The Lebanese Center for Human Rights (CLDH) is a local non-profit, non-partisan Lebanese human rights organization in Beirut that was established by the Franco-Lebanese Movement SOLIDA (Support for Lebanese Detained Arbitrarily) in 2006. SOLIDA has been active since 1996 in the struggle against arbitrary detention, enforced disappearance and the impunity of those perpetrating gross human violations.

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March 23, 2010

March 23,2010 - L'orient le jour Lebanon In Roumieh prisoners make their voices heard.doc

Par Nada MERHI |


Dans la pièce spécialement aménagée pour les sessions de dramathérapie, les prisonniers s'entraînent pour le spectacle « 12 Libanais en colère », sous la direction de Zeina Daccache.

Entre les murs grisâtres de la prison de Roumieh, les journées se ressemblent et s'étirent en longueur dans la négligence et l'indifférence. Les conditions dans lesquelles vivent les détenus, maintes fois dénoncées par les ONG œuvrant pour les droits de l'homme, sont déplorables. Dans cette ambiance lourde, la dramathérapie est venue changer la vie de quelque 150 détenus.
Les bâtiments de la prison de Roumieh sont aussi sinistres que la route qui y mène. Ils abritent des milliers de détenus : plus de 3 500 pour une geôle initialement conçue pour en accueillir 1 500, selon un rapport récent du Centre libanais des droits humains (CLDH). Les visiteurs doivent franchir trois barrières avant d'accéder à l'enceinte de la prison, plombée par l'atmosphère lourde qui y règne. Dans cet espace, la notion de couleurs et de salubrité fait défaut. Tout y est gris, à l'exception d'un seul bâtiment, celui de la maison d'arrêt, dont les murs laissent transparaître ce qu'aurait dû être autrefois un bleu ciel.
De temps à autre, des femmes et des hommes, munis de grands sacs à provisions et de vêtements, se dirigent vers l'un ou l'autre des bâtiments pour rencontrer leurs proches. Des vannettes transportent aussi les visiteurs des lieux, d'où émane une odeur de moisi. Pour ceux qui le désirent, des provisions peuvent être achetées sur place, un coin ayant été aménagé en épicerie. Un tonneau rongé sert de support à une machine à café. Des « manakiche » sont préparés sur place ainsi que du poulet rôti.
Ici, les journées se ressemblent et s'étirent en longueur, selon les aveux de nombreux détenus, qui déplorent les conditions dans lesquelles ils vivent. Il semble que dans cette prison, comme dans les autres geôles du pays, les détenus sont punis deux fois. Certes, ils sont incarcérés pour le crime ou le délit qu'ils ont commis, mais qu'est-ce qui justifie les conditions inhumaines dans lesquelles ils se trouvent ? Comme si la sanction qu'on leur a imposée ne devait pas suffire, pour que viennent s'ajouter la négligence et l'indifférence qui les entourent. Or c'est entre ces murs lugubres et défraîchis, et dans cette atmosphère qui baigne dans le gris, qu'un rayon de soleil tout à fait inattendu est venu éclairer le sinistre quotidien d'une quarantaine de détenus.
Le changement est parvenu par le biais de Zeina Daccache, alias Iso, l'une des protagonistes du programme télévisé Bassmet Watan. Depuis 2008, cette jeune actrice au grand cœur, engagée depuis son adolescence dans l'humanitaire, a introduit à la prison de Roumieh la dramathérapie (voir par ailleurs), dont bénéficient plus de 150 accusés et condamnés.

