Les approches partielles, segmentées, fractionnées ne
mènent généralement pas très loin au Liban. Ainsi, l’arrestation du militant
salafiste Chadi Mawlaoui samedi dans les bureaux du ministre Mohammad Safadi
n’est pas, en soi, un tournant dans l’histoire de l’humanité. Tout au plus
s’agit-il d’une irrégularité supplémentaire de la part d’un service de
renseignement qui n’en est pas, dans ce domaine, à son premier coup
d’essai : les souvenirs de l’ère de la terreur de l’appareil sécuritaire
libano-syrien sous l’occupation syrienne sont encore suffisamment vivaces en
chacun de nous... Il n’y a donc pas lieu de revenir sur toutes les
irrégularités accomplies par ces services, la Sûreté générale en particulier,
durant cette époque.
Alors pourquoi ce déchaînement de violence à Tripoli? La réponse est pourtant très simple à partir du moment où elle est replacée dans un contexte global, loin des schémas réducteurs entretenus par les députés du Hezbollah ou du Courant patriotique libre dès lors qu’il s’agit de situer tous les Libanais de communauté sunnite dans la sphère jihadiste et de les diaboliser ouvertement par différents moyens à partir du moment où ils refusent de s’aligner sur le projet iranien. Or il est un principe fondamental de la République qui a complètement disparu dans le Liban de l’après-7 mai 2008 – à considérer qu’il ait jamais existé auparavant, à l’ombre des armes du Hezbollah : celui de la réciprocité. Au contraire, c’est aux antipodes de ce principe, sur le terrain de la réaction et du mimétisme, qu’est poussée depuis 2008 la communauté sunnite.
Historique
L’on se souvient ainsi que la première véritable flambée de violence à Tripoli avait été en elle-même une réaction à l’invasion de Beyrouth par le Hezbollah. Des affrontements sunnito-alaouites entre Bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen avaient suivi, dans une radicalisation de l’islam sunnite, en réponse (mimétique) au modèle guerrier développé par le Hezbollah dans les rues de la capitale. Pour le parti islamiste chiite, il était clair qu’une poussée jihadiste de l’islamisme radical au Nord, dans la foulée de l’image déjà donnée par le Fateh el-Islam en 2007, aurait garanti de facto une légitimité renouvelée à son arsenal contesté sur la scène locale – sans compter le fait qu’il aurait largement justifié le discours à tonalité antisunnite déjà élaboré à l’époque par son principal allié, le général Michel Aoun. Mais le courant du Futur avait à l’époque refusé de se laisser entraîner dans la spirale mimétique et avait mis tout son poids pour ramener le calme et assurer la réconciliation entre les pôles politiques et communautaires de Tripoli.
Entre-temps, la mainmise progressive du Hezbollah sur l’appareil politico-sécuritaire du pays après 2008, malgré la victoire du 14 Mars aux législatives de 2009 – et surtout avec la nouvelle ouverture de la communauté arabe et internationale sur le régime syrien au lendemain des accords de Doha, entre fin 2008 et début 2011 –, a consacré le principe de l’inviolabilité, sur la scène locale, de l’arsenal du Hezbollah. En contrepartie, l’échec de la dynamique « Arabie saoudite-Syrie », récupérée par la Syrie, a fragilisé l’immunité politique et sécuritaire de la communauté sunnite. Le paroxysme de cette dynamique de fragilisation de la rue sunnite a été atteint en janvier 2011 avec le défilé de rue dissuasif des « chemises noires » du Hezbollah et la chute du cabinet Hariri. Il faut dire aussi que la combinaison, durant ces quinze derniers mois, entre la politique de collusion du gouvernement Mikati et des services libanais avec le régime syrien, et la répression sanglante et destructrice menée par Bachar el-Assad contre la population sunnite en Syrie, n’a pas arrangé la situation.
Deux poids, deux mesures
Mais retour à ce fameux principe de réciprocité, car c’est là l’essentiel. Car l’affaire Mawlaoui est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. À croire que celui qui a organisé la mise en scène subversive dans les bureaux de Safadi voulait délibérément provoquer l’éruption volcanique qui a suivi à Tripoli. Car avant l’affaire Mawlaoui, il y a eu d’autres cas d’irrégularités.
Ainsi, en mai 2006, neuf personnes de différentes familles de Beyrouth ont été arrêtées pour planification d’une tentative d’assassinat contre le secrétaire général du Hezbollah, une accusation dont elles ont par ailleurs été innocentées plus tard. Elles ont néanmoins été condamnées pour un autre chef d’accusation... fin mai 2008 : celui de « posséder des armes visant à déstabiliser la paix civile », et elles ont été destituées de leurs droits civils et politiques, selon leur avocat Nabil Halabi. Un chef d’accusation évidemment risible. Autre exemple : il y a une dizaine de jours, un jeune homme de Tarik Jdideh, Ziad Dennaoui, a été arrêté par la Sûreté générale dans le cadre d’une plainte déposée contre lui par le Parti syrien national social, dans le cadre des événements du... 7 mai 2008. Grotesque. Le jeune homme est toujours en état d’arrestation et sa famille n’a pu le visiter que très récemment. Sans oublier le cas des 280 islamistes soupçonnés d’appartenir au Fateh el-Islam, arrêtés et qui attendent encore leur jugement depuis cinq ans... sous prétexte qu’il n’y a pas de bâtiment fin prêt pour accueillir les procès !
