Un panel prestigieux a participé hier à un débat sur l'abolition de la peine capitale organisé au Centre culturel français (CCF), à l'occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort. Les difficultés d'aborder ce sujet au Liban tout comme les arguments abolitionnistes ont été passés en revue. « Je suis présente ici pour clamer que je suis contre la torture, l'injustice et la peine de mort, parce que j'ai tout vécu. » Le témoignage d'Antoinette Chahine, ancienne prisonnière pour un crime qu'elle n'a pas commis et dont elle a été innocentée, a ému toute l'assistance hier, à la Salle Montaigne du CCF, lors du débat sur la peine de mort organisé par l'ambassade de France et l'Union européenne (UE). Elle-même a eu les larmes aux yeux plus d'une fois, en racontant les tortures inhumaines subies, et son effroyable désillusion quand, en 1997, elle a été reconnue coupable et condamnée à la peine capitale. Libérée en 1999 après un second procès et une mobilisation générale en sa faveur, Antoinette a assuré que ce qu'on doit retenir de son témoignage, « c'est que la peine de mort doit être abolie dans tous les pays du monde ». « Même en tenant compte des souffrances de la prison, la mort reste la pire des solutions », a-t-elle ajouté. Youssef Chaabane est, comme Antoinette, un cas poignant puisqu'il a passé quelque quinze ans en prison pour un crime dont le véritable auteur a été jugé et condamné en Jordanie. Voilà pourquoi il a probablement commencé son mot par évoquer « ceux qui ont été exécutés et dont l'innocence a été prouvée plus tard ». Trop tard. Lui a été gracié par le président de la République Michel Sleiman, mais non sans subir auparavant toutes sortes d'injustices et de tortures. Commencer le débat par ces deux témoignages est venu rappeler le visage humain de la question. La peine de mort est « inhumaine », « porte atteinte à la dignité de l'homme », « n'est pas dissuasive et ne contribue pas à la baisse de la criminalité », « est irréversible alors que la justice n'est pas infaillible », « consiste à combattre un crime par un autre », « est un meurtre d'État »... Ces termes ont plus d'une fois été utilisés par les intervenants de cette conférence-débat dirigée par l'ambassadeur de France Denis Pietton et le chef de la Délégation de l'UE au Liban, Patrick Laurent : le ministre de la Justice Ibrahim Najjar, le député Ghassan Moukheiber, l'ancien député Salah Honein, l'avocat Nizar Saghieh et Walid Slaybi, militant de la société civile et fondateur de l'Université académique pour la non-violence et les droits de l'homme dans le monde arabe (AUNOHR). La présence d'un représentant de l'ancien Premier ministre Sélim Hoss est venue souligner que cet homme politique avait refusé par principe de contresigner des condamnations à mort durant son dernier mandat, de 1998 à 2000.
Un moratoire qui dure ?
Les interventions se sont attardées sur le moratoire qui dure depuis 2004, date de la dernière exécution, et qui avait été précédé par un autre depuis 1998. Mais, comme l'a souligné M. Moukheiber, il y a actuellement non moins de 43 prisonniers dans le couloir de la mort. Une question essentielle a été posée : comment faire en sorte que ce moratoire dure, qu'il n'y ait pas de nouvelles condamnations et que le Liban finisse par adopter une loi contre la peine de mort. Des projets de loi ont déjà trouvé leur chemin au Parlement, sans que cela n'ouvre véritablement la voie vers un débat national. Deux au moins ont été cités hier : un projet signé en 2004 par sept députés (dont Salah Honein qui s'est dit hier « toujours très attaché » à ce texte) et un projet signé par dix députés en 2007, dont Ghassan Moukheiber. Celui-ci a expliqué qu'il y avait deux tendances parmi les abolitionnistes : ceux qui préfèrent une abolition automatique et totale, dont il fait partie, et ceux qui ont pris leur parti d'une abolition graduelle, ce qui, selon lui, ouvre d'autres problématiques sur la façon dont ce passage graduel pourrait s'effectuer. À ces deux projets, il faut ajouter celui qui est en préparation au ministère de la Justice, ainsi que l'a annoncé M. Najjar. On n'en est pas encore à l'abolition de la peine de mort, mais on revient de loin. C'est ce qu'a rappelé M. Slaybi, revenant en mémoire à cette année 2001 où la funeste loi n° 302 de 1994, selon laquelle tant de crimes étaient passibles de peine de mort, avait été annulée grâce aux efforts de la société civile. Cette même société civile, qui, selon lui, soutiendra sans faille le projet de Najjar. M. Saghieh a focalisé le débat sur ce qu'il considère comme essentiel : le nouveau code pénal actuellement en gestation au Parlement. « Selon le texte, 18 cas de figure restent passibles de peine de mort », a-t-il dit. Il insiste sur le fait que « la peine de mort n'est pas un slogan, mais qu'elle façonne notre propre réflexion sur la justice ».Une « espionnite aiguë »
En présence d'une activité non négligeable, qu'est-ce qui freine réellement le lancement du débat sur l'abolition de la peine de mort ? M. Najjar a évoqué à plusieurs reprises la difficulté de convaincre les politiques de la nécessité du débat, dénonçant une « frilosité généralisée », d'où la nécessité « d'un travail courageux de lobbying et d'une vulgarisation de cette culture de l'abolition ». Il a aussi pointé du doigt « l'espionnite aiguë » qui règne actuellement sur le pays, plusieurs voix s'étant élevées récemment pour demander l'exécution des accusés de collaboration avec Israël. M. Moukheiber a fait la lumière sur les lacunes du travail du Parlement. « Ces projets de loi sur l'abolition de la peine de mort font partie de plus de 300 qui attendent d'être adoptés dans l'hémicycle », a-t-il dit. Il a appelé la commission de l'Administration et de la Justice à se réunir sans tarder pour examiner ces deux projets de loi, ce qui lancerait le débat. « Je considère que le succès est inéluctable parce que le Liban, comme le monde, marche vers le développement », a-t-il ajouté. Mais si l'on convainc les politiques, qu'en est-il de la population, souvent effrayée de la perspective de récidive ou d'évasion des criminels ? « Nous ne suggérons pas que les criminels doivent rester impunis, a souligné M. Honein. Il peut y avoir des jugements sévères, comme la prison à perpétuité. Ceux qui croient en la peine de mort sous-entendent qu'il y a des personnes entièrement coupables, et que la justice est totalement infaillible. J'ai des doutes sur les deux. D'autant plus qu'on ne peut combattre un crime par un autre, un crime exécuté par l'État en notre nom, ce que nous devons refuser. » L'avocat a reconnu qu'il fallait accompagner une réforme de la loi par une réforme des prisons, pour plus de sécurité et une perspective de réhabilitation. 
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