Les détentions arbitraires de réfugiés ou d'étrangers ayant purgé leur peine de prison sont monnaie courante. Un réfugié irakien ayant terminé sa peine a même été rapatrié de force, samedi dernier, malgré ses protestations et celles de la société civile.
Samedi dernier, un Irakien de 35 ans ayant le statut de réfugié, Mortada M., a été rapatrié de force en Irak par les autorités libanaises. Mortada a eu beau se débattre et crier son désespoir, c'est contre son gré qu'il a été mis dans un avion en partance pour son pays. Même si le Liban ne reconnaît pas le statut de réfugié, car il n'est signataire ni de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ni de son protocole de 1967, cette mesure constitue une violation des lois internationales du non-refoulement, contraignantes pour tous les États, dont le Liban. Faut-il aussi rappeler que l'État libanais est signataire de la Convention internationale contre la torture dont l'article 3 lui interdit d'expulser une personne qui risque la persécution dans son pays ?
Les associations de défense des droits de l'homme sont consternées. Elles craignent que l'expulsion du réfugié irakien ne soit un précédent et que davantage de réfugiés ne soient rapatriés après une période de détention plus ou moins longue. « Mortada a obtenu la carte de réfugié du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) parce qu'il était recherché dans son pays. Son père a d'ailleurs été exécuté sur la place publique », raconte le père Hady Aya, fondateur de l'Association justice et miséricorde (AJEM) qui offre des services gratuits aux détenus. Arrêté au Liban pour trafic de fausse monnaie début 2005, il a purgé une peine de prison de trois ans. Mais il n'a jamais été libéré. Début 2010, Mortada avait été transféré au centre de rétention de la Sûreté générale secteur Palais de justice. « Il avait aussi accepté son rapatriement durant sa période de détention, mais il a aussitôt changé d'avis affirmant qu'il ne pourrait jamais rentrer chez lui », poursuit le père Aya. « Aujourd'hui, les associations sont toujours sans nouvelles de lui et d'autres réfugiés en détention craignent d'être également victimes de refoulement forcé », précise encore le prêtre.
Principe du non-refoulement
La fondatrice de l'association Ruwad Frontiers, Samira Trad, observe qu'« une signature recueillie en prison n'est jamais volontaire, car elle est obtenue sous la contrainte ». « Les prisonniers espèrent, en acceptant de signer pour leur départ, être plus rapidement transférés de la prison vers le centre de rétention de la SG, transfert préalable à leur libération », explique-t-elle. Et de noter que « les organisations internationales, notamment les Nations unies et l'Organisation internationale des migrants (OIM), refusent le principe du retour volontaire lorsqu'il est décidé en prison ». Ruwad Frontiers a d'ailleurs publié un communiqué dénonçant le rapatriement forcé de Mortada, exprimant sa crainte que ce cas soit un précédent et refusant les pressions exercées par la Sûreté générale à l'égard des réfugiés.
Contacté par L'Orient-Le Jour, le consul général d'Irak au Liban, Moustapha el-Imam, se contente d'assurer que « ni le consulat ni la Sûreté générale ne peuvent refouler un réfugié irakien contre son gré, sans l'accord de ce dernier ». « Je suis certain que ce n'est pas vrai », a-t-il ajouté. De son côté, le HCR affirme qu'il « rassemble encore les informations » et qu'il « œuvre à prévenir davantage de déportations ». « Selon le principe du non-refoulement que doit respecter le Liban, et conformément à un accord verbal entre le HCR et la Sûreté générale en 2007, l'organisation demande que les réfugiés et demandeurs d'asile ne soient pas rapatriés », observe la responsable de la communication au sein du HCR, Laure Chedrawi.
L'expulsion de Mortada et les craintes des associations des droits de l'homme font la lumière sur les nombreuses violations des droits des réfugiés au Liban. Selon la loi de 1962, toute personne entrée au Liban de manière illégale ou se trouvant illégalement sur le territoire libanais est passible d'une peine de prison de deux mois à trois ans accompagnée d'une amende. Cette loi s'applique à tous les étrangers, ainsi qu'aux réfugiés et demandeurs d'asile irakiens, soudanais, somaliens ou autres non palestiniens, dont les cartes délivrées par le HCR ne sont pas reconnues par les autorités. Selon le HCR, 177 réfugiés et demandeurs d'asile, dont une grande majorité d'Irakiens, se trouvaient en prison, en décembre 2009, pour entrée et séjour illégaux au Liban. Laure Chedrawi, précise à ce propos que « l'inscription au HCR ne confère pas la légalité à ces personnes ». Dépassé par la présence palestinienne, refusant de devenir un pays d'accueil, le Liban entend ainsi décourager l'afflux de réfugiés. Mais il demeure incapable de contrôler ses frontières avec la Syrie, qui sont une véritable passoire, tant pour les réfugiés que pour les travailleurs illégaux. Mme Chedrawi estime toutefois que « les choses s'améliorent ». « En octobre 2007, on comptait 600 réfugiés et demandeurs d'asile en détention », note-t-elle à ce propos.
