La ressortissante éthiopienne victime de
maltraitance aux portes de l’ambassade d’Éthiopie s’est suicidée hier à l’aube
à l’hôpital psychiatrique du couvent de la Croix, où elle était internée.
Elle s’appelait Alem Dechasa. Elle avait 33
ans, un époux et deux enfants. Elle était de nationalité éthiopienne. Elle
appartenait à la catégorie silencieuse de ces employées de maison étrangères
qui subissent en silence l’injustice d’un système libanais irrespectueux de
leurs droits. Un système qui ferme littéralement les yeux sur leurs conditions
d’embauche et de travail, souvent proches de l’esclavage. Hier, à l’aube, Alem
a été retrouvée morte dans sa chambre à l’hôpital psychiatrique du couvent de
la Croix. Elle s’est étranglée avec ses draps ou sa couverture. Un suicide
inexpliqué, selon Carole, porte-parole du consulat d’Éthiopie au Liban, qui
s’exprimait à lorientlejour.com.
Quelques jours plus tôt, Alem avait été la
malheureuse « vedette » d’un reportage diffusé par la chaîne télévisée LBCI,
qui a provoqué un vaste mouvement d’indignation dans le pays et n’a pas manqué
d’enflammer les réseaux sociaux. Étendue par terre devant le consulat
d’Éthiopie à Badaro, elle pleurait, criait et se débattait face à un homme qui
la maltraitait, avant de la traîner sans ménagement, puis de la pousser de
force dans une voiture dont le numéro d’immatriculation a été relevé.
Cet homme a été identifié comme étant Ali
Mahfouz, employé d’un bureau de recrutement d’employées de maison dont le
propriétaire est Chadi Mahfouz. Résultat : la classe politique tout entière
s’est mobilisée, dénonçant à grands cris cet acte de maltraitance flagrante et
promettant de sanctionner le coupable.
Mais qu’est-ce qui a poussé Alem Dechasa à se
suicider et que faisait-elle à l’hôpital psychiatrique du couvent de la Croix ?
Un
surendettement lourd à supporter
Le geste d’Alem n’est autre que le geste de
désespoir d’une femme surendettée, qu’on voulait renvoyer de force dans son
pays sous prétexte que son travail laissait à désirer, explique Betty, une
employée éthiopienne de Caritas. C’est dans le cadre de l’aide sociale fournie
par l’organisation où elle travaille, notamment auprès de l’hôpital
gouvernemental psychiatrique des sœurs du couvent de la Croix, que Betty porte
assistance à ses compatriotes en difficulté. « Je lui ai rendu visite à
l’hôpital psychiatrique le 5 mars, pour la première fois. Elle y a été internée
après l’incident qui s’est déroulé devant le consulat d’Éthiopie »,
explique-t-elle.
Alem n’était au Liban que depuis deux mois.
Recrutée par le bureau de placement de Chadi Mahfouz, elle a d’abord été placée
dans une famille pour un mois. « Elle était satisfaite de ses conditions de
travail et aurait bien voulu rester dans cette famille », note Betty, racontant
l’histoire d’Alem. « Mais il semble que son employeur n’était pas satisfait de
son travail. Ils l’ont “rendue” au bureau, sous prétexte qu’elle n’était pas
propre », souligne-t-elle. Replacée dans une seconde famille, Alem a bien
demandé à retourner chez ses premiers employeurs. Mais elle n’avait visiblement
pas droit au chapitre. Car le responsable du bureau de placement a tout
bonnement décidé de la renvoyer en Éthiopie, sans la consulter.
Pour la jeune femme, il était hors de
question de rentrer bredouille au pays, alors qu’elle avait contracté une
énorme dette pour venir travailler au Liban et qu’elle était le seul soutien
financier de sa famille et de ses enfants. « Elle était obnubilée par les
dettes qu’elle devait rembourser, affirme Betty. Elle pensait aussi sans arrêt
à ses enfants, auxquels elle devait à tout prix envoyer de l’argent. » Elle a
donc refusé de se rendre à l’aéroport. Mais entre le bureau de recrutement et
l’Éthiopienne le dialogue semblait rompu. « Elle ne pouvait expliquer sa
situation, car elle ne parlait ni ne comprenait un traître mot d’arabe »,
indique Betty. « Et puis elle était frappée et maltraitée au bureau, comme elle
l’a raconté, poursuit-elle. Elle a donc essayé d’ingurgiter de l’eau de Javel,
pour attirer l’attention sur sa situation. »
L’internement
psychiatrique, une solution ?
Betty ne peut s’empêcher de faire part de son
étonnement que sa compatriote se soit suicidée, à l’hôpital de la Croix. « Je
ne comprends pas son geste. »
Un geste que n’a pas non plus compris le
consul d’Éthiopie au Liban, encore sous le choc, après s’être rendu sur les
lieux de l’incident, comme l’a raconté la porte-parole du consulat à
lorientlejour.com.
Face à ce drame, il est légitime de se
demander pour quelles raisons Alem Dechasa a été internée à l’hôpital
psychiatrique de la Croix et pourquoi la jeune femme n’a pas eu droit à une
seconde chance, sur le plan professionnel. A-t-elle été internée pour
innocenter son bourreau, Ali Mahfouz, qui, après avoir nié son geste, a accusé
sa victime d’avoir tenté de se suicider et d’avoir refusé de rentrer chez elle
? L’enfermement psychiatrique était-il le seul moyen de trouver une solution au
problème de la qualification professionnelle de la malheureuse ?
Le consulat d’Éthiopie, qui n’a pas porté
assistance à la ressortissante éthiopienne, lorsqu’elle était maltraitée devant
l’immeuble, « par manque d’agents de sécurité », semble être à l’origine de la
décision d’internement de la malheureuse. La vice-consule, Yeshi Temrat, a même
indiqué à lorientlejour.com qu’Alem « souffrait de troubles mentaux très graves
». Elle avait donc conseillé à son employeur, responsable de l’agence de
recrutement, « de la transporter à l’hôpital psychiatrique du couvent de la
Croix, où elle sera prise en charge par des professionnels ». Une décision
qu’une responsable de l’hôpital en question, sœur Rima Akiki, a formellement
refusé de commenter à L’Orient-Le Jour. « Nous sommes tenus par le secret
professionnel », a-t-elle juste indiqué.
La décision a malheureusement été fatale à Alem.
L’employeur, lui, est toujours en liberté.
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