À la faveur de deux positions affichées à quelques jours d’intervalle, le Premier ministre Nagib Mikati a montré à tous ceux qui misaient sur sa faiblesse et sa fragilité qu’il était à la fois un homme de parole et un fin politicien. Jeudi dernier, il avait commencé par lancer une bombe télévisée en annonçant en direct son intention de démissionner de la tête du gouvernement si le financement du TSL n’est pas décidé. Il avait ainsi pris ses partenaires au sein de la majorité de court, voulant visiblement en finir avec ce dossier explosif qui pesait comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Il a d’ailleurs pris soin d’informer les parties concernées – notamment le président de la République – que son annonce n’est pas une manœuvre politique et qu’il est tout à fait sérieux dans sa volonté de démissionner.
Les piliers de la majorité se sont aussitôt concertés pour évaluer la situation. La première réaction a certes été le mécontentement au sujet de ce qui a été considéré de prime abord comme une sorte de chantage politique alors que la position du Hezbollah et du CPL au sujet du financement du TSL est connue. Ce fut donc la contre-offensive des ministres aounistes qui ont fait pratiquement sauter la séance gouvernementale de vendredi, ouvrant ainsi la voie aux pourparlers.
Les piliers de la majorité ne pouvaient toutefois pas se contenter de réagir. Il leur fallait examiner tous les aspects de la question et surtout étudier les alternatives en cas de démission du gouvernement. Les divers scénarios ne semblaient pas encourageants. Si la majorité parvenait à former un nouveau gouvernement issu entièrement de ses rangs (ce qui n’est pas forcément évident en raison du refus probable de Mikati et de Safadi de rester dans la majorité), celui-ci serait considéré comme un défi par la communauté internationale et placerait le Liban en situation de confrontation ouverte avec elle, mais cette fois sans l’appui de la Syrie, empêtrée dans ses propres problèmes. La situation pourrait peut-être être gérable, mais elle serait certainement bien plus compliquée que celle qui prévaut actuellement.
Si, par contre, la majorité actuelle ne parvenait pas à former de gouvernement, celui de Mikati serait chargé de gérer les affaires courantes. Et dans une situation aussi complexe, il serait plus difficile de maintenir le pays à l’abri des remous régionaux, d’autant que la majorité est convaincue que le 14 Mars multiplierait alors les pressions et lancerait une véritable offensive contre à la fois les armes du Hezbollah et le régime syrien. En parallèle, la situation sécuritaire pourrait connaître des dérapages. Sans oublier le fait que pour le régime syrien, le maintien du gouvernement Mikati est préférable à sa démission, car il maintient un minimum de stabilité le long des frontières et allège ainsi les pressions exercées sur lui. Pour toutes ces raisons, il a fallu laisser parler la voix de la raison et faire en sorte de maintenir le gouvernement en place.
Le Hezbollah a évité de se mêler de la formule trouvée, posant simplement la condition qu’elle n’entraîne pas sa responsabilité, ni celle de ses ministres. Même chose pour le général Michel Aoun qui s’est incliné devant « l’intérêt général » et la nécessité de préserver la stabilité interne.
Quelles que soient les réserves constitutionnelles ou politiques émises sur la formule trouvée, celle-ci a essentiellement accordé un répit au gouvernement et aux Libanais en général, qui pourront passer les fêtes de fin d’année dans un minimum de stabilité.
Cette crise a en tout cas permis à Aoun d’exprimer ouvertement ses griefs, poussant les parties concernées, à leur tête le Premier ministre, à chercher sérieusement des solutions. Seul le Hezbollah a été mis en difficulté, lui qui avait qualifié le TSL de tribunal israélo-américain et qui se retrouve indirectement « complice » de son financement. Mais il s’est incliné lui aussi devant « la raison d’État », et c’est ce que sayyed Nasrallah s’emploie à expliquer à ses partisans, ayant décidé de s’exprimer en pleine commémoration de la Achoura pour rassurer sa base populaire.
Toutefois, le paiement par le Liban de sa part dans le financement du TSL n’arrange pas seulement la Syrie et le Liban en général. Il soulage aussi la communauté internationale qui ne veut pas non plus de la démission de Nagib Mikati. Pour les États-Unis et l’Europe, un gouvernement présidé par Mikati est préférable à un autre plus marqué « 8 Mars », sur lequel ils n’auraient aucune prise. Avec Mikati et Joumblatt, ils conservent ainsi une certaine influence sur les décisions officielles libanaises. Tout comme ce gouvernement est aussi préférable, à leurs yeux, au statut d’une équipe chargée de gérer les affaires courantes, à laquelle aucun compte ne peut être demandé et qui laisserait la scène libanaise ouverte à tous les vents et quasiment incontrôlable. Le scénario idéal est donc celui qui a eu lieu et qui, comme l’a dit le leader druze Walid Joumblatt, « maintient le gouvernement en place et assure le financement du TSL ». C’est d’ailleurs le message que le président français a voulu transmettre à Nagib Mikati la semaine dernière en recevant son prédécesseur à l’Elysée...
Il devient donc de plus en plus clair que les parties concernées préfèrent que le Liban reste, au moins pour l’instant, à l’abri des tourmentes régionales. Ce pays a servi par le passé de champ de bataille aux conflits régionaux. Mais maintenant que les autres scènes sont enflammées, son embrasement n’est ni nécessaire ni souhaitable. Ceux qui avaient fait d’autres calculs devront en prendre leur parti : le Liban ne servira pas de base arrière pour combattre la Syrie et Mikati réserve bien des surprises à ses adversaires... et à ses alliés.
No comments:
Post a Comment