Les protestataires déterminés à poursuivre leur mouvement
jusqu’à acceptation de leurs demandes, notamment être cadrés au sein de
l’Office.
La journée de sit-in des journaliers d’Électricité du
Liban (EDL), au siège de l’institution à Mar Mikhaël (Beyrouth), avait mal commencé
hier, avec des tensions qui ont opposé manifestants et forces de l’ordre le
matin. Après le mouvement de la veille, au cours duquel les grévistes avaient
coupé la route et brûlé des pneus, on avait craint un dérapage. Mais le
dialogue ayant repris le dessus, le sit-in, auquel s’étaient joints quelque 200
grévistes, s’est poursuivi toute la matinée dans le calme. Les forces de
l’ordre, qui s’étaient massivement déployées le matin, ont réduit peu à peu
leurs effectifs. Dans la grande salle à l’entrée de l’EDL se sont regroupés les
grévistes, entre journaliers, percepteurs et membres de l’administration
contractuels. Leur principale revendication : être enfin intégrés dans le
cadre de l’EDL, après des années de service. Les conversations allaient bon train,
et les manifestants commentaient volontiers les derniers développements, avec
des pronostics plus ou moins sombres. « Nous sommes là pour exprimer notre
ras-le-bol, mais je n’ai pas grand espoir dans les négociations en
cours », nous lance l’un d’eux, préférant garder l’anonymat. « Nous
travaillons depuis plus de dix ans sans sécurité sociale, sans indemnités, sans
garantie d’aucune sorte, et sans être payés les jours de chômage ou de grève
des syndicats », renchérit une membre de l’administration, contractuelle
comme l’ensemble des grévistes.
Sur les vitres de la salle, des affiches sont collées avec les photos de
journaliers tombés dans des accidents de travail, des « martyrs du
devoir », comme les appellent leurs camarades... Interrogé par L’Orient-Le
Jour, Mohammad Fayad, qui s’est présenté comme le président du comité de suivi
de la crise et s’exprimait au nom des journaliers en grève, a indiqué que le
sit-in allait se poursuivre tant que les demandes des grévistes ne seraient pas
entendues. Les journaliers, dont le nombre dépasse les deux mille, selon Fouad
Chéhab, un autre membre du comité, demandent notamment à être fixés dans
l’encadrement du personnel. « Il y a au moins 1 600 à 1 700
d’entre nous qui remplissent les conditions requises pour être cadrés »,
précise-t-il. Dans leurs bureaux, les employés cadrés de l’EDL avaient
interrompu toute activité. Le matin, un employé protestataire, Bilal Bajouk,
avait indiqué à la LBC que les grévistes avaient appelé les employés de l’EDL à
quitter l’établissement, menaçant d’en interdire l’accès et la sortie. Mais
Fayad a formellement démenti à L’Orient-Le Jour une telle exigence. Il a
néanmoins souligné que, de facto, les employés ne peuvent travailler sans les
journaliers qui sont sur le terrain et, à ce titre, « représentent la
colonne vertébrale de la compagnie ».
Concours ou pas concours ?
Autant Fayad que Chéhab assurent que la grève ne pourrait cesser avant que les
députés n’avalisent le projet de loi préparé par la commission parlementaire de
l’Administration et de la Justice pour l’encadrement des contractuels. Les
journaliers ne sont pas opposés au passage d’un concours de précadrage, a
précisé le président du comité de suivi de la crise, mais ils souhaitent que ce
concours « teste des connaissances pratiques de terrain et non
théoriques ».
La commission parlementaire de l’Administration et de la Justice a approuvé le
cadrage du plus grand nombre des contractuels grâce à un concours restrictif et
technique. Selon des sources parlementaires citées par l’agence al-Markaziya,
« ce concours sera de pure forme, puisqu’il y a une grande vacance dans le
cadre de l’EDL qui pourra assimiler ceux qui réussissent ». Également
selon ces sources, le gouvernement ne « laissera pas tomber ceux qui auront
échoué, soit parce qu’ils sont âgés, soit parce que leur registre ne permet pas
de les assimiler ». « Ils seront repris par les sociétés
privées », ont assuré les sources.
Or c’est là que le bât blesse. Si les grévistes demandent que tous les
contractuels soient cadrés, c’est précisément parce qu’ils veulent éviter de se
retrouver, selon leurs dires, « à la merci des sociétés privées ».
