À l’instar de l’ensemble des secteurs de la vie publique
où la vision à long terme et la planification font défaut, la justice n’échappe
pas non plus à cette anomalie, l’État n’ayant jamais initié à ce jour une
politique pénale susceptible de rationaliser en l’humanisant le processus de
pénalisation.
Régulièrement, les prisons font la une des journaux et
mobilisent une classe politique léthargique : insurrection, incendies,
prises d’otages, actes de violence divers, grève de la faim. Bref, une manière
pour les détenus de rappeler les mauvaises conditions dans lesquelles se
déroulent leur vie carcérale et leur situation juridique dans l’ensemble. La
raison en est certes une mauvaise gestion des prisons qui sont complètement
inadaptées, mais également une pléthore de textes de loi désormais inadéquats,
ou encore l’absence de lois requises du fait de la paresse ou de l’inefficacité
du pouvoir législatif, si ce n’est la lenteur et la lourdeur du processus
judiciaire.
À chaque nouveau round de tapage médiatique, les regards sont tournés vers un État qui ne fait rien d’autre que réagir ponctuellement à la crise pour la juguler au lieu de prévoir et de prévenir.
C’est le bilan qui ressort d’une conférence organisée lundi soir à l’USJ, par Beryte, l’écho des Cèdres (la revue officielle des étudiants de droit et de sciences politiques de l’USJ) sur le thème suivant : « La politique criminelle de l’État libanais : libérale ou conservatrice ? »
Ainsi, affirme le président du comité directeur de Beryte, Georges Boustany, toutes les fois que la crise se manifeste, les réactions des autorités viennent tardivement pour produire des solutions provisoires ou tronquées, mais jamais une politique préventive et/ou à long terme.
Tout le monde le reconnaît y compris les officiels eux-mêmes, dit-il : la situation des prisonniers et des milieux carcéraux est effectivement dérisoire et les promesses de réforme et de réhabilitation ne sont formulées que pour venir agrémenter les déclarations ministérielles consécutives.
« Le prisonnier ne mérite-t-il donc pas d’avoir une seconde chance ? Doit-il être puni deux fois ? » s’est-il demandé avant de donner la parole aux intervenants.
Le juge n’est pas l’esclave du texte, puisqu’il a toute la latitude d’une interprétation que lui dictent sa conscience, son éthique professionnelle et sa compréhension humanisée du texte, sa motivation étant principalement « la garantie des libertés publiques et individuelles », affirme le juge d’instruction de Beyrouth, Fadi Oneissy.
Égrenant les principes qui doivent le guider, il affirme que le « juge a un pouvoir d’appréciation lorsqu’il prononce les peines. Il doit prendre en compte le principe des circonstances atténuantes ». Et d’ajouter : « Le magistrat doit se rappeler qu’il est là pour aider le faible face au plus puissant. »
« Autant de garde-fous qui n’empêchent pas cependant certains juges de s’égarer, de faire preuve de rigidité, ou de se plier aux desiderata des politiques », laisse entendre le juge Oneissy qui tient à citer des exemples de jugements courageux que lui et plusieurs de ses collègues ont prononcés aux cours des dernières années au nom des libertés : l’affaire de la fermeture de la MTV, le procès intenté contre Marcel Khalifé pour sa chanson sur le prophète, la pièce de théâtre Majdaloun, réhabilitée par une décision de justice qui a remis en cause celle de la Sûreté générale, les procès contre des activistes aounistes ou FL du temps – et en dépit – de l’occupation syrienne.
Et le magistrat d’insister sur deux règles sacro-saintes, à savoir, d’une part, les droits de la défense qui doivent être respectés de bout en bout et le fait qu’« il ne peut y avoir de sanction sans procès et sans jugement », en allusion notamment au problème de la détention provisoire ou de l’emprisonnement de longue durée sans procès.
Des peines de substitution
Notre collègue et chercheur Omar Nashabé, du quotidien al-Akhbar, a tenu à rappeler une vérité inéluctable de la vie carcérale : celle qui consiste à dire que si la réhabilitation et la réinsertion sociale du criminel ont échoué, cela voudrait dire que la politique du châtiment a également échoué. « À ce jour, aucune étude n’a été faite encore sur l’impact de la sanction sur le prisonnier et sur la société », affirme M. Nashabé.
L’intervenant a ainsi démontré tout au long de son intervention la véracité de ce constat en effectuant une description exhaustive de la vie carcérale et de ses multiples problèmes : surpopulation des prisons, absence de programme de réhabilitation, absence de suivi psychologique, absence d’une répartition des prisonniers selon l’âge et la gravité du crime, et enfin le problème endémique de la drogue.
« La loi a prévu la réhabilitation, mais les prisons ne sont pas équipées en fonction de cette idée », souligne le conférencier qui raconte que les maigres travaux manuels effectués par les prisonniers sont réalisés sur leur propre lit par manque de locaux.
