Par Jeanine JALKH | 30/03/2011
JUSTICE C'est probablement la première fois que le dossier du Tribunal spécial pour le Liban fait l'objet d'une discussion éclairée et objective, loin des surenchères et des positions idéologiques claironnées par les deux camps politiques en présence. Et pour cause : ce sont cette fois-ci les étudiants de droit et de sciences politiques de l'USJ qui ont animé le débat, en présence d'intervenants de taille, connus pour leur approche académique plutôt que politique, mais n'incarnant pas moins des opinions divergentes autour du TSL.
À l'initiative de la présidente de la revue de droit et de sciences politiques de l'USJ, Beryte, Tania Farah, et des membres du comité de rédaction, un débat a été organisé hier à l'USJ, en présence des professeurs de droit, Fadi Fadel, Sélim Jreissati et Sami Salhab ainsi que de notre confrère, Omar Nachabé.
Dans son introduction, Tania Farah a effectué un état des lieux de la justice internationale, rappelant à travers son histoire récente la sélectivité de cette justice qui connaît certains crimes en occultant d'autres, épargnant au passage certains pays tels que les États-Unis et Israël, qui ont refusé de signer le traité de Rome instituant la Cour pénale internationale.
Dans son introduction, Tania Farah a effectué un état des lieux de la justice internationale, rappelant à travers son histoire récente la sélectivité de cette justice qui connaît certains crimes en occultant d'autres, épargnant au passage certains pays tels que les États-Unis et Israël, qui ont refusé de signer le traité de Rome instituant la Cour pénale internationale.
« La sélectivité de la justice pénale internationale est un fait établi. Comment combattre cette sélectivité ? Faut-il l'éliminer en fermant la porte à toute sorte de justice ou faut-il l'éliminer en se battant pour étendre la justice à tout le monde ? » s'interroge l'étudiante avant de soulever les principales problématiques que suscite le TSL, notamment la légalité de sa création, de ses statuts et règlements, de son travail, et même sa politisation.
Avant de lancer le débat, Tania Farah soulève la question de savoir quelle thèse prévaut actuellement, « celle qui considère que le TSL a été créé unilatéralement par le Conseil de sécurité ou bien celle qui atteste que sa création s'est faite sur la base d'un accord entre l'État libanais et le Conseil de sécurité ».
« Incontestablement le TSL n'a pas été le fruit d'un accord entre l'ONU et le Liban », affirme d'emblée M. Jreissati. Ce dernier se fonde sur « le mécanisme prévu par la Constitution libanaise qui détermine les modalités d'adoption des traités internationaux - ce qui est le cas pour l'accord instituant le TSL -, un mécanisme qui n'a pas été respecté, et ce à trois niveaux », dit-il.
« Tout d'abord, il n'y a eu aucun accord entre le président en fonction et le Premier ministre sur le projet de l'accord. En second lieu, le texte n'a pas reçu l'aval de la Chambre des députés, indispensable pour tout accord engageant notamment le Trésor. Troisièmement, poursuit le juriste, l'accord n'a pas été promulgué par décret présidentiel. »
Et de rappeler que la résolution 1757 de 2007 a effectivement relevé l'existence « d'obstacles réels » face à l'adoption de ce texte. C'est d'ailleurs pour éviter ce genre d'obstacles que le Conseil de sécurité a eu recours au chapitre VII pour imposer l'entrée en vigueur de l'accord non signé et non ratifié par le Liban, précise M. Jreissati. Sur ce point, Omar Nachabé indique que l'ONU a fini par imposer un accord qui n'a pas reçu l'aval du Liban, « d'où une occultation de la souveraineté du pays ». Pour le professeur Sami Salhab, la résolution 1757 est venue pallier une situation exceptionnelle. « À circonstances exceptionnelles, le Conseil de sécurité est venu recourir à une légalité exceptionnelle en adoptant la 1757. » Le père Fadi Fadel estime, quant à lui, que le TSL est le fruit d'une « formation juridique hybride ». Certes, explique-t-il, il y a eu un accord qui a été signé par le gouvernement libanais mais qui « est le couronnement d'un processus de négociation qui est effectivement ambigu, puisqu'il y a eu dépassement des prérogatives du président ».
Pour M. Jreissati, « la légalité du TSL est une question préalable, qui à ce jour n'a pas encore été posée », précisant que, comme dans le cas de l'ex-Yougoslavie, ce sont les accusés exclusivement qui désormais pourront soulever la question de la légitimité du tribunal pour contester sa compétence.
Certes, reconnaîtront en chœur les intervenants, la justice internationale reste sélective, et elle l'est certainement dans le cas du TSL chargé de connaître de crimes odieux, « mais à caractère politique et individuel ».
