The Lebanese Center for Human Rights (CLDH) is a local non-profit, non-partisan Lebanese human rights organization in Beirut that was established by the Franco-Lebanese Movement SOLIDA (Support for Lebanese Detained Arbitrarily) in 2006. SOLIDA has been active since 1996 in the struggle against arbitrary detention, enforced disappearance and the impunity of those perpetrating gross human violations.

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May 16, 2014

L'orient le jour - Un avocat libanais passe au crible l’affaire de l’outrage contre le TSL, May 16, 2014

Jeanine Jalkh




Les accusations et campagne systématiques dirigées contre le Tribunal spécial pour le Liban dans l'affaire des poursuites contre les journalistes libanais Carma Khayat et Ibrahim el-Amine, ainsi que les sociétés mères de leurs médias respectifs ont dégagé à plusieurs reprises des relents politiques, détournant souvent l'attention du fond de l'affaire et des enseignements à en tirer.
Virant souvent à l'échange politique et idéologique acerbe, les discussions qui s'ensuivirent ont malheureusement occulté le débat réel qui devait avoir lieu suite à ce « séisme » survenu dans le paysage médiatique libanais.
En défendant principalement par des arguments politiques une décision purement judiciaire, les amis et supporters des deux journalistes ont plus desservi que soutenu leur cause.
C'est, une fois de plus, dans « l'arène juridique » qu'il faudrait ramener ce bras de fer qui oppose une certaine conception de la liberté d'expression à une accusation sérieuse portant sur un crime présumé.
Trois questions de droit sont à évoquer suite à la première audience dite préliminaire qui s'est déroulée à La Haye mardi dernier.
Des questions simples dans leur formulation mais qui n'entraînent pas moins des réponses d'autant plus complexes qu'il s'agit d'une affaire portant sur un « crime présumé » commis au Liban mais appelé à être jugé par une instance internationale siégeant hors du pays, avec tout ce que cela entraîne pour ce qui est de l'instance compétente et du droit applicable.
Une question évidente, soulevée d'ailleurs par certains juristes lors des talk-shows télévisés qui ont accompagné la diatribe menée contre le TSL, s'impose : l'instance judiciaire internationale est-elle compétente pour juger des journalistes libanais ?
À cette question, Antoine Sabeh, juriste spécialisé dans les poursuites pénales contre les journalistes au Liban, est catégorique : « Il s'agit tout d'abord d'un crime présumé commis au Liban. Cela suppose que la compétence revient de facto aux autorités libanaises, d'autant que le "crime" a été perpétré au moyen des médias libanais, en plus d'un support médiatique interactif international, le YouTube. » Or, poursuit l'avocat, ce sont des médias qui sont soumis à la loi libanaise sur les imprimés (104/77), laquelle prévoit ce type de crime.
Se fondant sur l'article 60 bis prévu par les règles de preuves et de procédure du TSL sanctionnant « l'outrage au tribunal et l'entrave à la justice », les accusations adressées aux deux journalistes (en plus de leurs médias et / ou sociétés mères) portent principalement sur la « divulgation intentionnelle » des noms de témoins présumés, rappelle l'avocat. « Il reste donc à voir, tout d'abord, comment l'accusation, l'amicus curae dans ce cas précis, parviendra à prouver l'intention délibérée des journalistes d'entraver la justice », dit-il.
Il n'en reste pas moins que la question de la compétence territoriale reste entièrement posée. À cela, M. Sabeh répond : « Il faut bien comprendre la distinction faite entre la compétence originelle du tribunal (l'affaire Hariri et les affaires connexes) prévue par le statut du TSL et sa compétence dans cette affaire précise », indique l'avocat. Dans la décision portant sur « les affaires d'outrage », le TSL affirme clairement que cette décision relève effectivement de sa compétence originelle, se fondant sur l'article 28 du statut, qui rappelle l'impératif d' « un procès juste et accéléré ». « D'où son recours à l'article 60 bis (sur l'outrage) pour sanctionner un crime qui entrave la justice et met en cause notamment le principe d'une justice accélérée », dit le juriste. Or le TSL est en principe exclusivement compétent dans l'affaire de l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri et les affaires dites connexes.
