Il n’est pas aisé pour un journaliste de
débattre des pressions qui limitent sa liberté. Ce serait comme admettre sa
propre défaillance. Pourtant, c’est au nom de leur souveraineté individuelle
que des journalistes ont participé hier, aux côtés de militants de la société
civile, au débat organisé par le Civic Hub (initiative civile et réseau
d’échange), en collaboration avec le centre SKEyes pour les libertés
médiatiques et culturelles. L’enjeu du débat est justement de briser les tabous
du métier, en dénonçant nommément les « interdits imposés aux
journalistes, qui émanent autant de “l’obscurantisme externe”, que des
directives imposées de l’intérieur par l’équipe éditoriale », comme
l’affirme le cofondateur du Civic Hub et ancien journaliste Fadi Toufic.
Entre les murs aux teintes pastel, agrémentant l’architecture traditionnelle du Zico House, à Hamra, c’est un espace de transparence que les participants ont ébauché, au fur et à mesure qu’ils évoquaient, d’abord timidement, des exemples de sujets occultés ou interdits par leurs sociétés de presse ; la sensibilité de dossiers impliquant l’armée, les dignitaires religieux, les budgets d’institutions-clés, jamais révélés ; ou encore lorsqu’une jeune journaliste motivée, spécialisée dans le social, admet son inaptitude à switcher vers les infos politiques, vu l’incompatibilité de ses opinions avec la ligne éditoriale de son média...
Mais c’est également la motivation individuelle du journaliste qui a été mise en valeur. Entre ceux qui ne couvrent que l’inauguration d’un événement, et d’autres qui taisent un sujet aussitôt qu’ils l’ont révélé, le journaliste est personnellement tenu par le sérieux de son travail. Faute de temps, peut-être aussi par paresse, très peu de sujets sont évoqués en profondeur et d’une manière soutenue, comme le font remarquer les participants.
C’est ce qui explique la quasi-absence d’un journalisme d’investigation rigoureux au Liban. Le président du centre SKEyes, Ayman Mhanna, s’étonne du fait que « l’investigation est confiée aux novices, alors que ce sont les plus expérimentés qui s’en chargent dans les médias occidentaux ». Un autre élément évoqué, et qui paraît le propre du journalisme arabophone, le rapport de complicité, parfois de connivence et de dépendance, qu’entretiennent certains médias avec les politiques.
L’esprit critique ainsi éradiqué, la liberté se meurt et l’esprit survit grâce aux illusions et aux mensonges. Un état des lieux qui reflète l’establishment vicié du pays dans son ensemble. Qu’il le veuille ou pas, le journaliste qui dénonce ces rouages « contribue à révolutionner ce statu quo, à produire un changement », affirme Fadi Toufic.
Ayman Mhanna propose ainsi aux journalistes de former un média alternatif (électronique), une sorte de plate-forme partagée pour écrire les sujets qu’ils se voient refuser. C’est sur un volet corollaire du changement qu’a porté la deuxième partie du débat : les moyens pour la société civile de faire parvenir, plus efficacement, son message aux médias. Pareille coordination nécessiterait, des deux bords, une écoute de l’autre, un travail accru et surtout une audace obstinée...
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