La journaliste roumaine Daniela Zeca explique l’enjeu de
la culture dans les sociétés postcommunistes. Soutenir, par la télévision, les
« aspirants à la culture » est une forme de résistance individuelle,
l’expression même de l’indépendance.
Il se dégage des propos de la journaliste et écrivaine
roumaine Daniela Zeca, de passage à Beyrouth, la certitude, presque intrigante,
des libertés inébranlables. Rédactrice en chef de la revue mensuelle Arte (Art
en roumain), depuis mars 2003 et aujourd’hui directrice de la chaîne de
télévision TV Cultural, elle sait le poids de l’autoritarisme et la félicité de
ceux qui résistent. Feuilletant avec délectation « Le lexique de la
liberté », publié dans le dernier supplément de L’Orient Littéraire, elle
s’attarde sur le mot « Qahr ». L’oppression ou, pire, « le
sentiment d’injustice qui s’en dégage » ne paraît point la troubler. Et sa
liberté de pensée trouve son terrain de prédilection au Salon du livre
francophone, au stand de la Roumanie, où elle partage ses réflexions avec
L’OLJ.
« Sublimer la résistance »
Dans les années 80, lorsque la dictature de Ceausescu atteignait son apogée, avant sa chute en 1989, Mme Zeka poursuivait des études de lettres et de journalisme à l’université de Bucarest. « Je me considérais rebelle, révoltée, à l’époque », affirme-t-elle, sans prétention. Elle tente de transmettre calmement la gravité de ce « sentiment » qui la motivait alors, ce murmure rassurant que « le rideau de fer allait tomber ». Au fur et à mesure que la dictature s’effritait, c’est toute sa liberté, précieusement couvée, qui a prononcé ses premiers mots. Les mots vifs d’une pensée jamais tarie. « Il est vrai que j’ai acquis une sorte de sixième sens, une vitesse de réaction, une alerte accrue » devant la moindre menace, confie-t-elle. « À l’époque tendue de la révolte, du risque et de l’ombre, je sublimais ce sentiment de résistance. Aujourd’hui, je l’exprime par expansion, vers l’altérité », explique-t-elle, en se décrivant d’abord comme « citoyenne du monde ».
Une place dans le journalisme libre
Si la presse de l’après-communisme a consacré les premières ébauches de sa plume émancipée à attaquer les anciens symboles, dans un élan de défoulement, Daniela Zeca a choisi, « sans ressentiments », de se forger une place de journaliste dans le domaine très spécifique de la culture. Elle explique dans ce cadre que la chaîne qu’elle dirige fait partie des huit chaînes thématiques qui structurent actuellement la télévision roumaine. Exclusivement nationale, celle-ci bénéficie de l’appui de mécènes, partageant le souci de préserver une indépendance jadis ravie. La télévision thématique répond justement à ce souci, puisqu’elle se consacre intégralement à un domaine spécifique (la culture, les finances, le sport ou encore la religion). Un investissement qui permet, en somme, une transmission efficace, pointue et professionnelle, de l’événement qu’elle suit de près. « Une télévision thématique ne cherche pas la gloire, mais le prestige. C’est une crédibilité progressive qu’elle veut construire, loin des pressions de l’audimat », explique Mme Zeca. S’attardant de manière générale sur la valeur de « cet acteur principal qu’est la télévision », la journaliste écarte de prime abord l’apport éducationnel de ce média, qui « sera toujours un instrument de divertissement, offrant des vacances dans le fauteuil ».
