S. H.
Sur une initiative de l’Institut Issam Farès et du département de recherche au quotidien al-Akhbar, le Pr John Cerone, directeur du Centre de droit international et des politiques à l’Université de Nouvelle-Angleterre, a ouvert hier un grand débat sur le Tribunal spécial pour le Liban et la position des États-Unis à l’égard de la justice internationale à l’auditorium du College Hall à l’AUB. Tout en reconnaissant les lacunes de la justice internationale ainsi que certains de ses dysfonctionnements, le Pr Cerone, venu de Boston, a estimé que « peu de justice vaut encore mieux que pas de justice du tout ».Devant un parterre de spécialistes, dont le Pr Sélim Jreissaty et le Dr Hassan Jouni, ainsi qu’en présence de nombreux étudiants, le Pr Cerone a commencé par dresser un historique de la position des États-Unis concernant la justice internationale. Il apparaît ainsi que les États-Unis n’ont pas élaboré une politique fixe à ce sujet, celle-ci évoluant au fil des années et pratiquement au cas par cas. Il a fallu attendre l’administration de George W. Bush et la prise du pouvoir par ceux qu’on appelle les « néoconservateurs » pour que l’administration américaine ait une approche idéologique qui a faibli à mesure que faiblissait l’influence de ce courant. Autrement, l’administration américaine a essentiellement adopté une politique pragmatique qui tournait toutefois autour de certaines appréhensions et exigences.
En fait, c’est surtout depuis les années 90 et l’implication des États-Unis dans les frappes de l’OTAN contre la Serbie que l’administration américaine, qui craignait que ses soldats et officiers soient poursuivis sur la base de ces frappes, a pris ses distances avec le concept de justice internationale. Les États-Unis ont ainsi voulu que la décision d’avoir recours à la justice internationale soit strictement concentrée entre les mains du Conseil de sécurité des Nations unies, au sein duquel ils détiennent un droit de veto, tout en cherchant à privilégier les justices locales, préférant que les criminels de guerre, voire les coupables de génocide, soient jugés chez eux et selon les lois de leur propre pays, tant que cela est possible. Les États-Unis n’étaient pas ainsi favorables à la création d’une instance permanente comme la Cour pénale internationale, décidée par le Traité de Rome en 1998. Toutefois, à la fin de son mandat, Bill Clinton a signé ce traité. Mais le Sénat n’a pas vraiment eu le temps de le ratifier. George W. Bush a, lui, pris ses distances, mais, selon le Pr Cerone, le processus pourrait être de nouveau mis en selle sur l’impulsion d’une administration qui le souhaiterait. Quant à l’arbitrage de la Cour de justice de La Haye, les États-Unis ont toujours voulu qu’il soit soumis à l’acceptation des parties concernées, limitant ainsi son champ d’action, notamment dans les conflits en cours.
Bref, tout en reconnaissant que la justice internationale peut être politisée et instrumentalisée, le Pr Cerone a précisé que certains tribunaux dits internationaux peuvent aussi paraître fragiles et peu crédibles, mais ils restent préférables à l’absence de justice. Et, en fin de compte, il s’agit, a-t-il précisé, de mettre un terme à l’impunité.
Aux nombreuses questions des présents sur la légalité du TSL, notamment à cause du fait qu’il porte sur l’assassinat d’un homme, aussi important soit-il, ou d’un petit groupe, et en raison de sa non-conformité aux règles constitutionnelles libanaises, le Pr Cerone a répondu que les tribunaux internationaux pour la Sierra Leone ou le Cambodge avaient aussi des lacunes. Cela ne les a pas empêchés de fonctionner. De plus, le TSL a été créé par le Conseil de sécurité parce que la justice libanaise ne semblait pas en mesure d’instruire le dossier des assassinats et de le gérer. Enfin, le Conseil de sécurité ayant placé sa résolution sous le chapitre 7, elle devient obligatoire pour tous les membres des Nations unies, même si la procédure suivie n’est pas conforme aux règles constitutionnelles du pays en question. Selon lui, le protocole signé avec le Liban sera probablement renouvelé en mars car il tire sa force du chapitre 7. Le Pr Cerone a toutefois estimé qu’il est possible qu’il y ait des irrégularités, car cela est courant dans toutes les institutions étatiques ou internationales. Tout comme la décision de créer le TSL peut être considérée comme une justice sélective, cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’est pas valable...
C’est Omar Nachabé, directeur du département de recherche au quotidien al-Akhbar, qui a eu le mot de la fin en déclarant que désormais, le débat est largement ouvert, espérant qu’il se poursuivira avec d’autres éminents spécialistes, dans l’intérêt de la justice.
S. H.
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