux mentalités, deux logiques, voire deux « cultures » (au sens large du terme) s’affrontent : celle de l’État et du droit inaliénable, d’une part, et celle de la « milice », du pouvoir du fait accompli, de l’autre. Et, hier, la première paraît bien s’être résignée devant la seconde.
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