Renaître
Bienvenue au bâtiment D de la section des prévenus. Ici, le paysage grisâtre ne diffère pas trop de l'ensemble de l'endroit. À une différence près. Au fond de la cour, une salle a été aménagée pour accueillir les ateliers de dramathérapie, attendus désormais impatiemment par les détenus.
« Aujourd'hui, nous avons des hôtes », lance Zeina Daccache, d'une voix ferme et enjouée, invitant les visiteurs à prendre part à deux exercices prévus pour la journée. « Mr Hit » consiste à dire à voix haute le nom de l'un des participants au jeu, qui devra à son tour taper le genou de l'un de ses deux voisins. Celui-ci nommera rapidement un des joueurs, au risque d'être éliminé. « Ce jeu leur permet de mettre de côté leurs problèmes le temps de la session et de se concentrer sur le théâtre », explique Zeina Daccache.
Le second jeu est baptisé « Le vent souffle pour... ». Il consiste à former un cercle au centre duquel se place un des joueurs, qui doit lancer une idée débutant par la phrase « Le vent souffle pour... ». « Le vent souffle pour les dealers », « Le vent souffle pour les mariés », « Le vent souffle pour ceux qui ont tué », à titre d'exemple. Les personnes sur qui l'une de ces caractéristiques s'applique doivent se lever et changer de place. Une seule restera au centre du cercle. Elle doit à son tour lancer une idée qui débute par la phrase « Le vent souffle pour... ».
« Le but de cet exercice est de permettre aux prisonniers de se connaître, souligne Zeina Daccache. Lorsque j'ai entamé les ateliers de dramathérapie à la prison, j'ai remarqué que les détenus ne se connaissaient pas, sachant que plusieurs d'entre eux sont condamnés à perpétuité. Ils se côtoient et vivent ensemble, mais ignorent tout les uns des autres. Par ce jeu, ils ont appris à se connaître et à communiquer. Au fil des séances, j'ai été agréablement surprise par leur capacité à faire des choses différentes et à poser des problématiques qui n'ont rien à voir avec leur vie carcérale. Au terme de quinze mois d'exercices, un changement a été observé, surtout sur le plan psychologique. »
C'est ce qu'affirment d'ailleurs les bénéficiaires de ce projet. « Nous étions des morts-vivants et vivions dans la routine et la négligence, souligne ainsi Atef, qui participe aux ateliers depuis deux ans déjà. Le monde extérieur se fout de nous parce que nous sommes des criminels. Notre vie était réduite à celle d'animaux. Mais la dramathérapie a changé la perception que nous avons de nous-mêmes. Nous avons senti que nous sommes des êtres humains et qu'il y a des personnes de l'extérieur qui nous écoutent et qui se soucient de nous. »
« Cette expérience m'a permis de renaître, insiste pour sa part Abou Abdo, un dealer, qui purge sa peine depuis plus de quatre ans déjà. Elle m'a ouvert les yeux sur une réalité différente. Pour la première fois depuis des années, je réalise l'importance de travailler sur ma personne et d'opérer un changement dans mes comportements. Ces ateliers sont intervenus à une période où j'étais déterminé à commettre un crime plus important le jour où je serais relaxé. En prison, l'homme est relégué au statut de l'animal. Personnellement, je pensais divorcer et me suicider, d'autant que ma famille m'a rejeté. Ma fille refusait de me parler. La dramathérapie m'a permis d'améliorer ma relation avec ma famille qui m'a regardé sous un autre jour lorsqu'elle est venue assister au spectacle que nous avons réalisé en prison (en référence à la pièce 12 Libanais en colère présentée en 2009 à la prison de Roumieh). Maintenant, ma fille accepte de me parler et je n'ai plus divorcé. Ces ateliers sont comme un envahissement culturel. »
Pour Majdi, Égyptien condamné à mort, la dramathérapie lui a permis de prendre conscience de sa condition en tant qu'être humain. « Elle a également permis de dessiner dans la mentalité des responsables les limites entre ce qui est permis et ce qui ne l'est pas », ajoute-t-il. Quant à Ismat, prisonnier depuis cinq ans pour un crime qu'il a commis « involontairement », il constate que « la geôle est une invasion de la sphère d'intimité ». « Tout être humain souffre de cette invasion, mais cela est d'autant plus intense en prison, où nous sommes asservis, ajoute-t-il. Le théâtre nous a restitué une once de cette intimité et de la dignité qu'on nous a ôtées. Tous les prisonniers ne sont pas mauvais. Et ceux qui le sont, sont aptes au changement. Mais encore faut-il qu'on les aide à le faire. »