Celles-ci, au nombre de trois, seront chargées dès début juin de l’ensemble des
travaux de réparation et de la perception sur tout le territoire libanais.
« Nous avons déjà une expérience amère avec des sociétés privées qui,
quand elles ont abandonné leur siège au Liban, nous ont laissés à la rue sans
indemnités ni compensations, a souligné Chéhab. Nous préférons être cadrés à l’EDL
et collaborer avec les sociétés à ce titre. C’est ainsi que nous assurerons la
stabilité de notre emploi. »
Dix à vingt ans de service sans garanties
Certains journaliers, a poursuivi Chéhab, travaillent sur le terrain
depuis dix à vingt ans. Si la colère monte depuis quelques semaines, c’est,
dit-il, en raison de cette insécurité accrue due au fait que les sociétés
privées pourraient licencier des journaliers, et aussi en raison des dernières
déclarations du ministre de l’Énergie qui ont mis les efforts de négociations
dans l’impasse. Selon Fayad, M. Bassil refusait en effet, jusqu’à hier, de
rencontrer les grévistes qui, en revanche, ont des contacts avec toutes les
parties politiques, y compris avec le Courant patriotique libre auquel
appartient le ministre. Des sources du ministère de l’Énergie avaient démenti
la veille les rumeurs selon lesquelles M. Bassil refuserait de recevoir une
délégation des grévistes.
Interrogé sur les efforts en vue de régler la crise, le ministre a déclaré hier
à lorientlejour.com que cette affaire relève d’une loi qui doit être discutée
par le Parlement et le gouvernement, et non de son ministère ou de la direction
d’EDL. Ce n’est pas l’avis d’Ahmad Chouaib, membre du comité de suivi rencontré
hier au sit-in. « S’il n’a rien à faire dans cette crise, pourquoi alors
s’évertue-t-il à bloquer toutes les négociations ? s’insurge-t-il. C’est lui
qui empêche l’adoption de ce projet de loi au Parlement, comme l’a prouvé le
résultat de sa présence hier (lundi) à la réunion de la commission de
l’Administration et de la Justice. »
Chéhab donne une réponse plus nuancée. « Le ministre a sa vision de la
situation et il veut l’appliquer, dit-il. Il croit nous avoir avantagés en nous
obtenant de meilleures conditions avec les sociétés privées qui se chargeront
du travail très bientôt. Mais il doit comprendre que ce n’est pas suffisant.
Nous avons besoin de stabilité au travail, nous sommes tous des pères de
famille. Or les sociétés veulent imposer leurs conditions. »
Chouaib renchérit : « Les sociétés veulent nous imposer une période
d’essai de trois mois. Or nos supérieurs nous ont testés durant des années
! » Il s’est demandé « pourquoi on a accordé à ces compagnies un prêt
bancaire de 900 millions de dollars pour mettre en place ce projet, alors que
300 millions de dollars auraient suffi à la direction d’EDL pour faire toutes
les réformes nécessaires ».
Toutes les personnes interrogées hier au sit-in nient catégoriquement être
manipulées par des parties politiques, comme l’a insinué le ministre (la chaîne
OTV, proche du CPL, a notamment indiqué que « des forces politiques
alliées du ministre Bassil manipulent le dossier des journaliers de
l’EDL »). « Nous sommes tous de différentes communautés religieuses
et de différentes sensibilités politiques, mais nous avons toujours été
solidaires, même quand le pays est divisé, assure Assem Ismaïl, un autre membre
du comité, militant de longue date. Nous sollicitons toutes les forces
politiques sans exception pour plaider notre cause. Cela fait vingt ans que
nous souffrons, alors que c’est grâce à nous que cette institution tient encore
la route. Les employés cadrés ont une moyenne d’âge très élevée et sont en très
petit nombre. Il est impératif que toute solution à la crise de l’électricité
nous prenne en compte. »
Le sit-in dans la grande salle d’EDL a été levé hier vers 13h, et devrait
reprendre aujourd’hui. Il se poursuit de nuit par une permanence sous des
tentes installées dans la cour du bâtiment. En soirée, Mohammad Fayad nous a
indiqué que les contacts allaient toujours bon train pour un dénouement à la
crise.