« Je pense à tous les crimes qui surviendront dans le monde et même à ceux auxquels nous assistons en ce moment-même, au Yémen, en Libye et dans le monde arabe en général », commente M. Jreissati, qui prévient qu'il faut s'attendre à voir des crimes politiques d'une énorme gravité sans que le Conseil de sécurité ne puisse considérer que ces crimes engagent la paix et la sécurité internationales, comme ce fut le cas lors de la qualification de l'assassinat de Rafic Hariri. M. Salhab ira dans le même sens, estimant que dans le cas du Rwanda aussi bien que de l'ex-Yougoslavie, la sélectivité était également de mise, insistant toutefois sur le fait qu'« il faut absolument prendre en considération la situation qui prévalait au Liban en termes de déstructuration de l'État, de culture de l'impunité et de banalisation des crimes politiques ».
Quant à la problématique de la souveraineté nationale face à la légitimité internationale, M. Jreissati fait remarquer qu'« il n'y a pas de souveraineté nationale sans légitimité internationale ». Et de souligner que le Conseil de sécurité vient pallier les lacunes d'un État défaillant. Cependant, dit-il, « il n'est pas permis de s'immiscer dans le droit interne d'un État qui n'est pas défaillant », entendre le Liban, « un État de droit, qui a été pris de court durant l'enquête préliminaire ». M. Jreissati a toutefois insisté sur le fait que la situation est réversible, puisque le projet d'accord instituant le TSL « prévoit la possibilité de le renégocier ».
Également évoquées lors de ce débat, la question de l'immunité juridictionnelle et son champ d'application, la notion de crime terroriste en l'absence de définition internationale, ainsi que la question du « pouvoir redoutable du président du TSL, Antonio Cassese », qui peut saisir le Conseil de sécurité en cas de non-coopération du Liban avec le TSL, « le seul pays qui est contraint à coopérer sous le chapitre VII », explique M. Jreissati. Les étudiants ont soulevé par ailleurs le sujet des fuites sur l'enquête qui sont parvenues aux médias, une lacune qui porte gravement atteinte au secret de l'enquête et qui, normalement, aurait entraîné au Liban la nullité de la procédure, conviennent les juristes présents.
Le débat a été conclu par une discussion autour de la fameuse équation « justice et stabilité », qui de l'avis de l'ensemble du panel présent n'est pas fondée.
« La justice doit se réaliser quelles que soient les circonstances », dira M. Nachabé. Selon lui, la question « n'est pas d'opérer un choix entre la stabilité et la justice, mais de savoir si la procédure judiciaire suivie respecte effectivement les standards internationaux les plus élevés en matière de justice internationale ». Même son de cloche chez Salim Salhab qui relève qu'« il ne faut pas tomber dans le déni de justice au nom de la stabilité ». Sans pour autant les contredire, M. Jreissati précise toutefois que « plus important que la loi est le droit, plus importante que le droit est la justice, et plus importante que la justice est l'entente. Une justice qui n'apaise pas n'en est pas une, abstraction faite de l'insécurité », dit-il avant d'affirmer que la dérive du TSL devrait être corrigée. Le père Fadel ajoutera qu'une des fonctions principales de la justice internationale est la justice réconciliatrice, visant au rétablissement de la paix sociale.
Et l'intervenant de conclure : « Ceux que je blâme le plus, ce sont les responsables politiques qui ont fini par massacrer la justice internationale, soit en la défendant corps et âme, soit en l'attaquant avec une virulence jamais connue. » Selon lui, seule une critique constructive pourra apporter les éclairages nécessaires à un aboutissement sain du processus.
Avant de lancer le débat, Tania Farah soulève la question de savoir quelle thèse prévaut actuellement, « celle qui considère que le TSL a été créé unilatéralement par le Conseil de sécurité ou bien celle qui atteste que sa création s'est faite sur la base d'un accord entre l'État libanais et le Conseil de sécurité ».
« Incontestablement le TSL n'a pas été le fruit d'un accord entre l'ONU et le Liban », affirme d'emblée M. Jreissati. Ce dernier se fonde sur « le mécanisme prévu par la Constitution libanaise qui détermine les modalités d'adoption des traités internationaux - ce qui est le cas pour l'accord instituant le TSL -, un mécanisme qui n'a pas été respecté, et ce à trois niveaux », dit-il.
