Par Émile Khoury
Le président Saad Hariri s'est-il trompé en acceptant de former le présent gouvernement ? Ferait-il fausse route s'il démissionnait ou, au contraire, s'il insistait pour se maintenir ? Les réponses à ces interrogations ne sont évidemment pas identiques au sein du 8 Mars et du 14 Mars, mais elles ne le sont pas non plus dans les capitales sœurs ou amies du Liban.
Pour certains, l'intéressé a pris la mauvaise voie en assumant la patate chaude de la présidence du Conseil. Il aurait mieux fait de déléguer ce poste à un autre. Pour garder les coudées libres dans l'action, dans la lutte, qu'il doit mener. Ainsi que pour représenter un recours ultime en cas de besoin, c'est-à-dire de crise aiguë. Il jouerait alors un rôle de sauveur, pour servir l'intérêt national bien compris, sans brader ses convictions, ses constantes.
Pour les partisans de cette thèse, il y a eu journée de dupes entre l'Arabie saoudite et la Syrie. Le royaume a pensé avoir marqué un point important en obtenant que son filleul soit adopté sans veto syrien. Mais Damas s'est interdit toute objection, du simple fait qu'il tirait avantage de la nomination de Hariri. Considéré comme une proie assez facile à chasser, une cible offerte à tous les coups, disposée à beaucoup de concessions pour payer le prix de son avènement. Comme pour renforcer un rapprochement syro-saoudien favorable aux intérêts du Liban.
La première récompense de la Syrie a été que Hariri a dû s'y rendre en visite. Bien obligé, en tant que chef du gouvernement libanais. Damas y a vu, à juste titre, l'amorce d'une phase permettant de tourner la page d'un passé conflictuel. L'aboutissement en étant la déclaration dans laquelle Hariri disculpe la Syrie de l'assassinat de son père et de ses compagnons de destin. En concédant que ses charges initiales se fondaient sur de faux témoignages.
Sauf que l'abominable série d'attentats et d'assassinats qui ont perduré jusqu'en 2008 n'est pas oubliée. L'hostilité entre les deux pays, entre les deux peuples persiste, ainsi que le clivage sur le TSL. Ce que les Syriens ne gobent pas, c'est que Hariri et le 14 Mars, Courant du futur en tête, établissent une nette distinction, dans leurs rapports avec Damas, entre le privé et le public. La découverte de la vérité sur les crimes pour que justice soit rendue est une chose. Et les relations d'État à État en est une autre. Ce distinguo déplaît donc à la Syrie, et partant, à ses alliés du cru. Pour eux, quand relation il y a, tout se confond, car le privé et le public s'influencent mutuellement.
Double campagne
Toujours est-il que des professionnels réclament le départ de Hariri, au titre qu'il ne peut être juge et partie dans l'affaire du TSL, qu'il y a conflit d'intérêts puisqu'il est partie civile dans l'assassinat de son père. Ces contempteurs affirment qu'il est nécessaire de faire appel, pour diriger un nouveau gouvernement, à une personnalité qui soit persona grata auprès de toutes les fractions. Sous-entendu, qui n'appartienne ni au 14 Mars ni, a fortiori, au Courant du futur, bien qu'il constitue la principale force actuelle de la communauté sunnite. Autre noble objectif de ces cadres : un nouveau cabinet s'attellerait à liquider les séquelles des phases précédentes. Surtout pour ce qui est des attentats- assassinats, des appréhensions que suscite l'acte d'accusation et du sort du TSL. Selon eux, une fois cette mission accomplie, le cabinet de transition rendrait son tablier. Et Hariri pourrait revenir à la tête d'un cabinet qui se tournerait vers l'avenir, et ses projets, et non plus vers le passé.
Variante que d'autres présentent : Hariri doit rester, puisqu'il n'y a pas d'autre choix sensé, et qu'il est l'homme de la situation, comme l'a dit Assad. Mais, par contre, le gouvernement doit être remplacé. Par une équipe plus homogène, plus productive, capable d'agir sans être entravée par les disputes entre loyalistes et minoritaires. Pour eux, la représentation du 14 Mars doit être réduite et celle du 8 Mars plus élevée. En d'autres termes, Hariri serait le chef d'un gouvernement où il n'aurait pas la majorité certifiée. Ce qui induit qu'il devrait lâcher certaines composantes du 14 Mars, pour se retrouver otage du 8 Mars. Et n'être plus qu'un roitelet constitutionnel, une reine d'Angleterre comme on dit, qui règne sans gouverner. Ce vœu, les Syriens ont tout l'air de le soutenir. Car lorsque Assad décerne un satisfecit personnel au président du Conseil, son Premier ministre, Otri, qualifie le 14 Mars, expression même de la ligne de Hariri, de « temple en carton-pâte. » Ce qui, traduit en clair, signifie donc que Hariri peut rester, mais sans ses alliés, notamment chrétiens.
Quoi qu'il en soit, le 8 Mars menace : si Hariri refuse que le gouvernement soit changé, la campagne dirigée contre lui, à travers les offensives, et les offenses, contre le règne de son père, va s'intensifier. Certains cadres du 14 Mars proposent de contre-attaquer en faisant le jeu des renverseurs de table. Ils demandent au président Hariri de démissionner pour de bon, de ne pas revenir, pour que la présidence du Conseil cesse d'être utilisée comme carte de chantage par le camp d'en face et ceux qui sont derrière lui. En écho, des journalistes saoudiens rappellent à Hariri qu'à sa disculpation de la Syrie il a été répondu par des mandats d'arrêt. Ils l'invitent à ne pas trahir la quête de la vérité, et le TSL, pour complaire au Hezbollah.

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