Grève de la faim
Le problème se corse à partir du moment où les réfugiés ont purgé leur peine en prison. Car nombre d'entre eux sont toujours maintenus en détention, certains pour plusieurs mois, voire plusieurs années. « Vu l'afflux des Irakiens au Liban en 2007, il devenait difficile d'appliquer le protocole d'entente signé en 2003 entre le HCR et la Sûreté générale, car il était impossible de réinstaller tous les réfugiés dans un délai de 9 mois à un an », précise encore Mme Chedrawi. « Nous avions besoin de plus de temps pour trouver un pays d'accueil aux réfugiés ou leur proposer une autre solution », dit-elle. « Au lieu de les libérer, les autorités les maintiennent en détention pour une période indéterminée », constate-t-elle. Une détention jugée arbitraire par les associations des droits de l'homme, par le corps judiciaire et dénoncée par les prisonniers eux-mêmes qui n'ont souvent aucun recours.
La détention arbitraire de Nour a failli lui être fatale, car il raconte avoir subi la torture pour s'être rebellé contre son maintien en prison. Après avoir purgé une peine d'un mois en mai 2007, ce réfugié irakien alors âgé de 20 ans, rentré illégalement au Liban, indique qu'il a été maintenu en détention arbitraire durant un an et huit mois, dont les six derniers mois au centre de rétention près du Palais de justice, situé sous le pont. « Au bout de quatre mois dans ce centre, après plusieurs lettres écrites adressées au directeur demandant ma libération, j'ai décidé d'entamer une grève de la faim. Je voulais savoir pourquoi j'étais toujours en prison, alors que le HCR avait payé 950 000 LL pour légaliser ma situation », souligne Nour, affirmant qu'il n'a commis aucun crime. Les choses ont tourné au drame, au troisième jour de sa grève de la faim, « à l'occasion d'une tournée d'inspection du responsable des cellules, en tenue civile ce jour-là », poursuit-il. L'homme raconte la scène, comment l'officier l'a d'abord interpellé pour le dissuader de poursuivre sa grève. « Devant mon refus, il m'a giflé, poussé contre les barreaux, puis battu à coups de pied et à coups de bâton, avant de me jeter à terre, en me tirant par les cheveux. Il a aussi ordonné qu'on me lie les mains derrière le dos et qu'on les rattache aux pieds. Je ne pouvais même pas me protéger ni me tenir droit », se souvient-il, précisant que « l'officier a redoublé de violence » lorsqu'il lui a dit qu'il envisageait « de porter plainte ». « Il s'acharnait contre ma poitrine. Rien ne l'arrêtait, ni mes hurlements, ni mes supplications, ni mes pleurs », se rappelle-t-il encore, en larmes. « J'avais tellement mal. Je souhaitais mourir », ajoute-t-il. Nour raconte avoir ensuite été enfermé de longues heures dans un réduit d'à peine 80 cm x 80 cm. « Je ne sais pas combien de temps je suis resté là, je pense m'être évanoui », dit-il, ajoutant que ses compagnons d'infortune ont assisté à la scène. « Après sa libération, début 2009, Nour a été ausculté par un médecin légiste qui a confirmé les faits », affirme Suzanne Jabbour, directrice de l'association Restart pour la réhabilitation des victimes de violence et de torture. Libéré en 2009, encore traumatisé, le regard toujours triste, Nour est aujourd'hui pris en charge psychologiquement par Restart. Mme Jabbour tient à dénoncer la torture dans les centres de détention, mais aussi les humiliations subies par les prisonniers et la politique carcérale de l'État, à plus large échelle.
Jugement non respecté
La maltraitance de Nour n'est qu'un cas parmi tant d'autres anonymes, une conséquence de l'absence d'une politique claire, juste et transparente de l'État envers les réfugiés étrangers.
