L’Association DES francophone de journalisme (AFEJ) a
organisé un cercle de débat à l’Institut français du Liban, afin de
sensibiliser le public, et d’abord les médias, à l’importance d’instaurer un
mécanisme de protection des journalistes. Sujet ambitieux, qu’il a
fallu au moins initier.
Sandra NOUJEIM
« Qui protège les journalistes au Liban ? » Formulation éloquente par laquelle l’AFEJ (Association DES francophone de journalisme) a choisi de relancer le débat sur la situation socio-juridique des journalistes. « 2 000 journalistes licenciés de 2010 jusqu’à aujourd’hui, des chiffres alarmants ! » commence par souligner la présidente de l’AFEJ Elsa Yazbek Charabati, modératrice du débat. Participant au cercle de réflexion, le ministre de l’Information Walid Daouk, l’ancien ministre de l’Intérieur et avocat Ziyad Baroud, le député Ghassan Moukheiber et Guitta Kiamé Nahhal, la journaliste à la chaîne LBC, ont alternativement répondu aux questions posées. Le débat n’a donné au final que des bribes de réponse. Des griefs partagés par un parterre de journalistes formant l’assistance ont retenti comme des échos éphémères entre les quatre murs de la salle Montaigne, à l’Institut français du Liban, partenaire de l’événement. Des remarques plus ou moins précises ont été données par les intervenants, mais souvent disparates, à l’image des risques aux nombreux embranchements du métier de journaliste.
Griefs partagés
Indépendamment de leur ancienneté, de leur dévouement entier en temps et en réflexion, pour un métier dont le but est de transmettre la réalité intégrale, d’en ficeler les nuances, les journalistes n’ont pas de statut fixe et défini, qui réglemente leur situation. L’ordre des journalistes ne compte pas plus de 650 membres, et les conditions d’y adhérer avaient longtemps été sujettes à la discrétion du conseil de l’ordre. Beaucoup de journalistes à plein temps ne bénéficient pas de couverture sociale. D’autres, cadrés au sein d’une société de presse respectable, y trouvent un appui pour l’exercice libre de leur profession. Toute atteinte physique ou morale à leur parole représente une atteinte à la société qui les entoure. À moins que celle-ci ne se retourne contre son propre journaliste, en restreignant jusqu’à l’extrême sa marge d’action, en vertu de sa ligne éditoriale. À l’autocensure ainsi provoquée, une source de pression s’ajoute, liée au risque de licenciement, parfois arbitraire, comme l’aura révélé l’exemple récent des 400 employés de la société PAC, renvoyés sans préavis ni notification. Deux autres sociétés de presse écrite, La Revue du Liban et le quotidien al-Balad (version francophone) ont fermé leurs portes au cours des derniers mois. Les employés d’al-Balad ont eu recours à la médiation du ministère du Travail pour obtenir leurs indemnisations, ce qui n’est pas le cas de La Revue du Liban, dont l’identité du propriétaire, parmi les héritiers de feu Melhem Karam, n’est toujours pas tranchée.
Face à cet état des lieux, quelles garanties pour les journalistes ? Pour Guitta Kiamé Nahhal, la protection lacunaire des droits des journalistes reflète « la situation défaillante du pays en général, touchant à tous les secteurs ». Toutefois, au niveau du corps médiatique précisément, « c’est moins la société de presse qui est menacée que le journaliste, à l’échelle individuelle ». C’est ce qui semble d’ailleurs avoir alimenté, dans l’entendement des journalistes, la volonté de marquer une présence, d’asseoir une signature de marque, leur garantissant une indépendance inhérente à leur propre rendement. Nombreux sont les journalistes présents dans la salle qui en témoignent, notamment Wardé Zamel, actuellement journaliste politique à Radio Orient. « Qui me protège aujourd’hui ? C’est moi ! » a-t-elle fermement affirmé à la fin de son intervention.
L’ordre des journalistes, nouvel espoir ?
Force est de signaler toutefois que les garanties concrètes ne sont pas absentes dans la forme, mais sont dépouillées de toute utilité pour le corps de la presse. Il en va ainsi de l’ordre des journalistes, dont le président Élias Aoun, élu mardi à la tête d’un nouveau conseil, est venu assister au débat. Il a promis « une épuration de l’ordre, de ses membres n’exerçant pas réellement le métier », ainsi qu’une redynamisation des mécanismes d’adhésion. Le ministre Walid Daouk s’est montré fort favorable à ces propositions de réforme, en insistant toutefois sur la nécessité de « rétablir la confiance entre l’ordre et les journalistes ». « Le ministère vous soutient », a-t-il affirmé. Le public a paru peu convaincu, las, sans doute, des paroles sans mise en œuvre.