« Cette compétence est toutefois conditionnée par la nécessité pour le gouvernement libanais de se dessaisir de ses propres compétences pour le compte du TSL (article 4 du statut) ». Le problème, enchaîne Antoine Sabeh, c'est que nous sommes aujourd'hui en présence d'un crime qui n'est pas lié à l'affaire Hariri et autres dont s'était dessaisi le gouvernement libanais. »
« En tenant compte du principe selon lequel les règles de procédure et de preuves sont interprétées dans leur sens restrictif, nous n'avons pas le droit par conséquent d'appliquer le raisonnement par analogie et d'interpréter le texte dans un sens extensif », précise l'expert. Il rappelle au passage que l'article 60 bis sur l'outrage a été mis en place après la création du statut.
De plus, dit-il, et par le biais de cet article, le TSL « s'est octroyé la possibilité de sanctionner le crime de l'outrage au tribunal à partir de son mandat originel ». « Peut-on pour autant accepter le droit que s'est attribué le TSL ? » s'interroge l'avocat avant de trancher : « Il n'y a aucun doute que le TSL ne peut s'accorder la compétence de juger des Libanais pour des actes de diffusion sans que le gouvernement libanais ne l'autorise à le faire, en se dessaisissant du dossier. D'autant que la loi libanaise (104/77) a accordé au tribunal des imprimés – qui est une instance spécialisée – la possibilité de statuer sur les crimes relatifs à la presse. » Selon l'avocat, la compétence exceptionnelle du tribunal des imprimés est « incontournable » et « contraignante » au Liban. Et d'ajouter : « Le gouvernement libanais ne peut par conséquent se dessaisir de sa compétence – y compris en faveur du TSL – sans une loi qui l'autorise à le faire. »
En effet, c'est le statut même du TSL qui prévoit l'impératif de ce « désistement » dans n'importe quelle affaire relevant de la compétence des juridictions nationales, même après le début du procès (paragraphe C, article 4, alinéa 3).
L'autre interrogation qui en découle n'est pas moins complexe. Car, même dans le cas de figure où le gouvernement libanais autoriserait le TSL, par le biais d'une loi uniquement, à examiner l'affaire de l'outrage, il reste à savoir quelle est la loi qui s'appliquerait à ce dossier.
Revenant encore une fois au statut, l'avocat rappelle que ce texte fondamental prévoit effectivement l'application du code pénal libanais en tenant compte des précédents hérités des autres tribunaux internationaux ad hoc ou hybrides.
« Si l'on admet cette règle, dit-il, il faut savoir que la loi libanaise sur les imprimés, dans son article 12, prévoit une sanction qui varie entre 10 et 30 millions de LL, alors que la sanction envisagée par le TSL peut aller jusqu'à 7 ans de prison et/ou une amende de 100 000 euros ». « Or, et en présence d'une confusion sur la loi applicable, c'est le principe général de la sanction la plus clémente qui s'applique », assure Antoine Sabeh.
Dernier point enfin, la question controversée soulevée aussi bien par le président du TSL, David Baragwanath, dans ses écrits sur cette affaire que, par la suite, l'avocat de défense de Carma Khayat et de la NTV SAL, Karim Khan, qui affirment qu'il n'y a aucun précédent en droit international pénal de poursuites engagées contre une « entité morale » (dans ce cas précis, la NTV SAL et al-Akhbar Beirut SAL, les deux sociétés mères des deux médias faisant l'objet de poursuites).
M. Khan ira encore plus loin, affirmant devant les caméras d'al-Jadeed : « C'est du jamais-vu. On peut poursuivre des individus, mais non une entité morale telle que la NTV SAL », avait-il assuré.
Une théorie qui ne convainc par pour autant M. Sabeh, qui persiste et signe : « Dans la mesure où la loi applicable est la loi libanaise, rien n'empêche l'engagement de poursuites contre la société mère qui assume, en définitive, la responsabilité pénale des actes commis par son directeur, ses représentants, employés ou journalistes (code pénal, article 210). »
L'avocat évoque à ce propos la possibilité de recourir également aux articles 110 et 108 du code pénal qui prévoit des sanctions telles que la suspension du média responsable.

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