Plaintes
La privation de la liberté est en soi une sanction. Pourquoi considère-t-on que les conditions de détention inhumaines font partie inhérente du châtiment ? se demandent les détenus, déplorant le manque d'hygiène, de soins, notamment dentaires, et d'activités, la surpopulation des geôles - « nous dormons à six dans une même cellule » - ainsi que la difficulté d'accéder à l'information, l'impossibilité pour certains de se trouver avec leurs familles dans une même pièce, non séparés par des barreaux, et la disparité observée dans le traitement des prisonniers selon qu'ils soient accusés ou condamnés. Des problèmes d'ailleurs relevés dans le rapport récent du CLDH.
« Nous souffrons du manque d'activités, explique dans ce cadre Nader. Nous souhaitons que les responsables se rappellent de notre existence, qu'ils nous assurent les outils nécessaires pour que nous soyons informés de ce qui se passe à l'extérieur, mais aussi pour que nous puissions poursuivre nos activités et notre éducation. » Et Jean de renchérir : « J'aimerais apprendre à lire et à écrire. Pourquoi ne nous organise-t-on pas des cours d'alphabétisation ? Pour atteindre notre but, nous sommes forcés à provoquer des problèmes. » Il convient de noter toutefois que les prévenus du bâtiment A suivent ces cours.
Pour Hassan, le problème est tout à fait autre. Ce jeune homme est atteint du sida et se trouve, par conséquent, isolé du reste de la population carcérale. « On me met dans une sorte de cage, comme si j'étais un singe, déplore-t-il. Je n'ai même pas accès au traitement. Malheureusement, certaines personnes sont ignorantes. Elles ont peur de me serrer la main, comme si elles risquaient de contracter la maladie. »
Abou Jumbo, de son côté, déplore l'absence de programme de réhabilitation à l'intention des toxicomanes (sachant que l'ONG AJEM a un centre de réhabilitation dans la prison). « Nous apprendrions des choses que nous pourrions appliquer lorsque nous serons relaxés », insiste ce jeune homme, qui fait remarquer par ailleurs : « Nous avons commis des erreurs et nous avons été sanctionnés. Mais qui est celui qui demandera des comptes aux responsables pour l'injustice que nous subissons ici ? »

Messages
Quel message désirent-ils faire parvenir à la société ? « Ce que nous expérimentons ici est affreux, répond Abdallah. Malheureusement, la société nous pousse à devenir antisociaux, d'autant qu'elle porte un même regard sur tous les prisonniers, n'essayant même pas de se demander si parmi eux il y a des innocents, victimes d'une injustice, ou des criminels qui désirent avoir une chance pour changer. »
« Nous souhaitons que les responsables communiquent avec nous, note Atef. Malheureusement, ils n'ont fait preuve de compassion qu'au lendemain de la pièce de théâtre. Depuis, ils ne nous ont plus revisités. »
« Nous appelons la société à prendre conscience du fait que le prisonnier est un être humain, souligne de son côté Majdi. Nous avons des devoirs, mais aussi des droits. Et l'un de nos droits les plus fondamentaux reste l'application des lois. »
Les détenus réclament en fait, à l'unanimité, que la loi 463 sur la réduction des peines (voir par ailleurs) soit appliquée. Quant aux prisonniers non libanais, ils appellent les ambassades de leurs pays respectifs à se pencher sur leur cas et à « se soucier de (leur) sort, d'autant que plusieurs d'entre nous ont déjà purgé leur peine et attendent que les responsables de leurs pays daignent se tourner vers eux », déplore encore Majdi.

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