Plus optimiste, Renée Sabbagh, « National Programme Officer » au bureau Drogues et crimes des Nations unies, est intervenue sur le thème des « peines alternatives à l’emprisonnement » qui peuvent être appliquées avant le procès, au niveau du procureur, au niveau de la prononciation de la peine, ou en vue d’une libération anticipée. Reprenant un credo cher aux activistes des droits de l’homme, voire même de plusieurs juges et avocats, l’intervenante s’est prononcée pour la dépénalisation de l’usage de drogue (l’alternative étant les programmes de désintoxication des usagers) et la déjudicialisation de certains crimes, notamment ceux commis par des mineurs qui doivent plutôt être orientés vers des travaux d’intérêt général, d’où la nécessité de réactiver la loi 422 sur les mineurs, dit-elle en substance. Une alternative qui va dans le sens du respect de l’enfant auquel il faut donner une seconde chance et le réintégrer dans sa famille et son environnement. Il est temps de passer à autre chose que la détention, dit-elle, rappelant l’importance d’une justice sociale en place et lieu d’une justice sans âme.
Il reste cependant à bien définir les origines du problème en remontant la chaîne du processus judiciaire : c’est au sein même du Parlement que se trouve une partie de la réponse à l’absence de réforme du système pénitencier.
Bien placé pour dévoiler les rouages du législatif et ses multiples dysfonctionnements, le député Ghassan Moukheiber reconnaît d’emblée l’existence de lacunes au niveau des textes. « Le problème majeur réside au niveau de l’absence d’une stratégie pénale et d’une vision à long terme », explique le parlementaire qui révèle que les législateurs réagissent par à-coups, sans planification aucune, et lorsqu’ils le font, c’est sous la pression populaire, ou d’une mutinerie couplée à une mise à feu des matelas par les détenus.
Il faut savoir que ce sont plus de 300 textes de loi qui traînent actuellement à la commission de l’Administration et de la Justice, et que l’amendement du code pénal qui a commencé il y a une bonne dizaine d’années n’a toujours pas été achevé. Comment peut-il en être autrement puisque cette commission se réunit deux fois par semaine à raison de deux heures seulement à chaque fois ? se demande le conférencier.
Le député a dénoncé au passage la pratique de l’arrestation préventive qui souvent se prolonge ad vitam aeternam sans justification, le retard des procès qui entraîne également une longue détention injustifiée, le sempiternel problème de la torture aux mains des services de renseignements qui se substituent souvent à la police judiciaire en l’absence du respect du principe sacré de l’inamovibilité des juges, et enfin l’injustifiable ingérence, voire parfois sinon souvent l’inefficacité des tribunaux d’exception.
« La justice locale a prouvé qu’elle était incapable de résoudre un grand nombre de crimes dont une majorité a été déférée devant la Cour de justice (...), laquelle a rarement rendu un verdict », dit-il.
Et le député de dénoncer enfin la schizophrénie du système de l’État qui d’un côté avalise un Tribunal spécial pour le Liban et d’un autre refuse de signer le traité de Rome pour déférer devant la Cour pénale internationale les crimes commis par Israël.
À chaque nouveau round de tapage médiatique, les regards sont tournés vers un État qui ne fait rien d’autre que réagir ponctuellement à la crise pour la juguler au lieu de prévoir et de prévenir.
C’est le bilan qui ressort d’une conférence organisée lundi soir à l’USJ, par Beryte, l’écho des Cèdres (la revue officielle des étudiants de droit et de sciences politiques de l’USJ) sur le thème suivant : « La politique criminelle de l’État libanais : libérale ou conservatrice ? »
Ainsi, affirme le président du comité directeur de Beryte, Georges Boustany, toutes les fois que la crise se manifeste, les réactions des autorités viennent tardivement pour produire des solutions provisoires ou tronquées, mais jamais une politique préventive et/ou à long terme.
Tout le monde le reconnaît y compris les officiels eux-mêmes, dit-il : la situation des prisonniers et des milieux carcéraux est effectivement dérisoire et les promesses de réforme et de réhabilitation ne sont formulées que pour venir agrémenter les déclarations ministérielles consécutives.
« Le prisonnier ne mérite-t-il donc pas d’avoir une seconde chance ? Doit-il être puni deux fois ? » s’est-il demandé avant de donner la parole aux intervenants.
Le juge n’est pas l’esclave du texte, puisqu’il a toute la latitude d’une interprétation que lui dictent sa conscience, son éthique professionnelle et sa compréhension humanisée du texte, sa motivation étant principalement « la garantie des libertés publiques et individuelles », affirme le juge d’instruction de Beyrouth, Fadi Oneissy.
Égrenant les principes qui doivent le guider, il affirme que le « juge a un pouvoir d’appréciation lorsqu’il prononce les peines. Il doit prendre en compte le principe des circonstances atténuantes ». Et d’ajouter : « Le magistrat doit se rappeler qu’il est là pour aider le faible face au plus puissant. »
« Autant de garde-fous qui n’empêchent pas cependant certains juges de s’égarer, de faire preuve de rigidité, ou de se plier aux desiderata des politiques », laisse entendre le juge Oneissy qui tient à citer des exemples de jugements courageux que lui et plusieurs de ses collègues ont prononcés aux cours des dernières années au nom des libertés : l’affaire de la fermeture de la MTV, le procès intenté contre Marcel Khalifé pour sa chanson sur le prophète, la pièce de théâtre Majdaloun, réhabilitée par une décision de justice qui a remis en cause celle de la Sûreté générale, les procès contre des activistes aounistes ou FL du temps – et en dépit – de l’occupation syrienne.