L’utilité des chaînes thématiques
Comprendre ainsi la télévision dans sa globalité permettrait de cerner l’utilité des chaînes thématiques. S’agissant de la TV Cultural qu’elle dirige, Mme Zeca souligne « le besoin d’une telle alternative, non pour l’élite, qui va chercher la culture ailleurs qu’à la télévision, mais pour les aspirants à la culture, comme nous nous plaisons à les appeler en Roumanie ». L’importance de la télévision thématique est donc son aptitude à créer dans l’esprit de chaque téléspectateur une aspiration à un domaine spécifique. C’est, finalement, véhiculer au cœur du public, par le biais d’un média de masse, un message personnifié, une opportunité pour tout individu de se frayer un nouveau centre d’intérêt. Cette culture de l’individualisme, qui célèbre le potentiel de chaque être au regard de sa spécificité propre, prévaut au niveau de la jeune génération roumaine, « dénuée de tout parti pris », de toute cette fumée faite « de nostalgie, de ressentiments et de préjugés », estime-t-elle. Au niveau de ces jeunes, l’autocensure aura perdu ses piliers et la liberté aura repris ses aspirations indomptables.
Regard sur le Liban
Au Liban toutefois, cet aboutissement paraît moins accessible, au regard du joug identitaire que transportent les générations, en mal d’une histoire qu’elles ignorent. Sur ce point, Mme Zeka rappelle « ce côté libéré, un peu cosmopolite du Liban », qu’elle a tenu à visiter pour « compléter mon paysage intérieur de l’Orient ». Cet amalgame culturel transparaît d’ailleurs dans son Histoire romancée d’un safari, premier roman d’une trilogie orientale, que Mme Zeka espère pouvoir traduire en langue arabe pour accéder au marché du livre libanais, « dont le dynamisme m’inspire une grande confiance ». C’est également sur Télé-Liban qu’elle fonde beaucoup d’espoirs. Sa visite aura d’ailleurs jeté les bases d’une coopération future, qui se traduira par la diffusion de documentaires roumains sur la chaîne nationale. Mme Zeka prévoit également de filmer un documentaire sur le Liban, relatant les spécificités souvent paradoxales d’un pays qui se cherche.
Elle exprime en effet sa « crainte de voir le côté occidental prévaloir à un moment donné sur le contexte oriental du Liban et ce serait dommage ».
Elle se permet dans ce cadre de souligner la primauté de « l’opulence » dans les talk-shows culturels locaux, qui préfèrent l’outrance du décor aux détails des gestes, de l’expression et des mots. Pour elle, c’est « un âge des contrastes qui anime le Liban actuellement. Un âge où l’on vit le mirage et le vertige de l’occidentalisation, en négligeant l’approche comparative, l’esprit critique ».
S’il y a un conseil que l’expérience roumaine peut prodiguer à ce stade, c’est celui « d’avancer, sans se retourner », conclut en toute sincérité Mme Zeka.
« Sublimer la résistance »
Dans les années 80, lorsque la dictature de Ceausescu atteignait son apogée, avant sa chute en 1989, Mme Zeka poursuivait des études de lettres et de journalisme à l’université de Bucarest. « Je me considérais rebelle, révoltée, à l’époque », affirme-t-elle, sans prétention. Elle tente de transmettre calmement la gravité de ce « sentiment » qui la motivait alors, ce murmure rassurant que « le rideau de fer allait tomber ». Au fur et à mesure que la dictature s’effritait, c’est toute sa liberté, précieusement couvée, qui a prononcé ses premiers mots. Les mots vifs d’une pensée jamais tarie. « Il est vrai que j’ai acquis une sorte de sixième sens, une vitesse de réaction, une alerte accrue » devant la moindre menace, confie-t-elle. « À l’époque tendue de la révolte, du risque et de l’ombre, je sublimais ce sentiment de résistance. Aujourd’hui, je l’exprime par expansion, vers l’altérité », explique-t-elle, en se décrivant d’abord comme « citoyenne du monde ».
