Les raisons diffèrent, mais le résultat est le même. Douze ministres se sont absentés hier et la séance du Conseil des ministres n’a pas eu lieu. Le ministre de l’Information a eu beau affirmer que le défaut de quorum n’avait aucune portée politique, il n’en reste pas moins que l’absence des ministres du bloc du Changement et de la Réforme n’est pas un pur hasard, car ils ne sont pas tous tombés malades en même temps. Tout comme deux des ministres de Joumblatt se sont absentés, Ghazi Aridi pour protester contre les critiques formulées contre les dépenses de son ministère, et Waël Bou Faour pour compléter le chiffre et entraîner le report de la séance. Même s’il a tenu à affirmer que le président de la République avait été averti de cette double absence et qu’elle n’a aucun motif politique. Sans parler de Nicolas Fattouche qui s’est aussi absenté.
Si le nombre d’absents a son importance, c’est quand même l’attitude des ministres du CPL qui a créé hier l’événement, volant la vedette à la position du Premier ministre adoptée la veille au cours d’une interview télévisée. Mikati avait plus ou moins établi l’équation suivante : si le financement du TSL n’est pas adopté en Conseil des ministres, il décidera de démissionner, non parce qu’il ne reste pas à l’issue d’un vote démocratique au sein du Conseil des ministres mais, comme il l’a dit lui-même, pour protéger le Liban.
Il n’en a pas fallu plus pour les ministres du CPL qui, après une rapide réunion, ont décidé de boycotter la séance du Conseil des ministres, sans même se concerter auparavant avec leurs alliés ni prévenir le secrétariat général du Conseil des ministres. Le ministre du Travail Charbel Nahas, actuellement plongé dans le dossier du relèvement des salaires accompagné de mesures sociales, a révélé à L’Orient-Le Jour que l’équation du Premier ministre est inacceptable, car cela signifie, a-t-il dit, que le financement du TSL est plus important que le projet de loi sur le budget ou d’autres décisions importantes pour les Libanais. Nahas considère ainsi que le relèvement des salaires et la couverture médicale généralisée sont plus importants pour les Libanais que le financement d’un TSL controversé.
En fait, les ministres du CPL se plaignent depuis quelque temps déjà du blocage qui sévit en Conseil des ministres, notamment au niveau des dossiers dont ils ont la charge. Selon leur point de vue, le Premier ministre a certes changé, mais le système établi par les précédentes équipes gouvernementales est toujours en place, et le bloc du Changement et de la Réforme qui a fait de la lutte contre la corruption et de l’assainissement de l’administration son cheval de bataille se retrouve dans l’incapacité de faire son travail. Les projets qu’ils préparent font, selon lui, l’objet de discussions interminables, les nominations sont bloquées, les personnes en place sont intouchables, l’ordre du jour est fixé sans qu’ils soient consultés... Bref, la série de leurs griefs est longue, comme l’a déclaré le général Michel Aoun hier soir. « Cerise sur le gâteau, ajoute Charbel Nahas à L’Orient-Le Jour, la déclaration du Premier ministre est venue nous pousser à réagir. Pour nous, ce gouvernement n’a pas été formé pour décider ou non de financer le TSL, mais pour s’occuper des questions des citoyens et nous ne pensons pas que le dossier du TSL est une raison suffisante pour le faire sauter. Nous avons donc décidé de réagir en exprimant notre mécontentement. » Charbel Nahas ajoute que les ministres du bloc du Changement et de la Réforme pourraient quand même assister à la séance de mercredi prochain car le dossier social figure à son ordre du jour et, selon lui, il est temps de prendre une décision définitive à ce sujet. En tout cas, ils doivent tenir une réunion ce matin à Rabieh pour adopter une position unifiée.
Ce qui est certain, c’est que la situation aujourd’hui est encore plus compliquée qu’auparavant. Et comme d’habitude en cas de problème, c’est au président de la Chambre qu’on a recours, pour tenter de trouver des issues acceptables. Le président de la République s’est entretenu à cet effet avec le ministre de la Santé Ali Hassan Khalil, alors que le Premier ministre Nagib Mikati a effectué une rapide visite à Aïn el-Tiné. À ce sujet, certains pensent qu’il aurait dû d’ailleurs effectuer cette visite avant de lancer « sa bombe » télévisée, car sa position a pris tous ses partenaires au sein de la majorité de court.
Des sources ministérielles précisent en tout cas que les concertations entre les diverses parties devraient se multiplier au cours du week-end, pour tenter « de sauver » le gouvernement. Car, en dépit de la tension grandissante et des positions en flèche, des sources de la majorité continuent à croire que l’heure du départ n’a pas encore sonné pour le gouvernement. Même si certains considèrent que le gouvernement est devenu un poids en raison de son inertie et qu’il serait préférable de le réduire à une équipe chargée de gérer les affaires courantes – ce qui lui éviterait la nécessité de prendre des décisions au sujet du financement du TSL ou du projet de loi électorale –, des piliers de la majorité continuent de penser que la présence de ce gouvernement est préférable à son départ, ne serait-ce que parce qu’il a quand même réussi à instaurer une certaine stabilité (en dépit toutefois de la recrudescence des agressions et des vols ces derniers jours). Pour ces piliers, la crise de ces deux derniers jours a au moins un avantage, elle a fait passer au second plan les préparatifs du rassemblement organisé par le 14 Mars à Tripoli dimanche. En tout cas, il était nécessaire de faire éclater cette crise avant le rassemblement pour réduire son impact sur la situation gouvernementale. Toutefois, au-delà des considérations internes, ces piliers de la majorité estiment que dans une situation régionale aussi confuse, le Liban a plus que jamais besoin d’un gouvernement en fonction pour ne pas être entraîné à son tour dans la tourmente, alors qu’autour de lui l’instabilité règne. En résumé, on peut dire, à ce stade, que le gouvernement n’est pas encore dans l’impasse, même si sa situation se complique chaque jour un peu plus.
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