Ce qui rend ces cas parfaitement odieux, c’est justement lorsqu’ils sont abordés sous l’angle de la réciprocité. Ainsi, n’a-t-on pas vu ne serait-ce qu’un milicien du Hezbollah, d’Amal ou du PSNS être inquiété par les services ou la justice au lendemain des événements de mai 2008. Plus encore, l’assassin du capitaine Samer Hanna n’a passé que quelques semaines en prison avant d’être relâché. Le prédicateur sunnite Omar Bakri, lui, dont le bilan est pourtant peu glorieux sur le plan des activités « politiques », aura eu la chance de bénéficier du soutien du Hezbollah, qui avait mis à sa disposition, lors de son arrestation par les FSI, l’un de ses députés, Nawwar Sahili, comme avocat pour le défendre. Une chance que n’aura pas Chadi Mawlaoui, attiré dans les bureaux de Mohammad Safadi par la possibilité de recevoir une aide financière pour tenter d’accorder des soins médicaux à sa famille. Quant à la cabale menée contre les militants islamistes – ou non islamistes, d’ailleurs – qui ont le toupet de contrevenir aux directives du nouveau haut-commissaire syrien au Liban, Ali Abdelkarim Ali, et qui tentent de faire parvenir de l’aide à la Syrie, inutile de la mentionner. Lorsque la Syrie envoie des islamistes et des jihadistes au Liban, ce sont alors, aux yeux du Hezbollah, « des lignes rouges que l’armée ne doit pas franchir », comme ce fut le cas pour le Fateh el-Islam à Nahr el-Bared. Mais quand il s’agit pour des réseaux de militants de venir au secours d’une population assiégée et opprimée par le tyran syrien, il faut tout faire pour les démanteler et les écraser, au service de la logique sacro-sainte de « l’alliance des minorités »...
Comme le dit Misbah Ahdab, l’utilisation des institutions libanaises contre la communauté sunnite est un moyen comme un autre pour le régime syrien de détourner les regards de chez lui et de déstabiliser son voisin. Dans une région qui constituerait, le cas échéant, la frontière nord d’un éventuel État alaouite, pourrait-on ajouter. Mais c’est aussi pour le front du document d’entente Hezbollah-CPL un moyen de lancer la bataille électorale de 2013 en définissant clairement l’ennemi à abattre, suivant l’exemple du maître syrien.
Dans ce sens, les événements de Tripoli sont avant tout l’expression d’un échec électoral annoncé pour un 8 Mars en bien mauvaise forme, qui n’a d’ores et déjà, un an avant les élections, que la carte de la déstabilisation sécuritaire à jouer pour tenter de briser les ailes de ses adversaires.
Alors pourquoi ce déchaînement de violence à Tripoli? La réponse est pourtant très simple à partir du moment où elle est replacée dans un contexte global, loin des schémas réducteurs entretenus par les députés du Hezbollah ou du Courant patriotique libre dès lors qu’il s’agit de situer tous les Libanais de communauté sunnite dans la sphère jihadiste et de les diaboliser ouvertement par différents moyens à partir du moment où ils refusent de s’aligner sur le projet iranien. Or il est un principe fondamental de la République qui a complètement disparu dans le Liban de l’après-7 mai 2008 – à considérer qu’il ait jamais existé auparavant, à l’ombre des armes du Hezbollah : celui de la réciprocité. Au contraire, c’est aux antipodes de ce principe, sur le terrain de la réaction et du mimétisme, qu’est poussée depuis 2008 la communauté sunnite.
Historique
L’on se souvient ainsi que la première véritable flambée de violence à Tripoli avait été en elle-même une réaction à l’invasion de Beyrouth par le Hezbollah. Des affrontements sunnito-alaouites entre Bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen avaient suivi, dans une radicalisation de l’islam sunnite, en réponse (mimétique) au modèle guerrier développé par le Hezbollah dans les rues de la capitale. Pour le parti islamiste chiite, il était clair qu’une poussée jihadiste de l’islamisme radical au Nord, dans la foulée de l’image déjà donnée par le Fateh el-Islam en 2007, aurait garanti de facto une légitimité renouvelée à son arsenal contesté sur la scène locale – sans compter le fait qu’il aurait largement justifié le discours à tonalité antisunnite déjà élaboré à l’époque par son principal allié, le général Michel Aoun. Mais le courant du Futur avait à l’époque refusé de se laisser entraîner dans la spirale mimétique et avait mis tout son poids pour ramener le calme et assurer la réconciliation entre les pôles politiques et communautaires de Tripoli.
