The Lebanese Center for Human Rights (CLDH) is a local non-profit, non-partisan Lebanese human rights organization in Beirut that was established by the Franco-Lebanese Movement SOLIDA (Support for Lebanese Detained Arbitrarily) in 2006. SOLIDA has been active since 1996 in the struggle against arbitrary detention, enforced disappearance and the impunity of those perpetrating gross human violations.

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May 6, 2010

L'Orient le jour - Retour a Ketermaya

Retour à Ketermaya
Par Michel HAJJI GEORGIOU |

On retourne à Ketermaya comme aux origines : par une remontée circulaire mêlée de nostalgie fondamentale et de violence primaire et primitive. Le déluge de violence est en effet incontournable dans ce genre de périple. C'est la violence qui purifie, qui lave de tous les péchés, qui déculpabilise la société. Retourner à Ketermaya, où s'est jouée la semaine dernière une reproduction du rituel sacrificiel le plus vieux du monde, c'est remonter le cours du temps vers la sauvagerie la plus atroce, et c'est donc - l'un ne pouvant aller sans l'autre - avancer sûrement vers l'inéluctable montée aux extrêmes qui accélère l'Apocalypse, la violence généralisée, la déstructuration totale. Point de retour aux origines sans fin des temps : tel est le message monstrueux que les damnés de Ketermaya ont en effet délivré aux Libanais à travers la punition collective.
Mais pourquoi donc retourner à Ketermaya ? Pourquoi ne pas tourner la page et sombrer dans cet anesthésiant jouissif, mais cependant mortel, qu'est l'amnésie ? Pourquoi remuer le fer dans la plaie ? D'autant que cette image couvre le Liban de honte - quand bien même certains s'en félicitent, en revendiquant la loi du talion, en réclamant que le lynchage vengeur soit érigé au rang de justice suprême ? Parce qu'au final, chercher à éviter le chemin qui mène à Ketermaya, condamner cette voie, c'est faire de sorte que toutes les routes finissent par mener à Ketermaya, que la violence appelle démesurément et immanquablement la violence, et que le rituel sanglant se reproduise a l'infini.
Or dénoncer le mécanisme du rituel sacrificiel, le révéler au grand jour, c'est déjà condamner la violence et la juguler. Dans son équipée sauvage pour lyncher l'assassin, la foule de Ketermaya n'a fait qu'appliquer le principe de la violence mimétique découvert par René Girard. En le lynchant, elle n'a fait que s'approprier le même pouvoir de vie ou de mort de ce dernier. Elle s'est identifiée à lui. Le plus troublant est d'ailleurs que l'acte ait eu lieu durant la reconstitution du crime par le criminel. Il s'agissait donc d'un psychodrame ritualisé où la foule s'est mimée en meurtrier, et où l'assassin est devenu ses propres victimes. Sauf que le facteur mimétique a décuplé la violence, l'a libérée de la manière la plus anarchique. Il ne s'est plus trouvé de cadre à même de contenir et de structurer cette violence. La Loi n'a plus opéré. La rationalité a été emportée dans le délire collectif.
Le problème de Ketermaya, c'est qu'il vient s'imbriquer totalement dans un mécanisme global de violence mimétique. Retourner à Ketermaya, c'est aussi retourner à cette autre honte qu'a été l'expédition punitive menée par le Hezbollah et alliés à Beyrouth et dans la Montagne les 7, 8 et 9 mai 2008. Là aussi, un groupe s'est arrogé le droit d'ôter la vie et de donner la mort, s'est substitué à la Loi. Les événements du 7 Mai, célébrés comme un « jour glorieux » par le Hezb, ont en effet ouvert une boîte de Pandore. En se livrant en toute impunité à ces agressions, les miliciens du 7 Mai ont institué la règle. Ils ont manifesté leur puissance. Ils ont posé un acte fondateur de violence. Ils ont donné l'exemple. Il ne reste plus aux autres groupes communautaires du pays qu'à les imiter pour que s'ouvrent les portes de l'enfer. Le massacre de Halba, en réponse à l'invasion de Beyrouth, était un premier exemple. Les affrontements de Tripoli, quelques jours plus tard, étaient significatifs de cette volonté de mimer celui qui détient l'objet du désir : la puissance d'annihiler les autres, les armes. Ketermaya revient montrer que les vannes de la violence - c'est-à-dire les portes de l'enfer - ont été ouvertes, et que le feu couve désormais sous la cendre, annonciateur de l'éruption totale.
Revenir à Ketermaya, c'est constater le retour de la barbarie et à la barbarie, c'est faire le deuil de l'État et de la souveraineté. La violence mimétique possède sa propre rythmique, sa dynamique spécifique, aux dépens de la rationalité. Elle est morcellement de soi dans la volonté de fusion avec l'autre. Inutile de dire qu'elle se fixe sur la maladie identitaire pour faire éclater l'État et exalter la superpuissance du groupe, de la communauté. Là où l'État devait faire respecter la sécurité et la justice, qui sont les deux conditions essentielles de son existence - s'il faut revenir aux philosophes qui ont pensé la souveraineté - il a une fois de plus lamentablement échoué à Ketermaya devant le déchaînement de la foule en délire - tout comme il avait échoué avant, en mai 2008, à protéger les citoyens. La souveraineté a une fois de plus été détruite par la volonté de faire sa loi, de ravir à l'État son monopole de la violence légitime et de le remplacer par le rituel punitif et les faits d'armes.
De Beyrouth à Halba, de Choueifat à Ketermaya, du 7 mai 2008 au 29 avril 2010, le retour à soi est un repli sur la loi martiale du temps de la guerre (in)civile, une avancée vers une guerre totale d'extermination. Seule la règle de droit peut sauver le Liban de son implosion, de sa descente vers l'irrationalité de la violence.
De Ketermaya, désormais synonyme de la cruauté primitive, nouvelle zone supplémentaire de non-droit dans le pays, le seul retour autorisé doit être, désormais, vers l'État souverain et salvateur.

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