| vendredi, novembre 4, 2011
De gauche à droite, Ibrahim Najjar, Marwan Hamadé, Denis Pietton, Ziyad Baroud et Joumana Nahas.
Débat au BIEL, dans le cadre du Salon du livre francophone, entre l’ambassadeur Denis Pietton et les anciens ministres Marwan Hamadé et Ziyad Baroud, autour du livre de Joumana Nahas « Chroniques en marge d’un Tribunal, avec Ibrahim Najjar »
On aura probablement plus appris sur les qualités du personnage mis en scène que sur « la vérité » ou les faits qui la sous-tendent, relatés par Joumana Nahas dans l’ouvrage intitulé, à juste titre : Chroniques en marge d’un Tribunal, avec Ibrahim Najjar (éditions L’Orient-Le Jour).
D’ailleurs, c’est l’ancien ministre de la Justice lui-même qui se hâte de relativiser les attentes du public et des lecteurs tentés de trouver des révélations tonitruantes sur les coulisses de l’instance judiciaire. D’où sa mise en garde préalable, soulignant que ces chroniques ne recèlent ni scoops ni des non-dits dévoilant les arcanes de la justice internationale, frappés comme il se doit du sceau de la confidentialité.
C’est plutôt sur l’homme et le juriste rompu à l’art politique dans sa dimension véritablement humaine que se sont penchés les intervenants lors d’un débat organisé dans le cadre du Salon du livre.
Tous le diront d’une même voix, avec des variantes de style : l’ancien ministre de la Justice incarne bel et bien l’équilibriste chevronné qui a su singulièrement allier le sens du droit à celui de la bonne gouvernance, en prenant la politique pour tremplin, sans jamais sombrer dans ses sables mouvants.
« C’est un homme qui a ses engagements politiques (...), c’est un citoyen engagé. Mais ce n’est pas un homme politique », dira de lui l’ambassadeur français, Denis Pietton, qui précise : « Ce qui apparaît à travers cet ouvrage, c’est qu’il est d’abord un technicien du droit, j’ajouterais même un artisan du droit (...) qui a le goût du travail bien fait et accompli. »
Louant la dimension éthique de sa mission, le diplomate tient à rappeler l’engagement bien connu d’Ibrahim Najjar contre la peine de mort et son refus catégorique du déni de justice.
« Il n’y a rien de pire que l’ignorance dans laquelle on peut se trouver en tant que justiciable », ajoute M. Pietton qui évoque par ailleurs la solitude à laquelle Ibrahim Najjar a été confronté « dans un gouvernement particulier, divisé, voire paralysé ».
L’ambassadeur reprend l’épisode de l’affaire dite des faux témoins relatée dans l’ouvrage, le ministre se levant à 3 heures du matin « tiraillé par des interrogations », pour envoyer des lettres au procureur de la République, Saïd Mirza, à celui du TSL, Daniel Bellemare, et à ses services pour prendre conseil, « une image révélatrice de la solitude de la fonction », affirme M. Pietton. Il en ressort également l’image d’un homme qui a la « foi constante » dans la justice internationale et qui n’est pas pour autant « imperméable aux doutes ou plutôt aux interrogations ». C’est d’ ailleurs le même type de questionnement qui a jalonné l’histoire d’autres tribunaux internationaux ad hoc dont la procédure a pourtant nettement progressé avec des mises en accusation, rappelle l’intervenant.
Denis Pietton n’oublie pas de rendre hommage, à l’occasion, aux juges libanais investis d’une mission on ne peut plus « difficile et risquée ». Un hommage rendu également au président du TSL, Antonio Cassese, qui a tenu jusqu’au dernier souffle à servir la justice, « conscient de l’impact que cette justice peut avoir au Liban », dit-il.
« Joumana Nahas, enchaîne l’ancien ministre Marwan Hamadé, nous livre parfois en vrac tout ce qu’elle observe et note à partir d’un poste d’observation privilégié, tout ce qui révèle un acteur de premier plan, détenteur du portefeuille le plus délicat de l’État, au moment le plus critique du pays, et tout ce que son jugement et parfois sa subjectivité apportent à une chronique qui est la première vraie chronique sur le tribunal. »
Grâce à l’auteure, il retrouve à travers les lignes de la chronique « l’infortune d’un ministre formé à bonne école et aux prises avec l’imbroglio politique d’un gouvernement qui n’avait plus rien d’un gouvernement, encore moins d’union et pas du tout national », ironise Marwan Hamadé.
