Au lendemain des accrochages survenus la nuit de dimanche
à lundi, les habitants de Tarik Jdidé vivent un calme prudent, alors que leurs
opinions divergent sur la nécessité de recourir à la violence armée face à
l’escalade sécuritaire dans le pays.
D’abord dans les faits : les heurts ont éclaté dimanche vers 21h entre des habitants du quartier, sympathisants du courant du Futur, et une petite formation également sunnite, le Parti du courant arabe, pro-Assad. Ces heurts faisaient suite à la mort du cheikh sunnite, Ahmad Abdelwahed, un opposant au régime syrien, et d’un autre cheikh l’accompagnant, tués par des tirs de l’armée dans le nord du Liban. Les accrochages de Tarik Jdidé ont pris fin vers 3h, hier, après l’évacuation en catastrophe du chef du Courant arabe, Chaker el-Berjaoui, dans une voiture blindée envoyée, avec des gardes du corps, par une puissante formation amie. Les tirs ayant cessé, des unités de l’armée ont fait leur entrée sur le terrain, pour rétablir la sécurité. Bilan des accrochages : deux combattants du Parti du courant arabe tués et 18 autres personnes blessées, selon des sources de sécurité.
Les deux versions
Ce descriptif des faits omet certains détails qui font l’objet de divergences entre les habitants de Tarik Jdidé, à majorité favorables au courant du Futur, et la formation de Chaker el-Berjaoui, sunnite proche du Hezbollah. Les premiers estiment que les heurts ont commencé lorsqu’une dizaine d’hommes de Berjaoui ont ouvert le feu en direction d’adolescents du quartier qui brûlaient des pneus dans les rues, y compris aux alentours du siège du Courant arabe, en réaction à la mort des deux dignitaires sunnites dans le Nord. Les jeunes ayant essuyé les tirs auraient été alors rejoints par des adultes, « en possession d’armes individuelles », afin de contrer les hommes de Berjaoui. Ces derniers auraient été secondés ensuite par « les membres du mouvement Amal affluant de l’autoroute de Cola, du côté des quartiers chiites ». Les tirs auraient blessé Berjaoui à la jambe. « Il est sorti en criant, avant d’être secouru par un 4x4 blindé, conduit par des hommes du Hezbollah, identifiables à leur képi beige », racontent des habitants du quartier. Selon la version opposée, relatée par Berjaoui dans une conférence de presse hier, « ce sont les partisans du courant du Futur qui ont tiré en direction du siège du parti, ce qui a déclenché les heurts ». « Ce n’est pas le Hezbollah qui m’a transporté en dehors du quartier, ces informations sont mensongères et ils le savent », a-t-il ajouté. Selon un syrien qui habite Tarik Jdidé, « ce sont des sunnites opposés au courant du Futur qui ont récupéré Berjaoui ». Certains sont allés jusqu’à faire état d’une implication de Palestiniens armés, venus du camp de Sabra prendre part aux accrochages. Une information démentie par un communiqué du mouvement Fateh hier.
Des armes iraniennes...
Au-delà de ces détails volontiers racontés, des faits ressurgissent dans les propos jetés furtivement par des passants, parfois craintifs, et les détails fournis, d’une manière peut-être amplifiée, par ceux qui se sont regroupés devant le siège du parti du Courant arabe, dont les bureaux, situés au premier étage d’un immeuble, ont été entièrement incendiés. Devant le bâtiment dont le portail est gardé par des soldats de l’armée, des carcasses des véhicules appartenant à Berjaoui, brûlés lors des affrontements de la veille. « Ce sont eux qui ont mis le feu à leurs propres bureaux, avant de prendre la fuite, afin de détruire des documents importants », lance un étudiant de vingt ans, soutenu bruyamment dans ses propos par une dizaine de jeunes regroupés autour de lui.
Une base frustrée par les leaders
D’autres ajoutent que « plusieurs armes ont été trouvées au siège du parti, des armes lourdes et des obus iraniens ». Ces propos trahissent les tensions actuelles entre Hezbollah et courant du Futur. Curieusement, les récents heurts semblent avoir apaisé ces tensions, en allégeant le poids des frustrations ressenties depuis un certain temps par la communauté sunnite de la région, qui se dit agacée par la décision de désarmement défendue par le courant du Futur. « Saad Hariri est plus modéré que nous. Il ne s’exprime qu’avec la feuille et le crayon », « Nous sommes prêts à nous battre, pour défendre notre honneur », martèlent des jeunes. D’autres, un peu plus âgés, se détendent à l’ombre d’un petit café et commentent sur un ton léger les incidents. Lorsqu’ils adoptent un ton sérieux, c’est uniquement pour déclarer qu’ils sont « contre la guerre ». « Tout ce que nous voulons, c’est un boulot, pour faire vivre nos familles. » Cette volonté de ne pas recourir à la violence est partagée par les plus vieux, conscients toutefois de « la nécessité de nous défendre, même si ce n’est pas par les armes ».
Drogue et salaires pour les pro-Berjaoui...