Parmi les points concrets nécessaires pour la protection des journalistes, le député Ghassan Moukheiber insiste sur « l’organisation juridique de l’ordre des journalistes, qui se rapproche plus, à l’heure actuelle, d’une société secrète. Il faudrait déterminer le caractère obligatoire ou pas de l’adhésion à l’institution », a-t-il affirmé. Encore faudrait-il définir les critères de qualification d’un journaliste, que ne prévoit pas la loi. Un pigiste a-t-il le même statut qu’un journaliste cadré, par exemple ? Quelle place en outre pour les médias audiovisuels, ne disposant pas d’un syndicat jusqu’à aujourd’hui ? Des questions que pose l’ancien ministre Ziyad Baroud, appelant à une réforme des textes, mais également à une réhabilitation des instances existantes, en l’occurrence le Conseil national de l’audiovisuel, qui devrait progressivement se substituer au ministère de l’Information. Il insiste également sur « le rôle unificateur » de l’ordre des journalistes.
Solidarité et indépendance
Mais pareil rôle ne saurait s’accomplir sans une solidarité de facto entre journalistes, apte à initier une protection efficace. D’ailleurs, l’audience a relevé l’absence de pareille solidarité parmi le corps de presse en général, voire au sein d’un même média. Le journaliste Camille Ménassa a appelé à « la création d’une fédération, à l’échelle nationale », dépouillée des traditionnels paradigmes confessionnels et clientélistes. « Seule cette structure peut assurer une protection solide aux journalistes », a-t-il souligné. Une solidarité qui commence par un suivi méticuleux du projet de loi sur les médias, en gestation en commission parlementaire. De sorte que ce texte apporte certaines garanties concrètes, comme l’instauration d’un statut de journaliste; la clause de conscience (qui donne le droit au journaliste de démissionner sans perdre ses indemnités, s’il se trouve contraint à l’autocensure) ; l’adoption d’une convention collective ; la reconnaissance de droits occultés, à savoir le droit pour un journaliste à obtenir l’information... un droit broyé par les tractations politiciennes, qui souvent, au Liban, finissent par dénaturer le journalisme médiateur. C’est-à-dire ce journalisme « garant de la liberté d’expression », comme le rappelle l’ambassadeur de France, Patrick Paoli, présent au débat.
« Qui protège les journalistes au Liban ? » Formulation éloquente par laquelle l’AFEJ (Association DES francophone de journalisme) a choisi de relancer le débat sur la situation socio-juridique des journalistes. « 2 000 journalistes licenciés de 2010 jusqu’à aujourd’hui, des chiffres alarmants ! » commence par souligner la présidente de l’AFEJ Elsa Yazbek Charabati, modératrice du débat. Participant au cercle de réflexion, le ministre de l’Information Walid Daouk, l’ancien ministre de l’Intérieur et avocat Ziyad Baroud, le député Ghassan Moukheiber et Guitta Kiamé Nahhal, la journaliste à la chaîne LBC, ont alternativement répondu aux questions posées. Le débat n’a donné au final que des bribes de réponse. Des griefs partagés par un parterre de journalistes formant l’assistance ont retenti comme des échos éphémères entre les quatre murs de la salle Montaigne, à l’Institut français du Liban, partenaire de l’événement. Des remarques plus ou moins précises ont été données par les intervenants, mais souvent disparates, à l’image des risques aux nombreux embranchements du métier de journaliste.
Griefs partagés
Indépendamment de leur ancienneté, de leur dévouement entier en temps et en réflexion, pour un métier dont le but est de transmettre la réalité intégrale, d’en ficeler les nuances, les journalistes n’ont pas de statut fixe et défini, qui réglemente leur situation. L’ordre des journalistes ne compte pas plus de 650 membres, et les conditions d’y adhérer avaient longtemps été sujettes à la discrétion du conseil de l’ordre. Beaucoup de journalistes à plein temps ne bénéficient pas de couverture sociale. D’autres, cadrés au sein d’une société de presse respectable, y trouvent un appui pour l’exercice libre de leur profession. Toute atteinte physique ou morale à leur parole représente une atteinte à la société qui les entoure. À moins que celle-ci ne se retourne contre son propre journaliste, en restreignant jusqu’à l’extrême sa marge d’action, en vertu de sa ligne éditoriale. À l’autocensure ainsi provoquée, une source de pression s’ajoute, liée au risque de licenciement, parfois arbitraire, comme l’aura révélé l’exemple récent des 400 employés de la société PAC, renvoyés sans préavis ni notification. Deux autres sociétés de presse écrite, La Revue du Liban et le quotidien al-Balad (version francophone) ont fermé leurs portes au cours des derniers mois. Les employés d’al-Balad ont eu recours à la médiation du ministère du Travail pour obtenir leurs indemnisations, ce qui n’est pas le cas de La Revue du Liban, dont l’identité du propriétaire, parmi les héritiers de feu Melhem Karam, n’est toujours pas tranchée.