Revenant sur la « supercherie syrienne des faux témoins » et les multiples tentatives de « dérobade » du Hezbollah et du mouvement Amal, Marwan Hamadé retrace les efforts déployés par un ministre qui « a toujours essayé de démêler un écheveau où le droit international le disputait au droit constitutionnel dans un polar criminel politique, confessionnel et mafieux ». Des efforts « si bien relatés par Joumana Nahas », tient-il à souligner. Et de rendre un vibrant hommage à celui grâce à qui Marwan Hamadé – l’une des premières victimes de la funeste série d’attentats qui a visé des hommes politiques et des intellectuels de premier rang – a repris espoir, en dépit des « infidélités » de ses plus proches compagnons de route.
« Je vous avoue que je me sentais à l’époque lâché par mes amis, les uns à l’affût d’un gouvernement, les autres en quête d’un pardon syrien. Grâce à toi, Ibrahim, nous n’avons pas flanché, même lorsque l’insulte a visé les victimes sans même épargner les juges », a souligné M. Hamadé.
La controverse autour du tribunal et la délicate tâche à laquelle devait s’atteler Ibrahim Najjar seront également évoquées par l’ancien ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud qui loue à son tour le « ministre juriste » qui veut se démarquer du politique « comme s’il voulait montrer combien le Liban appelle inéluctablement à un clivage coriace entre le droit et ses applications, quand bien même politiques ».
Citant un passage de l’ouvrage, il dit : « Et si Ibrahim Najjar n’est pas politicien, d’après son interlocutrice des Chroniques, “c’est bien dans le sens de la fourberie, de la langue de bois, des mensonges et du politiquement correct”, ce qui est à son honneur », insiste M. Baroud. Et de qualifier celui qui fut son enseignant en droit « de juriste hautement politisé sans faire de la politique », avant de conclure : « Les Chroniques en marge d’un Tribunal (...) ne vous innocentent pas, parce que déjà vous n’êtes accusé que d’un seul crime dont on ne s’acquitte jamais : celui de mépriser la politique lorsqu’elle s’insurge contre le droit. De cela, nous vous accusons tous et nous vous accusons volontiers aussi. »
Joumana Nahas prend ensuite la parole pour expliquer le cheminement qui a conduit à la mise en place de l’ouvrage, sa gestation, ses rencontres quasi quotidiennes avec le ministre, ses attentes déçues en termes de scoop ou de faits croustillants, puis le retour sur soi, les analyses, avant de se rendre à l’évidence de « l’impossibilité, en tous les cas pour le moment, de dire la vérité ». Ce n’est d’ailleurs pas cette vérité que les lecteurs retrouveront dans les Chroniques », dit-elle, c’est encore moins la prétention qu’en avait le ministre de la Justice dont « la fonction a été à l’évidence en même temps le prétexte et le pivot d’un ouvrage autour du Tribunal spécial sur le Liban ». Et Mme Nahas d’ajouter :
« J’ai été à la rencontre d’un homme conscient de jouer un rôle majeur, mais qui a tenu, tout le long du chemin, à d’abord rester lui-même, avant d’être ministre de la Justice. Au fil des pages des Chroniques, le lecteur découvrira un homme en lutte, pour la vérité, pour la droiture, au milieu d’une ambiance pour le moins malsaine. J’ai notamment les souvenirs très forts de certains moments durs, comme les quelques semaines qui ont précédé Noël 2010... La tension était à son comble, et même le ministre Najjar, qui d’ordinaire était très paisible, se montrait inquiet. Les scénarios les plus noirs et les plus sordides se profilaient... Nous nous sommes cependant rendu compte, ensemble, de semaine en semaine, que le Liban, finalement, restait fidèle à lui-même. Une exception... Un message... »
En bref, résume M. Najjar, on peut y suivre une chronique, un récit, « qui aurait pu avoir un autre sujet que le tribunal, mais qui n’aurait pas raté les coulisses, ni le souffleur, ni les acteurs, ni le rideau, ni le décor ».