En outre, les incidents semblent avoir accordé un certain répit aux sunnites de Tarik Jdidé, qui semblent contents d’avoir « expulsé » Chaker Berjaoui, celui qu’ils considèrent comme « infiltré dans le quartier », dont il est pourtant originaire. Les habitants relatent en effet les pratiques de cet homme, « dont la présence était une tentative d’asseoir une certaine autorité du Hezbollah » dans le quartier de Tarik Jdidé. À cette fin, « il enrôlait des jeunes chômeurs ou des toxicomanes du quartier, en contrepartie d’un salaire mensuel de 500 ou de 600 USD, sans compter les stupéfiants qu’il leur distribuait », accusent des habitants, qui semblent s’être débarrassés « de l’atmosphère malsaine et viciée dans laquelle il entraînait nos jeunes ».
Les sympathisants du courant du Futur manifestent en outre une certaine empathie pour les deux membres du parti du Courant arabe ayant péri dans les heurts, étant donné qu’ils sont « les fils du quartier ». Leurs obsèques se sont toutefois déroulées hier en dehors de Tarik Jdidé, de peur de déclencher de nouveaux heurts. Toutefois, pareil risque semble écarté à l’heure actuelle, comme le révèle la présence d’un chiite, proche du Hezbollah, qui errait discrètement, mais sans crainte réelle, dans le quartier de Tarik Jdidé. Les unités de l’armée présentes dans le quartier depuis l’aube, rejointes ensuite par les FSI, semblent avoir consolidé la sécurité. C’est ce qu’a cherché à affirmer le directeur général des FSI le général Achraf Rifi, en tournée hier dans le quartier. « L’insécurité est provisoire », a-t-il déclaré, ajoutant que « les mesures sécuritaires nécessaires ont été prises en coopération avec l’armée, dont le rôle est incontestable ». Toutefois, ce rôle est remis en cause par les habitants de Tarik Jdidé qui s’interrogent sur les raisons pour lesquelles l’armée n’est pas intervenue pour mettre un terme aux accrochages. En dépit de ce mécontentement, tous veillent d’une manière générale à ne pas s’en prendre à l’institution militaire. C’est dans ce sens que s’inscrit d’ailleurs le discours du député de la Jamaa islamiya et membre du bloc du Futur Imad el-Hout, lors d’une manifestation organisée par la Ligue des étudiants islamistes devant le Grand Sérail hier. « Nous réclamons un État juste qui sanctionne les assassins des ulémas et qui ne procède pas à des arrestations arbitraires. » Il a appelé le Premier ministre Nagib Mikati « à combler les failles de l’armée qui conduisent à la discorde ».
D’abord dans les faits : les heurts ont éclaté dimanche vers 21h entre des habitants du quartier, sympathisants du courant du Futur, et une petite formation également sunnite, le Parti du courant arabe, pro-Assad. Ces heurts faisaient suite à la mort du cheikh sunnite, Ahmad Abdelwahed, un opposant au régime syrien, et d’un autre cheikh l’accompagnant, tués par des tirs de l’armée dans le nord du Liban. Les accrochages de Tarik Jdidé ont pris fin vers 3h, hier, après l’évacuation en catastrophe du chef du Courant arabe, Chaker el-Berjaoui, dans une voiture blindée envoyée, avec des gardes du corps, par une puissante formation amie. Les tirs ayant cessé, des unités de l’armée ont fait leur entrée sur le terrain, pour rétablir la sécurité. Bilan des accrochages : deux combattants du Parti du courant arabe tués et 18 autres personnes blessées, selon des sources de sécurité.
Les deux versions
Ce descriptif des faits omet certains détails qui font l’objet de divergences entre les habitants de Tarik Jdidé, à majorité favorables au courant du Futur, et la formation de Chaker el-Berjaoui, sunnite proche du Hezbollah. Les premiers estiment que les heurts ont commencé lorsqu’une dizaine d’hommes de Berjaoui ont ouvert le feu en direction d’adolescents du quartier qui brûlaient des pneus dans les rues, y compris aux alentours du siège du Courant arabe, en réaction à la mort des deux dignitaires sunnites dans le Nord. Les jeunes ayant essuyé les tirs auraient été alors rejoints par des adultes, « en possession d’armes individuelles », afin de contrer les hommes de Berjaoui. Ces derniers auraient été secondés ensuite par « les membres du mouvement Amal affluant de l’autoroute de Cola, du côté des quartiers chiites ». Les tirs auraient blessé Berjaoui à la jambe. « Il est sorti en criant, avant d’être secouru par un 4x4 blindé, conduit par des hommes du Hezbollah, identifiables à leur képi beige », racontent des habitants du quartier. Selon la version opposée, relatée par Berjaoui dans une conférence de presse hier, « ce sont les partisans du courant du Futur qui ont tiré en direction du siège du parti, ce qui a déclenché les heurts ». « Ce n’est pas le Hezbollah qui m’a transporté en dehors du quartier, ces informations sont mensongères et ils le savent », a-t-il ajouté. Selon un syrien qui habite Tarik Jdidé, « ce sont des sunnites opposés au courant du Futur qui ont récupéré Berjaoui ». Certains sont allés jusqu’à faire état d’une implication de Palestiniens armés, venus du camp de Sabra prendre part aux accrochages. Une information démentie par un communiqué du mouvement Fateh hier.
