Lors d'une nouvelle audience qui s'est tenue hier à La Haye au Tribunal spécial pour le Liban chargé de juger les assassins de Rafic Hariri, l'accusation a présenté à la cour des preuves supplémentaires en vue de démontrer que « les restes humains récupérés sur le lieu du crime n'appartiennent pas au dénommé Abou Adass, mais à une personne non identifiée ».
C'est ce qu'a affirmé hier le représentant du procureur, Alex Milne, en introduisant le témoin, Fouad Hussein Ayoub, un médecin expert en odontologie légale, une science permettant l'identification des victimes à partir de l'étude des dents notamment.
Invité par l'accusation à venir témoigner sur son expertise et sur le travail qu'il avait effectué sur les restes humains après l'attentat visant l'ancien Premier ministre, M. Ayoub s'exprimait par vidéoconférence à partir de Beyrouth.
Pendant plus de vingt minutes, l'expert sera interrogé sur sa spécialisation, les universités fréquentées et les prestigieux diplômes amassés d'une capitale à l'autre (Moscou, Paris et Beyrouth notamment), une manière pour l'accusation de mettre en exergue sa réputation en tant que scientifique, doté d'une spécialisation on ne peut plus pointue et, par conséquent, renforcer la crédibilité de ses propos.
Outre ses connaissances théoriques, on apprendra également – toujours dans le cadre de l'audience – que M. Ayoub est l'expert par excellence que l'État libanais sollicite sur les lieux des explosions toutes les fois qu'un kamikaze effectue une opération-suicide, une expérience qui en fait sans aucun doute l'homme incontournable pour parler de restes humains et des techniques d'identification.
Répondant aux questions de l'accusation et, par moments, à celles des juges, l'expert nous apprendra comment il a été appelé dès les premières heures de l'explosion, d'abord pour identifier, dans les hôpitaux, les corps qui n'ont pu être reconnus par les familles, ensuite pour recueillir les restes humains sur le lieu du crime. C'est lui d'ailleurs qui identifiera le corps de Rafic Hariri sur la base de son dossier dentaire.
Le procédé de repérage, de classification, de conservation et de transport des restes retrouvés sur les lieux a été passé au crible par le témoin, sur insistance de l'accusation qui s'est évertuée à poser les questions les plus précises sur le procédé, histoire de démontrer sa thèse ultime : le kamikaze présumé n'était pas Abou Adass, comme ont cherché à laisser croire les exécutants du crime, mais une personne non identifiée dont les restes ont été retrouvés et analysés.
La fameuse dent
Le médecin, qui était secondé sur le terrain par des étudiants qu'il avait lui-même formés, a ainsi expliqué le protocole scientifique appliqué dans sa recherche, notamment le recours aux radiographies, aux examens d'ADN et autres bases de données. C'est lui qui préviendra d'ailleurs les autorités libanaises de l'imminence de pluies potentiellement torrentielles prévues quelques jours après l'explosion et le danger de ne pas agir sur-le-champ au risque de voir les pluies emporter les restes humains notamment en direction de la mer. Sollicité par les autorités judiciaires pour remplir sa tâche, le témoin a expliqué qu'il lui était interdit de toucher à l'énorme fossé qu'avait creusé l'explosion, ou aux véhicules brûlés et à leur entourage immédiat.
« Ma mission était de recueillir des échantillons de restes qui pouvaient être repérés à l'œil nu », dit-il, soulignant, à une question posée par le juge Akoum, que la décision des autorités libanaises visait de toute évidence à préserver le lieu du crime, à la veille de la venue des experts suisses.
L'expert passe ainsi en revue les éléments humains recueillis sur les lieux – des os, des cheveux, des morceaux de peau, des morceaux de muscles – et la fameuse dent qui, une fois analysée, s'avérera être celle du kamikaze présumé et compatible avec l'analyse d'une partie de ses restes retrouvés sur les lieux.
M. Ayoub explique, suite à une question posée par Alex Milne, que les restes humains appartenant à un kamikaze sont généralement reconnaissables au fait qu'ils sont de « très petite taille, très fragmentés, ayant été déchiquetés et propulsés en plusieurs directions à cause de la proximité du kamikaze de la charge explosive ».
L'expert ajoute enfin qu'à la lumière des résultats de l'analyse de la dent du kamikaze – dont l'âge est estimé entre 20 et 25 ans –, on peut dire qu'il n'est pas libanais.
L'accusation interrogera aujourd'hui aussi le témoin durant un laps de temps, avant de laisser la place à la défense qui devra commencer le contre-interrogatoire.
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