Excédées par l'attitude des autorités, les associations se mobilisent, demandant la libération de tous les prisonniers détenus arbitrairement. Pas plus tard qu'hier, Human Rights Watch (HRW) a publié un communiqué portant la signature de 14 organisations et associations locales et internationales. Dimanche, le Centre libanais des droits de l'homme (CLDH) tiendra un sit-in à midi devant le centre de rétention secteur Palais de justice, pour protester contre les détentions arbitraires.
« Près de 50 personnes ayant le statut de réfugiés sont aujourd'hui en détention arbitraire », estime pour sa part Me Nizar Saghiyeh, accusant la Sûreté générale de « s'arroger le droit de détenir ces personnes sans aucun titre légal ». L'avocat dénonce d'abord la détention arbitraire de Mortada. « Il a été gardé plus de deux ans en détention arbitraire, avant d'être refoulé samedi dernier vers l'Irak », accuse-t-il, affirmant que « la détention arbitraire est une violation très grave de la Constitution et de la loi, car il ne peut y avoir de détention sans titre judiciaire ». L'avocat a d'ailleurs gagné quatre procès pour détention arbitraire de réfugiés irakiens, mais une seule personne a été libérée, alors que les trois autres réfugiés sont toujours en prison, malgré la décision de la juge des référés du Metn, Mireille Haddad, il y a un mois, demandant leur libération immédiate. « Cette violation de la Constitution est un crime passible de 3 à 15 ans de prison », tient à rappeler Me Saghiyeh, ajoutant que « la détention arbitraire de réfugiés étrangers n'est aucunement liée au problème palestinien au Liban ».
De son côté, Suzanne Jabbour se demande pourquoi la Sûreté générale n'accorde-t-elle plus aux réfugiés détenus, une fois leur peine achevée, une période de grâce de 15 jours, leur permettant de régulariser leur situation, conformément à la loi.
« L'accord entre le HCR et la Sûreté générale n'est pas respecté. De plus, les réfugiés restent emprisonnés de nombreux mois avant même leur jugement », dénonce de son côté l'avocate de l'AJEM, Mohana Ishak, précisant que « l'entrée illégale au Liban est un délit et que le verdict devrait être prononcé rapidement ». Elle déplore alors l'extrême lenteur des formalités, précisant que « les réfugiés sont souvent privés d'audience, parce qu'il n'y a personne pour les y emmener ou qu'il n'y a pas de place dans la salle d'audience ». « Les choses se compliquent lorsque les réfugiés ont commis un crime », ajoute le père Hady Aya, invitant les autorités à adopter une stratégie concernant les réfugiés. Il met aussi en exergue les dures conditions de détention de ces derniers, précisant qu'ils « souffrent également de discrimination en prison ».
Au même titre que la main-d'œuvre étrangère, « les réfugiés souvent démunis n'ont personne pour adoucir leur détention, leur apporter à manger, laver leurs habits ou leur fournir leurs médicaments. Ils sont aussi exploités en prison qu'ils le sont dans la société libanaise », constate le père Aya, précisant qu'ils doivent souvent « servir les autres et accomplir les tâches les plus besogneuses ». Zaman n'a fait qu'un seul mois de prison, au centre de rétention de la SG. Diabétique, ce réfugié de 24 ans a perdu 16 kilos durant sa détention. « Je ne pouvais manger la nourriture qu'on me proposait, composée essentiellement de riz et de pommes de terre », raconte-t-il. « Je n'ai eu droit qu'une seule fois à du yaourt et du pain brun, fournis par Caritas », ajoute-t-il.
Alors que se poursuivent les violations des droits des réfugiés, et que s'aggrave la crise profonde entre les services de sécurité, d'une part, et les associations et le corps judiciaire, d'autre part, la solution consiste, pour le HCR, dans une révision de la loi 1962. L'organisation onusienne a d'ailleurs présenté dans ce sens aux autorités une proposition de loi en 2009. « Aujourd'hui, 10 000 personnes ont le statut de réfugiés, dont plus de 70 % se trouvent en situation illégale au Liban », souligne Laure Chedrawi. Les autorités ont-elles d'autre choix que d'envisager des mesures pour résoudre le problème ?
The Lebanese Center for Human Rights (CLDH) is a local non-profit, non-partisan Lebanese human rights organization in Beirut that was established by the Franco-Lebanese Movement SOLIDA (Support for Lebanese Detained Arbitrarily) in 2006. SOLIDA has been active since 1996 in the struggle against arbitrary detention, enforced disappearance and the impunity of those perpetrating gross human violations.
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