Et le magistrat d’insister sur deux règles sacro-saintes, à savoir, d’une part, les droits de la défense qui doivent être respectés de bout en bout et le fait qu’« il ne peut y avoir de sanction sans procès et sans jugement », en allusion notamment au problème de la détention provisoire ou de l’emprisonnement de longue durée sans procès.
Des peines de substitution
Notre collègue et chercheur Omar Nashabé, du quotidien al-Akhbar, a tenu à rappeler une vérité inéluctable de la vie carcérale : celle qui consiste à dire que si la réhabilitation et la réinsertion sociale du criminel ont échoué, cela voudrait dire que la politique du châtiment a également échoué. « À ce jour, aucune étude n’a été faite encore sur l’impact de la sanction sur le prisonnier et sur la société », affirme M. Nashabé.
L’intervenant a ainsi démontré tout au long de son intervention la véracité de ce constat en effectuant une description exhaustive de la vie carcérale et de ses multiples problèmes : surpopulation des prisons, absence de programme de réhabilitation, absence de suivi psychologique, absence d’une répartition des prisonniers selon l’âge et la gravité du crime, et enfin le problème endémique de la drogue.
« La loi a prévu la réhabilitation, mais les prisons ne sont pas équipées en fonction de cette idée », souligne le conférencier qui raconte que les maigres travaux manuels effectués par les prisonniers sont réalisés sur leur propre lit par manque de locaux.
Plus optimiste, Renée Sabbagh, « National Programme Officer » au bureau Drogues et crimes des Nations unies, est intervenue sur le thème des « peines alternatives à l’emprisonnement » qui peuvent être appliquées avant le procès, au niveau du procureur, au niveau de la prononciation de la peine, ou en vue d’une libération anticipée. Reprenant un credo cher aux activistes des droits de l’homme, voire même de plusieurs juges et avocats, l’intervenante s’est prononcée pour la dépénalisation de l’usage de drogue (l’alternative étant les programmes de désintoxication des usagers) et la déjudicialisation de certains crimes, notamment ceux commis par des mineurs qui doivent plutôt être orientés vers des travaux d’intérêt général, d’où la nécessité de réactiver la loi 422 sur les mineurs, dit-elle en substance. Une alternative qui va dans le sens du respect de l’enfant auquel il faut donner une seconde chance et le réintégrer dans sa famille et son environnement. Il est temps de passer à autre chose que la détention, dit-elle, rappelant l’importance d’une justice sociale en place et lieu d’une justice sans âme.
Il reste cependant à bien définir les origines du problème en remontant la chaîne du processus judiciaire : c’est au sein même du Parlement que se trouve une partie de la réponse à l’absence de réforme du système pénitencier.
Bien placé pour dévoiler les rouages du législatif et ses multiples dysfonctionnements, le député Ghassan Moukheiber reconnaît d’emblée l’existence de lacunes au niveau des textes. « Le problème majeur réside au niveau de l’absence d’une stratégie pénale et d’une vision à long terme », explique le parlementaire qui révèle que les législateurs réagissent par à-coups, sans planification aucune, et lorsqu’ils le font, c’est sous la pression populaire, ou d’une mutinerie couplée à une mise à feu des matelas par les détenus.
Il faut savoir que ce sont plus de 300 textes de loi qui traînent actuellement à la commission de l’Administration et de la Justice, et que l’amendement du code pénal qui a commencé il y a une bonne dizaine d’années n’a toujours pas été achevé. Comment peut-il en être autrement puisque cette commission se réunit deux fois par semaine à raison de deux heures seulement à chaque fois ? se demande le conférencier.
Le député a dénoncé au passage la pratique de l’arrestation préventive qui souvent se prolonge ad vitam aeternam sans justification, le retard des procès qui entraîne également une longue détention injustifiée, le sempiternel problème de la torture aux mains des services de renseignements qui se substituent souvent à la police judiciaire en l’absence du respect du principe sacré de l’inamovibilité des juges, et enfin l’injustifiable ingérence, voire parfois sinon souvent l’inefficacité des tribunaux d’exception.
« La justice locale a prouvé qu’elle était incapable de résoudre un grand nombre de crimes dont une majorité a été déférée devant la Cour de justice (...), laquelle a rarement rendu un verdict », dit-il.
Et le député de dénoncer enfin la schizophrénie du système de l’État qui d’un côté avalise un Tribunal spécial pour le Liban et d’un autre refuse de signer le traité de Rome pour déférer devant la Cour pénale internationale les crimes commis par Israël.
No comments:
Post a Comment