Par Jeanine JALKH
Sous le thème de la dissémination de la culture juridique dans le monde arabe, un colloque sur la portée et l'importance du TSL s'est ouvert hier à La Haye en présence de nombreux experts arabes et libanais.
Il s'agit indiscutablement du premier congrès du genre portant sur les rouages et les problématiques suscités par le Tribunal spécial pour le Liban. Organisé par l'Association pour la dissémination de la culture juridique dans le monde, le congrès, qui s'est ouvert hier au Palais de la paix à La Haye en présence d'éminents juristes en provenance du monde arabe, devait notamment soulever les questions relatives à la créaction du TSL, à la définition du terrorisme, à la constitutionnalité du tribunal et au procès par défaut.
Les participants, auxquels sont venus se joindre plusieurs observateurs représentant les différents bureaux du TSL, doivent également se pencher, durant trois jours consécutifs, sur des sujets divers tels que le statut du TSL, les droits de la défense et les droits des victimes.
L'intérêt de cette rencontre inédite réside dans le fait que c'est la première fois qu'un tel rassemblement réunit près de 40 juristes et magistrats arabes, dont des Égyptiens et des Tunisiens qui ont eu tout le mal du monde à parvenir à destination, vu les circonstances qui prévalent dans leurs pays respectifs.
Fait notoire au cours de ce congrès, l'absence des médias du 8 Mars qui semblent boycotter ce genre d'exercice, ainsi que des juristes proches du Hezbollah qui ont pourtant été conviés, comme l'affirment les organisateurs.
Après une brève introduction sur la portée et l'importance de la dissémination de la culture juridique dans les pays du monde arabe « qui ploient encore sous l'impunité », Ahmad Kouchayri, ancien juge de la Cour internationale de justice, a rappelé que le principe de la légalité internationale n'est pas récent puisqu'il prend ses racines au XIVe siècle. Aujourd'hui, le crime s'est internationalisé, d'où la nécessité de trouver un système international juridique, un système supranational du fait de sa suprématie sur les lois nationales, dit-il. Évoquant l'un des premiers actes rendus par le TSL, à savoir la libération des quatre officiers détenus dans le cadre de l'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri, le conférencier a indiqué qu'il s'agit là d'une preuve de la non-politisation du TSL qui a agi dans le respect des principes juridiques internationaux. Et de conclure que les accusations lancées contre le TSL « ne sont pas équitables », préconisant de suivre de près le cours de la justice pour voir si le tribunal pourra effectivement parvenir à incriminer les auteurs des assassinats.
Le professeur en droit international à l'université de Tunis, Rafeh Achour, a tenu à rappeler en guise d'introduction que les objectifs visés par cette conférence se rapprochent de ceux auxquels aspire la révolution du jasmin en matière de lutte contre les régimes dictatoriaux et de la corruption. M. Achour a noté « le saut qualitatif » réalisé par l'émergence des tribunaux internationaux, hybrides, mixtes et spéciaux au cours des dernières décennies, un mouvement qui a été couronné par l'entrée en vigueur, en 2002, du Tribunal pénal international, malgré l'opposition des États-Unis à la création de cette instance. En dépit des circonstances très spéciales dans lesquelles est né le TSL, et la polémique suscitée autour de sa création, celui-ci s'est inscrit dans la lignée des instances internationales, a-t-il fait remarquer. Le TSL contribuera ainsi au mouvement international de la justice pénale.
Pour Mohammad Ayyat, conseiller juridique au bureau du procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, les tribunaux pénaux internationaux constituent « l'un des mécanismes propices à la redynamisation des droits de l'homme, à la protection de ces droits et à la lutte contre l'impunité des dirigeants et détenteurs du pouvoir ». Effectuant un parallèle entre les instances juridiques internationales et le nouveau-né qui ne sait pas encore marcher, le conférencier a suggéré aux juristes de soutenir ces instances ainsi que leurs mécanismes et de contribuer à leur développement tout en leur donnant la chance de progresser, malgré les lacunes qui peuvent exister.