Des armes iraniennes...
Au-delà de ces détails volontiers racontés, des faits ressurgissent dans les propos jetés furtivement par des passants, parfois craintifs, et les détails fournis, d’une manière peut-être amplifiée, par ceux qui se sont regroupés devant le siège du parti du Courant arabe, dont les bureaux, situés au premier étage d’un immeuble, ont été entièrement incendiés. Devant le bâtiment dont le portail est gardé par des soldats de l’armée, des carcasses des véhicules appartenant à Berjaoui, brûlés lors des affrontements de la veille. « Ce sont eux qui ont mis le feu à leurs propres bureaux, avant de prendre la fuite, afin de détruire des documents importants », lance un étudiant de vingt ans, soutenu bruyamment dans ses propos par une dizaine de jeunes regroupés autour de lui.
Une base frustrée par les leaders
D’autres ajoutent que « plusieurs armes ont été trouvées au siège du parti, des armes lourdes et des obus iraniens ». Ces propos trahissent les tensions actuelles entre Hezbollah et courant du Futur. Curieusement, les récents heurts semblent avoir apaisé ces tensions, en allégeant le poids des frustrations ressenties depuis un certain temps par la communauté sunnite de la région, qui se dit agacée par la décision de désarmement défendue par le courant du Futur. « Saad Hariri est plus modéré que nous. Il ne s’exprime qu’avec la feuille et le crayon », « Nous sommes prêts à nous battre, pour défendre notre honneur », martèlent des jeunes. D’autres, un peu plus âgés, se détendent à l’ombre d’un petit café et commentent sur un ton léger les incidents. Lorsqu’ils adoptent un ton sérieux, c’est uniquement pour déclarer qu’ils sont « contre la guerre ». « Tout ce que nous voulons, c’est un boulot, pour faire vivre nos familles. » Cette volonté de ne pas recourir à la violence est partagée par les plus vieux, conscients toutefois de « la nécessité de nous défendre, même si ce n’est pas par les armes ».
Drogue et salaires pour les pro-Berjaoui...
En outre, les incidents semblent avoir accordé un certain répit aux sunnites de Tarik Jdidé, qui semblent contents d’avoir « expulsé » Chaker Berjaoui, celui qu’ils considèrent comme « infiltré dans le quartier », dont il est pourtant originaire. Les habitants relatent en effet les pratiques de cet homme, « dont la présence était une tentative d’asseoir une certaine autorité du Hezbollah » dans le quartier de Tarik Jdidé. À cette fin, « il enrôlait des jeunes chômeurs ou des toxicomanes du quartier, en contrepartie d’un salaire mensuel de 500 ou de 600 USD, sans compter les stupéfiants qu’il leur distribuait », accusent des habitants, qui semblent s’être débarrassés « de l’atmosphère malsaine et viciée dans laquelle il entraînait nos jeunes ».
Les sympathisants du courant du Futur manifestent en outre une certaine empathie pour les deux membres du parti du Courant arabe ayant péri dans les heurts, étant donné qu’ils sont « les fils du quartier ». Leurs obsèques se sont toutefois déroulées hier en dehors de Tarik Jdidé, de peur de déclencher de nouveaux heurts. Toutefois, pareil risque semble écarté à l’heure actuelle, comme le révèle la présence d’un chiite, proche du Hezbollah, qui errait discrètement, mais sans crainte réelle, dans le quartier de Tarik Jdidé. Les unités de l’armée présentes dans le quartier depuis l’aube, rejointes ensuite par les FSI, semblent avoir consolidé la sécurité. C’est ce qu’a cherché à affirmer le directeur général des FSI le général Achraf Rifi, en tournée hier dans le quartier. « L’insécurité est provisoire », a-t-il déclaré, ajoutant que « les mesures sécuritaires nécessaires ont été prises en coopération avec l’armée, dont le rôle est incontestable ». Toutefois, ce rôle est remis en cause par les habitants de Tarik Jdidé qui s’interrogent sur les raisons pour lesquelles l’armée n’est pas intervenue pour mettre un terme aux accrochages. En dépit de ce mécontentement, tous veillent d’une manière générale à ne pas s’en prendre à l’institution militaire. C’est dans ce sens que s’inscrit d’ailleurs le discours du député de la Jamaa islamiya et membre du bloc du Futur Imad el-Hout, lors d’une manifestation organisée par la Ligue des étudiants islamistes devant le Grand Sérail hier. « Nous réclamons un État juste qui sanctionne les assassins des ulémas et qui ne procède pas à des arrestations arbitraires. » Il a appelé le Premier ministre Nagib Mikati « à combler les failles de l’armée qui conduisent à la discorde ».
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