« Tout d'abord, il n'y a eu aucun accord entre le président en fonction et le Premier ministre sur le projet de l'accord. En second lieu, le texte n'a pas reçu l'aval de la Chambre des députés, indispensable pour tout accord engageant notamment le Trésor. Troisièmement, poursuit le juriste, l'accord n'a pas été promulgué par décret présidentiel. »
Et de rappeler que la résolution 1757 de 2007 a effectivement relevé l'existence « d'obstacles réels » face à l'adoption de ce texte. C'est d'ailleurs pour éviter ce genre d'obstacles que le Conseil de sécurité a eu recours au chapitre VII pour imposer l'entrée en vigueur de l'accord non signé et non ratifié par le Liban, précise M. Jreissati. Sur ce point, Omar Nachabé indique que l'ONU a fini par imposer un accord qui n'a pas reçu l'aval du Liban, « d'où une occultation de la souveraineté du pays ». Pour le professeur Sami Salhab, la résolution 1757 est venue pallier une situation exceptionnelle. « À circonstances exceptionnelles, le Conseil de sécurité est venu recourir à une légalité exceptionnelle en adoptant la 1757. » Le père Fadi Fadel estime, quant à lui, que le TSL est le fruit d'une « formation juridique hybride ». Certes, explique-t-il, il y a eu un accord qui a été signé par le gouvernement libanais mais qui « est le couronnement d'un processus de négociation qui est effectivement ambigu, puisqu'il y a eu dépassement des prérogatives du président ».
Pour M. Jreissati, « la légalité du TSL est une question préalable, qui à ce jour n'a pas encore été posée », précisant que, comme dans le cas de l'ex-Yougoslavie, ce sont les accusés exclusivement qui désormais pourront soulever la question de la légitimité du tribunal pour contester sa compétence.
Certes, reconnaîtront en chœur les intervenants, la justice internationale reste sélective, et elle l'est certainement dans le cas du TSL chargé de connaître de crimes odieux, « mais à caractère politique et individuel ».
« Je pense à tous les crimes qui surviendront dans le monde et même à ceux auxquels nous assistons en ce moment-même, au Yémen, en Libye et dans le monde arabe en général », commente M. Jreissati, qui prévient qu'il faut s'attendre à voir des crimes politiques d'une énorme gravité sans que le Conseil de sécurité ne puisse considérer que ces crimes engagent la paix et la sécurité internationales, comme ce fut le cas lors de la qualification de l'assassinat de Rafic Hariri. M. Salhab ira dans le même sens, estimant que dans le cas du Rwanda aussi bien que de l'ex-Yougoslavie, la sélectivité était également de mise, insistant toutefois sur le fait qu'« il faut absolument prendre en considération la situation qui prévalait au Liban en termes de déstructuration de l'État, de culture de l'impunité et de banalisation des crimes politiques ».
Quant à la problématique de la souveraineté nationale face à la légitimité internationale, M. Jreissati fait remarquer qu'« il n'y a pas de souveraineté nationale sans légitimité internationale ». Et de souligner que le Conseil de sécurité vient pallier les lacunes d'un État défaillant. Cependant, dit-il, « il n'est pas permis de s'immiscer dans le droit interne d'un État qui n'est pas défaillant », entendre le Liban, « un État de droit, qui a été pris de court durant l'enquête préliminaire ». M. Jreissati a toutefois insisté sur le fait que la situation est réversible, puisque le projet d'accord instituant le TSL « prévoit la possibilité de le renégocier ».
Également évoquées lors de ce débat, la question de l'immunité juridictionnelle et son champ d'application, la notion de crime terroriste en l'absence de définition internationale, ainsi que la question du « pouvoir redoutable du président du TSL, Antonio Cassese », qui peut saisir le Conseil de sécurité en cas de non-coopération du Liban avec le TSL, « le seul pays qui est contraint à coopérer sous le chapitre VII », explique M. Jreissati. Les étudiants ont soulevé par ailleurs le sujet des fuites sur l'enquête qui sont parvenues aux médias, une lacune qui porte gravement atteinte au secret de l'enquête et qui, normalement, aurait entraîné au Liban la nullité de la procédure, conviennent les juristes présents.
Le débat a été conclu par une discussion autour de la fameuse équation « justice et stabilité », qui de l'avis de l'ensemble du panel présent n'est pas fondée.
« La justice doit se réaliser quelles que soient les circonstances », dira M. Nachabé. Selon lui, la question « n'est pas d'opérer un choix entre la stabilité et la justice, mais de savoir si la procédure judiciaire suivie respecte effectivement les standards internationaux les plus élevés en matière de justice internationale ». Même son de cloche chez Salim Salhab qui relève qu'« il ne faut pas tomber dans le déni de justice au nom de la stabilité ». Sans pour autant les contredire, M. Jreissati précise toutefois que « plus important que la loi est le droit, plus importante que le droit est la justice, et plus importante que la justice est l'entente. Une justice qui n'apaise pas n'en est pas une, abstraction faite de l'insécurité », dit-il avant d'affirmer que la dérive du TSL devrait être corrigée. Le père Fadel ajoutera qu'une des fonctions principales de la justice internationale est la justice réconciliatrice, visant au rétablissement de la paix sociale.
Et l'intervenant de conclure : « Ceux que je blâme le plus, ce sont les responsables politiques qui ont fini par massacrer la justice internationale, soit en la défendant corps et âme, soit en l'attaquant avec une virulence jamais connue. » Selon lui, seule une critique constructive pourra apporter les éclairages nécessaires à un aboutissement sain du processus.
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