Entre-temps, la mainmise progressive du Hezbollah sur l’appareil politico-sécuritaire du pays après 2008, malgré la victoire du 14 Mars aux législatives de 2009 – et surtout avec la nouvelle ouverture de la communauté arabe et internationale sur le régime syrien au lendemain des accords de Doha, entre fin 2008 et début 2011 –, a consacré le principe de l’inviolabilité, sur la scène locale, de l’arsenal du Hezbollah. En contrepartie, l’échec de la dynamique « Arabie saoudite-Syrie », récupérée par la Syrie, a fragilisé l’immunité politique et sécuritaire de la communauté sunnite. Le paroxysme de cette dynamique de fragilisation de la rue sunnite a été atteint en janvier 2011 avec le défilé de rue dissuasif des « chemises noires » du Hezbollah et la chute du cabinet Hariri. Il faut dire aussi que la combinaison, durant ces quinze derniers mois, entre la politique de collusion du gouvernement Mikati et des services libanais avec le régime syrien, et la répression sanglante et destructrice menée par Bachar el-Assad contre la population sunnite en Syrie, n’a pas arrangé la situation.
Deux poids, deux mesures
Mais retour à ce fameux principe de réciprocité, car c’est là l’essentiel. Car l’affaire Mawlaoui est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. À croire que celui qui a organisé la mise en scène subversive dans les bureaux de Safadi voulait délibérément provoquer l’éruption volcanique qui a suivi à Tripoli. Car avant l’affaire Mawlaoui, il y a eu d’autres cas d’irrégularités.
Ainsi, en mai 2006, neuf personnes de différentes familles de Beyrouth ont été arrêtées pour planification d’une tentative d’assassinat contre le secrétaire général du Hezbollah, une accusation dont elles ont par ailleurs été innocentées plus tard. Elles ont néanmoins été condamnées pour un autre chef d’accusation... fin mai 2008 : celui de « posséder des armes visant à déstabiliser la paix civile », et elles ont été destituées de leurs droits civils et politiques, selon leur avocat Nabil Halabi. Un chef d’accusation évidemment risible. Autre exemple : il y a une dizaine de jours, un jeune homme de Tarik Jdideh, Ziad Dennaoui, a été arrêté par la Sûreté générale dans le cadre d’une plainte déposée contre lui par le Parti syrien national social, dans le cadre des événements du... 7 mai 2008. Grotesque. Le jeune homme est toujours en état d’arrestation et sa famille n’a pu le visiter que très récemment. Sans oublier le cas des 280 islamistes soupçonnés d’appartenir au Fateh el-Islam, arrêtés et qui attendent encore leur jugement depuis cinq ans... sous prétexte qu’il n’y a pas de bâtiment fin prêt pour accueillir les procès !
Ce qui rend ces cas parfaitement odieux, c’est justement lorsqu’ils sont abordés sous l’angle de la réciprocité. Ainsi, n’a-t-on pas vu ne serait-ce qu’un milicien du Hezbollah, d’Amal ou du PSNS être inquiété par les services ou la justice au lendemain des événements de mai 2008. Plus encore, l’assassin du capitaine Samer Hanna n’a passé que quelques semaines en prison avant d’être relâché. Le prédicateur sunnite Omar Bakri, lui, dont le bilan est pourtant peu glorieux sur le plan des activités « politiques », aura eu la chance de bénéficier du soutien du Hezbollah, qui avait mis à sa disposition, lors de son arrestation par les FSI, l’un de ses députés, Nawwar Sahili, comme avocat pour le défendre. Une chance que n’aura pas Chadi Mawlaoui, attiré dans les bureaux de Mohammad Safadi par la possibilité de recevoir une aide financière pour tenter d’accorder des soins médicaux à sa famille. Quant à la cabale menée contre les militants islamistes – ou non islamistes, d’ailleurs – qui ont le toupet de contrevenir aux directives du nouveau haut-commissaire syrien au Liban, Ali Abdelkarim Ali, et qui tentent de faire parvenir de l’aide à la Syrie, inutile de la mentionner. Lorsque la Syrie envoie des islamistes et des jihadistes au Liban, ce sont alors, aux yeux du Hezbollah, « des lignes rouges que l’armée ne doit pas franchir », comme ce fut le cas pour le Fateh el-Islam à Nahr el-Bared. Mais quand il s’agit pour des réseaux de militants de venir au secours d’une population assiégée et opprimée par le tyran syrien, il faut tout faire pour les démanteler et les écraser, au service de la logique sacro-sainte de « l’alliance des minorités »...
Comme le dit Misbah Ahdab, l’utilisation des institutions libanaises contre la communauté sunnite est un moyen comme un autre pour le régime syrien de détourner les regards de chez lui et de déstabiliser son voisin. Dans une région qui constituerait, le cas échéant, la frontière nord d’un éventuel État alaouite, pourrait-on ajouter. Mais c’est aussi pour le front du document d’entente Hezbollah-CPL un moyen de lancer la bataille électorale de 2013 en définissant clairement l’ennemi à abattre, suivant l’exemple du maître syrien.
Dans ce sens, les événements de Tripoli sont avant tout l’expression d’un échec électoral annoncé pour un 8 Mars en bien mauvaise forme, qui n’a d’ores et déjà, un an avant les élections, que la carte de la déstabilisation sécuritaire à jouer pour tenter de briser les ailes de ses adversaires.

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