Face à cet état des lieux, quelles garanties pour les journalistes ? Pour Guitta Kiamé Nahhal, la protection lacunaire des droits des journalistes reflète « la situation défaillante du pays en général, touchant à tous les secteurs ». Toutefois, au niveau du corps médiatique précisément, « c’est moins la société de presse qui est menacée que le journaliste, à l’échelle individuelle ». C’est ce qui semble d’ailleurs avoir alimenté, dans l’entendement des journalistes, la volonté de marquer une présence, d’asseoir une signature de marque, leur garantissant une indépendance inhérente à leur propre rendement. Nombreux sont les journalistes présents dans la salle qui en témoignent, notamment Wardé Zamel, actuellement journaliste politique à Radio Orient. « Qui me protège aujourd’hui ? C’est moi ! » a-t-elle fermement affirmé à la fin de son intervention.
L’ordre des journalistes, nouvel espoir ?
Force est de signaler toutefois que les garanties concrètes ne sont pas absentes dans la forme, mais sont dépouillées de toute utilité pour le corps de la presse. Il en va ainsi de l’ordre des journalistes, dont le président Élias Aoun, élu mardi à la tête d’un nouveau conseil, est venu assister au débat. Il a promis « une épuration de l’ordre, de ses membres n’exerçant pas réellement le métier », ainsi qu’une redynamisation des mécanismes d’adhésion. Le ministre Walid Daouk s’est montré fort favorable à ces propositions de réforme, en insistant toutefois sur la nécessité de « rétablir la confiance entre l’ordre et les journalistes ». « Le ministère vous soutient », a-t-il affirmé. Le public a paru peu convaincu, las, sans doute, des paroles sans mise en œuvre.
Parmi les points concrets nécessaires pour la protection des journalistes, le député Ghassan Moukheiber insiste sur « l’organisation juridique de l’ordre des journalistes, qui se rapproche plus, à l’heure actuelle, d’une société secrète. Il faudrait déterminer le caractère obligatoire ou pas de l’adhésion à l’institution », a-t-il affirmé. Encore faudrait-il définir les critères de qualification d’un journaliste, que ne prévoit pas la loi. Un pigiste a-t-il le même statut qu’un journaliste cadré, par exemple ? Quelle place en outre pour les médias audiovisuels, ne disposant pas d’un syndicat jusqu’à aujourd’hui ? Des questions que pose l’ancien ministre Ziyad Baroud, appelant à une réforme des textes, mais également à une réhabilitation des instances existantes, en l’occurrence le Conseil national de l’audiovisuel, qui devrait progressivement se substituer au ministère de l’Information. Il insiste également sur « le rôle unificateur » de l’ordre des journalistes.
Solidarité et indépendance
Mais pareil rôle ne saurait s’accomplir sans une solidarité de facto entre journalistes, apte à initier une protection efficace. D’ailleurs, l’audience a relevé l’absence de pareille solidarité parmi le corps de presse en général, voire au sein d’un même média. Le journaliste Camille Ménassa a appelé à « la création d’une fédération, à l’échelle nationale », dépouillée des traditionnels paradigmes confessionnels et clientélistes. « Seule cette structure peut assurer une protection solide aux journalistes », a-t-il souligné. Une solidarité qui commence par un suivi méticuleux du projet de loi sur les médias, en gestation en commission parlementaire. De sorte que ce texte apporte certaines garanties concrètes, comme l’instauration d’un statut de journaliste; la clause de conscience (qui donne le droit au journaliste de démissionner sans perdre ses indemnités, s’il se trouve contraint à l’autocensure) ; l’adoption d’une convention collective ; la reconnaissance de droits occultés, à savoir le droit pour un journaliste à obtenir l’information... un droit broyé par les tractations politiciennes, qui souvent, au Liban, finissent par dénaturer le journalisme médiateur. C’est-à-dire ce journalisme « garant de la liberté d’expression », comme le rappelle l’ambassadeur de France, Patrick Paoli, présent au débat.
http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/761889/%3C%3C+Qui_protege_les_journalistes__au_Liban_+%3E%3E_Les_journalistes_eux-memes..._s%27ils_sont_unis.html
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