Le politique s’invite au TSL : la défense conteste l’admissibilité du témoignage de Marwan Hamadé
Jeanine Jalkh
C'est probablement l'une des audiences les plus houleuses qui ait jamais eu lieu au Tribunal spécial pour le Liban. Et pour cause : le caractère politique de l'assassinat de Rafic Hariri est revenu en force hier pour s'imposer comme une composante incontournable dans la compréhension de l'intrigue qui a conduit à la mort violente de l'ancien Premier ministre le 14 février 2004.
Consacrée à un débat juridique autour de l'admissibilité du témoignage du député Marwan Hamadé – prévu en principe la semaine prochaine –, l'audience a donné lieu à un véritable bras de fer musclé entre l'accusation et la défense.
Pour le bureau du procureur, le complot ourdi contre Rafic Hariri ne saurait être éludé en dehors du contexte politique qui a entouré la préparation et l'exécution de l'assassinat du 14 février. Par conséquent, le témoignage de Marwan Hamadé et celui d'autres témoins, qui suivront, sont indispensables pour expliquer le climat politique qui a entouré les faits. Les révélations qu'ils feront doivent par conséquent servir de preuves additionnelles à inclure au dossier. Un fait que contestent les avocats affectés à la défense des cinq accusés, qui, unanimement, dénoncent « un changement de cap radical chez l'accusation ». Celle-ci, argue la défense, entend désormais incorporer le mobile politique dans ses preuves, alors qu'elle ne l'avait pas fait auparavant, plus précisément dans l'acte d'accusation présenté en mars 2014.
Graeme Cameron en scène
Le débat était d'autant plus intrigant que les conseils de la défense avaient, rappelons-le, reproché au tout début du procès « l'absence de la mention du mobile politique » à l'audience préliminaire du procureur. En effet, ce dernier s'était alors contenté de présenter brièvement l'élément de preuve majeur sur lequel il tablait son accusation, à savoir le réseau de téléphonie mobile.
C'est précisément ce que tente de rappeler le représentant de l'accusation, Graeme Cameron, soulignant que même la défense avait bel et bien reconnu à un moment donné « le caractère politique de ce complot », en allusion à la déclaration préliminaire faite à l'époque par plusieurs avocats de la défense.
M. Cameron reprend la définition légale de l'acte terroriste telle que comprise par le législateur libanais qui évoque, dit-il, les objectifs visés par de tels actes : celui de soumettre les autorités à la logique de la terreur, de semer la panique et la peur parmi la population, l'acte terroriste étant commis dans un but politique, idéologique et/ou religieux implicite en vue de marquer des gains politiques, fait-il remarquer. M. Cameron explique l'importance du témoignage à venir de M. Hamadé et d'autres témoins qui devront notamment passer en revue le contexte politique qui a entouré l'assassinat de Rafic Hariri et relater toute une série d'événements et de faits à caractère politique. Le tout dans le but d'établir la relation entre ces faits et le comportement des accusés, notamment leur stratégie de surveillance de l'ancien Premier ministre et l'activation des réseaux de téléphone ayant servi à la préparation et à l'exécution de l'assassinat. Le mobile est, selon l'accusation, présenté et analysé pour prouver les faits criminels. Il aide à déterminer l'identité des auteurs et la nature de l'intention qui les anime, insiste encore M. Cameron.
Ce dernier poursuit son explication en tablant sur certains faits importants ayant précédé l'assassinat, notamment la fameuse réunion entre Rafic Hariri et Bachar el-Assad en décembre 2003 qui montre clairement « l'emprise de Bachar el-Assad sur un responsable libanais. Elle démontre également la dégradation des relations entre le Liban et la Syrie à cette époque », dit-il. L'accusation explique en outre comment Bachar el-Assad avait obligé Rafic Hariri à vendre ses actions (43 %) au sein du quotidien an-Nahar, « qui incarnait la voix d'opposition au régime syrien par excellence ». Une tentative de la part de Damas de contrôler les médias, commente M. Cameron. Et revenant sur l'importance du témoignage de Marwan Hamadé, il explique comment ce dernier avait publiquement exprimé son opposition à la prorogation du mandat d'Émile Lahoud.
L'accusation compte également soulever – toujours via le témoignage de Marwan Hamadé – la teneur de la fameuse réunion qui a eu lieu entre Bachar el-Assad et Rafic Hariri, au cours de laquelle « des menaces dangereuses ont été proférées non seulement à l'encontre de M. Hariri, mais également à l'encontre de Beyrouth en tant que telle ».
M. Hamadé sera ainsi appelé à décrire l'état dans lequel se trouvait l'ancien Premier ministre à l'époque ; il racontera également les propos qui lui avaient été adressés et comment il avait fini par changer de position par rapport à la prorogation du mandat de Lahoud, rappelle M. Cameron.
Le fantôme des Syriens
La défense s'est alors emflammée.
D'abord, avec Philippe Larochelle (conseil de l'accusé Hussein Hassan Oneissi ) qui, dans une démonstration passionnée, a tranché la question en ces termes : « Le bureau du procureur aurait dû nous annoncer cela dans l'acte d'accusation. C'est inadmissible », a-t-il martelé. Il dénonce ainsi la tentative de l'accusation de chercher à présenter des preuves en relation avec le contexte politique lié à la Syrie, et « qui ne figurent ni de près ni de loin dans l'acte d'accusation ». Au début, il était simplement question du comportement criminel et « non du contexte politique », ajoute l'avocat qui estime que les preuves que le bureau du procureur cherche aujourd'hui à présenter sont des preuves « potentielles sur une tierce partie, la Syrie ». « Voilà que le fantôme des Syriens fait son entrée », ironise M. Larochelle.
Le président de la chambre de première instance, le juge David Re, l'interrompt pour lui faire remarquer qu'il est en train d'anticiper la procédure et de tirer des conclusions hâtives. Ce à quoi il répond en se demandant « comment ces preuves peuvent effectivement aider à juger les faits allégués contre M. Oneissi ». Et de finir par accuser le bureau du procureur de vouloir introduire au dossier « un nouvel aspect », assurant que l'accusation a envisagé ce retournement de situation « depuis un certain temps déjà ».
« Nous sommes aujourd'hui en présence d'un changement certain dans la démarche de l'accusation », insiste-t-il, avant d'annoncer clairement son refus d'accepter ce nouveau type de preuves, à moins de changer « l'acte d'accusation » déposé en mars 2014.
David Young, défenseur de Assaad Hassan Sabra, et Dorothée Le Fraper, celui de Hassan Habib Merhi, prennent la parole à leur tour, défendant une logique similaire.
Aujourd'hui, d'autres conseils de la défense s'exprimeront devant les juges qui décideront par la suite si le témoignage de Marwan Hamadé sera admissible comme preuve ou non.
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