On aura probablement plus appris sur les qualités du personnage mis en scène que sur « la vérité » ou les faits qui la sous-tendent, relatés par Joumana Nahas dans l’ouvrage intitulé, à juste titre : Chroniques en marge d’un Tribunal, avec Ibrahim Najjar (éditions L’Orient-Le Jour).
D’ailleurs, c’est l’ancien ministre de la Justice lui-même qui se hâte de relativiser les attentes du public et des lecteurs tentés de trouver des révélations tonitruantes sur les coulisses de l’instance judiciaire. D’où sa mise en garde préalable, soulignant que ces chroniques ne recèlent ni scoops ni des non-dits dévoilant les arcanes de la justice internationale, frappés comme il se doit du sceau de la confidentialité.
C’est plutôt sur l’homme et le juriste rompu à l’art politique dans sa dimension véritablement humaine que se sont penchés les intervenants lors d’un débat organisé dans le cadre du Salon du livre.
Tous le diront d’une même voix, avec des variantes de style : l’ancien ministre de la Justice incarne bel et bien l’équilibriste chevronné qui a su singulièrement allier le sens du droit à celui de la bonne gouvernance, en prenant la politique pour tremplin, sans jamais sombrer dans ses sables mouvants.
« C’est un homme qui a ses engagements politiques (...), c’est un citoyen engagé. Mais ce n’est pas un homme politique », dira de lui l’ambassadeur français, Denis Pietton, qui précise : « Ce qui apparaît à travers cet ouvrage, c’est qu’il est d’abord un technicien du droit, j’ajouterais même un artisan du droit (...) qui a le goût du travail bien fait et accompli. »
Louant la dimension éthique de sa mission, le diplomate tient à rappeler l’engagement bien connu d’Ibrahim Najjar contre la peine de mort et son refus catégorique du déni de justice.
« Il n’y a rien de pire que l’ignorance dans laquelle on peut se trouver en tant que justiciable », ajoute M. Pietton qui évoque par ailleurs la solitude à laquelle Ibrahim Najjar a été confronté « dans un gouvernement particulier, divisé, voire paralysé ».
L’ambassadeur reprend l’épisode de l’affaire dite des faux témoins relatée dans l’ouvrage, le ministre se levant à 3 heures du matin « tiraillé par des interrogations », pour envoyer des lettres au procureur de la République, Saïd Mirza, à celui du TSL, Daniel Bellemare, et à ses services pour prendre conseil, « une image révélatrice de la solitude de la fonction », affirme M. Pietton. Il en ressort également l’image d’un homme qui a la « foi constante » dans la justice internationale et qui n’est pas pour autant « imperméable aux doutes ou plutôt aux interrogations ». C’est d’ ailleurs le même type de questionnement qui a jalonné l’histoire d’autres tribunaux internationaux ad hoc dont la procédure a pourtant nettement progressé avec des mises en accusation, rappelle l’intervenant.
Denis Pietton n’oublie pas de rendre hommage, à l’occasion, aux juges libanais investis d’une mission on ne peut plus « difficile et risquée ». Un hommage rendu également au président du TSL, Antonio Cassese, qui a tenu jusqu’au dernier souffle à servir la justice, « conscient de l’impact que cette justice peut avoir au Liban », dit-il.
« Joumana Nahas, enchaîne l’ancien ministre Marwan Hamadé, nous livre parfois en vrac tout ce qu’elle observe et note à partir d’un poste d’observation privilégié, tout ce qui révèle un acteur de premier plan, détenteur du portefeuille le plus délicat de l’État, au moment le plus critique du pays, et tout ce que son jugement et parfois sa subjectivité apportent à une chronique qui est la première vraie chronique sur le tribunal. »
Grâce à l’auteure, il retrouve à travers les lignes de la chronique « l’infortune d’un ministre formé à bonne école et aux prises avec l’imbroglio politique d’un gouvernement qui n’avait plus rien d’un gouvernement, encore moins d’union et pas du tout national », ironise Marwan Hamadé.
