LA SITUATION
C’est en recourant à une entourloupette administrative que le Premier ministre a finalement réussi à sauver son gouvernement de l’embarras mais aussi de la démission.
En annonçant lors d’une conférence de presse le règlement, via la Banque centrale, des 32 millions de dollars que le Liban devait au Tribunal spécial pour le Liban, Nagib Mikati aura ainsi évité au pays les risques d’une démission forcée qu’aurait certainement provoqué un vote négatif en Conseil des ministres.
La décision a certes apaisé le climat général et « fait primer l’intérêt du pays », comme l’a relevé le Premier ministre, mais il n’en reste pas moins qu’elle a eu pour effet de mettre en déroute les forces du 14 Mars qui misaient encore sur l’embarras du gouvernement, voire sur sa démission. Elle n’aura pas manqué non plus de tester l’endurance du front de contestation que représentaient les pourfendeurs du TSL, notamment les aounistes et le Hezbollah.
En apparence, c’est la raison d’État qui aura prévalu sur les inimitiés de la veille, mises entre parenthèses le temps de faire passer la pilule et de mettre l’ensemble des protagonistes devant un fait accompli procédural. Celui-ci n’a pu être possible qu’une fois l’aval politique des principaux contestataires obtenu dans les coulisses.
Dans la forme, le Premier ministre a agi unilatéralement, en « exerçant ses prérogatives », comme le relève une source ministérielle. Il n’en reste pas moins que la décision a été préalablement concoctée, tradition oblige, en dehors des institutions. Elle est survenue, officiellement, après moult tractations menées entre Baabda, Aïn el-Tiné et le Sérail, et officieusement, après l’aval tacite obtenu du Hezbollah ainsi que la bénédiction verbale donnée par le chef du Courant patriotique libre, Michel Aoun, qui a affirmé préférer la stabilité aux menaces extérieures.
Ainsi verrouillée l’arène politique, menacée la veille d’implosion faute d’entente sur ce dossier, était désormais prête à accueillir la décision de Nagib Mikati, sans se soucier de la forme ou de la procédure utilisée pour parvenir au dénouement. Or, c’est là où le bât blesse, diront certains constitutionnalistes, puisque la « combine » employée pour effectuer le versement n’est ni prévue par la Constitution ni conforme au principe général selon lequel « il n’y a pas de dépense sans loi », comme le rappelle l’ancien député Salah Honein.
On le sait désormais : les 32 millions de dollars, versés dans un premier temps par la Banque centrale, seront puisés dans les caisses du Haut Comité de secours, une institution qui relève directement du Premier ministre.
Selon une source ministérielle qui tient à défendre l’initiative, « l’argent sera retiré des comptes qui relèvent du Premier ministre et la procédure n’est absolument pas contestée, puisqu’elle est constitutionnellement justifiée ».
La source, qui s’est abstenue de répondre à la question de savoir s’il s’agit effectivement du Haut Comité de secours, a assuré que le Premier ministre « n’a fait qu’exercer ses prérogatives », soulignant que le Conseil d’État et la Cour des comptes sont là pour vérifier et démentir toute démarche anticonstitutionnelle.
Tel n’est toutefois pas l’avis du constitutionnaliste et ancien ministre Hassan Rifaï, qui estime que dans le cas d’une situation dite exceptionnelle – comme c’est le cas pour le financement du TSL – la procédure à suivre aurait due être celle d’un décret émis conjointement par le chef de l’État et le Premier ministre, et soumise au Conseil des ministres. Si ce dernier refuse de l’adopter, il revient alors au président de la République et au Premier ministre d’en assumer la responsabilité. Le chef de l’État est alors appelé à soumettre une lettre explicative au Parlement réuni en Assemblée générale, pour justifier la démarche, en invoquant la raison d’État, puisqu’il s’agit d’une dette dont le Liban est obligé de s’acquitter. Le constitutionnaliste est catégorique : telle qu’elle a été prise par M. Mikati, la mesure est absolument inconstitutionnelle et ce dernier devra rendre compte devant le Parlement de son action.
Moins catégorique sur l’anticonstitutionnalité de la mesure prise, l’ancien député Salah Honein reproche au Premier ministre d’avoir en quelque sorte « usurpé » cette décision ôtant à l’État tout son prestige. Il s’agit, à n’en point douter, d’un « mode de paiement controversé », dit M. Honein, qui dénonce l’engagement personnel du Premier ministre qui est mis en jeu, en lieu et place de celui de l’État. Selon lui, le Premier ministre ne peut agir à titre personnel, puisque l’exécutif est incarné par le Conseil des ministres réuni et non dans la personne de M. Mikati.
« Par conséquent, poursuit-il, le paiement aurait dû être un acte du gouvernement et non émanant du seul Premier ministre. » Et de rappeler enfin que l’initiative prise par M. Mikati n’est « aucunement prévue par la Constitution ».
C’est ce qu’atteste également une source informée qui tente de justifier cette erreur de parcours par une multitude « d’autres vices » qui entachent depuis des années les pratiques en matière de dépenses publiques, notamment ceux qui ont eu lieu « sous les gouvernements précédents ». « Il faut savoir que ce n’est pas la première fois que les Premiers ministres puisent dans les caisses du Haut Comité de secours », ironise-t-il en allusion faite à l’ancien Premier ministre Fouad Siniora.
Le débat constitutionnel est désormais lancé, mais il reste à savoir qui a intérêt à soulever l’irrégularité de ce versement, réclamé à cor et à cri par les forces du 14 Mars et qui a constitué en définitive une sortie de secours pour le 8 Mars.
Bien que le secrétariat du 14 Mars ait critiqué « la forme » plutôt que la finalité de la décision, il ne semble pas, pour l’instant du moins, prêt à mener une guerre constitutionnelle contre le Premier ministre. C’est ce que confirme une source proche de l’ancien chef de gouvernement, Fouad Siniora, qui affirme que l’important est que le versement a été fait. Le député Ammar Houry se contente pour sa part de critiquer la source du versement, estimant qu’il est inadmissible de considérer l’assassinat de Rafic Hariri au même titre qu’une simple catastrophe naturelle.
S’il est encore tôt de prédire une future polémique autour de la régularité du versement, il n’est cependant pas exclu de voir ressurgir cette question sur la scène politique, à un moment ou à un autre.
Quant au Hezbollah, qui s’est abstenu de tout commentaire, c’est aujourd’hui qu’il devra se prononcer officiellement sur la question par le biais de son secrétaire général, qui s’attellera sans doute à justifier son acceptation tacite du financement.
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