Une place dans le journalisme libre
Si la presse de l’après-communisme a consacré les premières ébauches de sa plume émancipée à attaquer les anciens symboles, dans un élan de défoulement, Daniela Zeca a choisi, « sans ressentiments », de se forger une place de journaliste dans le domaine très spécifique de la culture. Elle explique dans ce cadre que la chaîne qu’elle dirige fait partie des huit chaînes thématiques qui structurent actuellement la télévision roumaine. Exclusivement nationale, celle-ci bénéficie de l’appui de mécènes, partageant le souci de préserver une indépendance jadis ravie. La télévision thématique répond justement à ce souci, puisqu’elle se consacre intégralement à un domaine spécifique (la culture, les finances, le sport ou encore la religion). Un investissement qui permet, en somme, une transmission efficace, pointue et professionnelle, de l’événement qu’elle suit de près. « Une télévision thématique ne cherche pas la gloire, mais le prestige. C’est une crédibilité progressive qu’elle veut construire, loin des pressions de l’audimat », explique Mme Zeca. S’attardant de manière générale sur la valeur de « cet acteur principal qu’est la télévision », la journaliste écarte de prime abord l’apport éducationnel de ce média, qui « sera toujours un instrument de divertissement, offrant des vacances dans le fauteuil ».
L’utilité des chaînes thématiques
Comprendre ainsi la télévision dans sa globalité permettrait de cerner l’utilité des chaînes thématiques. S’agissant de la TV Cultural qu’elle dirige, Mme Zeca souligne « le besoin d’une telle alternative, non pour l’élite, qui va chercher la culture ailleurs qu’à la télévision, mais pour les aspirants à la culture, comme nous nous plaisons à les appeler en Roumanie ». L’importance de la télévision thématique est donc son aptitude à créer dans l’esprit de chaque téléspectateur une aspiration à un domaine spécifique. C’est, finalement, véhiculer au cœur du public, par le biais d’un média de masse, un message personnifié, une opportunité pour tout individu de se frayer un nouveau centre d’intérêt. Cette culture de l’individualisme, qui célèbre le potentiel de chaque être au regard de sa spécificité propre, prévaut au niveau de la jeune génération roumaine, « dénuée de tout parti pris », de toute cette fumée faite « de nostalgie, de ressentiments et de préjugés », estime-t-elle. Au niveau de ces jeunes, l’autocensure aura perdu ses piliers et la liberté aura repris ses aspirations indomptables.
Regard sur le Liban
Au Liban toutefois, cet aboutissement paraît moins accessible, au regard du joug identitaire que transportent les générations, en mal d’une histoire qu’elles ignorent. Sur ce point, Mme Zeka rappelle « ce côté libéré, un peu cosmopolite du Liban », qu’elle a tenu à visiter pour « compléter mon paysage intérieur de l’Orient ». Cet amalgame culturel transparaît d’ailleurs dans son Histoire romancée d’un safari, premier roman d’une trilogie orientale, que Mme Zeka espère pouvoir traduire en langue arabe pour accéder au marché du livre libanais, « dont le dynamisme m’inspire une grande confiance ». C’est également sur Télé-Liban qu’elle fonde beaucoup d’espoirs. Sa visite aura d’ailleurs jeté les bases d’une coopération future, qui se traduira par la diffusion de documentaires roumains sur la chaîne nationale. Mme Zeka prévoit également de filmer un documentaire sur le Liban, relatant les spécificités souvent paradoxales d’un pays qui se cherche.
Elle exprime en effet sa « crainte de voir le côté occidental prévaloir à un moment donné sur le contexte oriental du Liban et ce serait dommage ».
Elle se permet dans ce cadre de souligner la primauté de « l’opulence » dans les talk-shows culturels locaux, qui préfèrent l’outrance du décor aux détails des gestes, de l’expression et des mots. Pour elle, c’est « un âge des contrastes qui anime le Liban actuellement. Un âge où l’on vit le mirage et le vertige de l’occidentalisation, en négligeant l’approche comparative, l’esprit critique ».
S’il y a un conseil que l’expérience roumaine peut prodiguer à ce stade, c’est celui « d’avancer, sans se retourner », conclut en toute sincérité Mme Zeka.
http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/729952/Entretien_avec_la_journaliste_roumaine_Daniela_Zeca+%3A_L%27expression_de_la_liberte%2C_loin_de_la_nostalgie_et_des_ressentiments.html
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