Revenant sur la « supercherie syrienne des faux témoins » et les multiples tentatives de « dérobade » du Hezbollah et du mouvement Amal, Marwan Hamadé retrace les efforts déployés par un ministre qui « a toujours essayé de démêler un écheveau où le droit international le disputait au droit constitutionnel dans un polar criminel politique, confessionnel et mafieux ». Des efforts « si bien relatés par Joumana Nahas », tient-il à souligner. Et de rendre un vibrant hommage à celui grâce à qui Marwan Hamadé – l’une des premières victimes de la funeste série d’attentats qui a visé des hommes politiques et des intellectuels de premier rang – a repris espoir, en dépit des « infidélités » de ses plus proches compagnons de route.
« Je vous avoue que je me sentais à l’époque lâché par mes amis, les uns à l’affût d’un gouvernement, les autres en quête d’un pardon syrien. Grâce à toi, Ibrahim, nous n’avons pas flanché, même lorsque l’insulte a visé les victimes sans même épargner les juges », a souligné M. Hamadé.
La controverse autour du tribunal et la délicate tâche à laquelle devait s’atteler Ibrahim Najjar seront également évoquées par l’ancien ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud qui loue à son tour le « ministre juriste » qui veut se démarquer du politique « comme s’il voulait montrer combien le Liban appelle inéluctablement à un clivage coriace entre le droit et ses applications, quand bien même politiques ».
Citant un passage de l’ouvrage, il dit : « Et si Ibrahim Najjar n’est pas politicien, d’après son interlocutrice des Chroniques, “c’est bien dans le sens de la fourberie, de la langue de bois, des mensonges et du politiquement correct”, ce qui est à son honneur », insiste M. Baroud. Et de qualifier celui qui fut son enseignant en droit « de juriste hautement politisé sans faire de la politique », avant de conclure : « Les Chroniques en marge d’un Tribunal (...) ne vous innocentent pas, parce que déjà vous n’êtes accusé que d’un seul crime dont on ne s’acquitte jamais : celui de mépriser la politique lorsqu’elle s’insurge contre le droit. De cela, nous vous accusons tous et nous vous accusons volontiers aussi. »
Joumana Nahas prend ensuite la parole pour expliquer le cheminement qui a conduit à la mise en place de l’ouvrage, sa gestation, ses rencontres quasi quotidiennes avec le ministre, ses attentes déçues en termes de scoop ou de faits croustillants, puis le retour sur soi, les analyses, avant de se rendre à l’évidence de « l’impossibilité, en tous les cas pour le moment, de dire la vérité ». Ce n’est d’ailleurs pas cette vérité que les lecteurs retrouveront dans les Chroniques », dit-elle, c’est encore moins la prétention qu’en avait le ministre de la Justice dont « la fonction a été à l’évidence en même temps le prétexte et le pivot d’un ouvrage autour du Tribunal spécial sur le Liban ». Et Mme Nahas d’ajouter :
« J’ai été à la rencontre d’un homme conscient de jouer un rôle majeur, mais qui a tenu, tout le long du chemin, à d’abord rester lui-même, avant d’être ministre de la Justice. Au fil des pages des Chroniques, le lecteur découvrira un homme en lutte, pour la vérité, pour la droiture, au milieu d’une ambiance pour le moins malsaine. J’ai notamment les souvenirs très forts de certains moments durs, comme les quelques semaines qui ont précédé Noël 2010... La tension était à son comble, et même le ministre Najjar, qui d’ordinaire était très paisible, se montrait inquiet. Les scénarios les plus noirs et les plus sordides se profilaient... Nous nous sommes cependant rendu compte, ensemble, de semaine en semaine, que le Liban, finalement, restait fidèle à lui-même. Une exception... Un message... »
En bref, résume M. Najjar, on peut y suivre une chronique, un récit, « qui aurait pu avoir un autre sujet que le tribunal, mais qui n’aurait pas raté les coulisses, ni le souffleur, ni les acteurs, ni le rideau, ni le décor ».
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