Le maillon d'une chaîne continue d'assassinats
Le président de l'Association pour la dissémination de la culture juridique dans le monde arabe, Abdel Hamid Ahdab, a relevé que ce congrès aurait dû avoir lieu depuis longtemps. Constatant l'absence de justice dans le monde arabe, qui réprime les peuples et contribue à l'installation des régimes dictatoriaux, M. Ahdab a rappelé que l'assassinat de Rafic Hariri était « le maillon d'une chaîne continue d'assassinats terroristes qui ont visé plusieurs personnalités libanaises ».
Selon lui, le remède d'un monde arabe chaotique n'est autre que « le règne de la loi et de la justice ». Et M. Ahdab de lire le courrier électronique justifiant le refus d'un des juristes conviés, Aoun el-Khassawna, qui a critiqué certains thèmes figurant au programme de la conférence, notamment le fait que le Conseil de sécurité « a une prérogative absolue pour ce qui est de la qualification des crimes » commis au Liban, également considérés comme des crimes terroristes qui menacent la paix et la sécurité internationales. Le juriste a également émis ses réserves concernant les tribunaux hybrides ou semi-hybrides.
Rebondissant sur la question du rôle du Conseil de sécurité, M. Ahdab a souligné le fait que le Conseil de sécurité de l'ONU a pour mission la sauvegarde de la paix et de la sécurité internationales, les résolutions prises par le Conseil sous le chapitre VII étant contraignantes pour les États.
N'ayant pas réussi à venir rejoindre les intervenants à La Haye, l'ancien bâtonnier Michel Lyan a donné son allocution par vidéo. Il a résumé la situation qui prévaut au Liban en insistant sur le fait qu'il existe un camp qui veut mettre fin à l'impunité pour que survive l'État et renaisse la vie politique par la force du droit, et un autre qui voudrait hypothéquer l'État et la vie politique par la loi de la force ou plutôt par un « surplus de puissance ». Aujourd'hui, les Libanais vivent sous la menace du retour à la guerre civile si l'on ne renonce pas au recours à la justice et si l'on ne se soumet pas aux desiderata des armes qui se trouvent en dehors du contrôle de l' État, a souligné Michel Lyan. « Cette peur de l'avenir, les Libanais la ressentent tout en réalisant qu'ils ne sont plus maîtres de leur destin, lequel se décide chaque jour par le biais de négociations entre les États de la région sans leur participation », a déclaré Michel Lyan.
Professeur de droit international à l'Université antonine, le père Fadi Fadel a rappelé comment la naissance du TSL a été le produit de la convergence de la volonté politique locale et de la volonté politique internationale. L'importance de la création du tribunal ne se limite pas à la réalisation de la justice punitive, mais également à l'émergence d'une justice de réconciliation, relève le père Fadi Fadel. Par conséquent, a-t-il souligné, l'approche à la justice ne peut se comprendre qu'à travers la consolidation de la paix au Liban, tant il est vrai que la justice de réconciliation tend à trouver les circonstances propices à un nouveau pacte politique. « Car le but n'est point la sanction comme objectif suprême, mais plutôt la redynamisation de la coexistence par le biais de dissémination de la culture démocratique », a relevé le père Fadel.
Pour l'avocat Majed Fayad, qui est intervenu lors des débats sur la constitutionnalité du TSL, on ne peut pas dire que le Liban a refusé l'accord signé avec les Nations unies sur la créaction du TSL du fait que le Parlement n'a pas ratifié cet accord. De même que l'on ne peut pas dire qu'il l'a accepté puisque le Parlement n'a jamais examiné cet accord pour l'accepter ou le refuser. Toutefois, a-t-il ajouté en reprenant les propos du président du TSL, Antonio Cassese, le fait que le Liban ait pris des mesures en direction de l'adoption de l'accord et de la création du TSL suppose que le traité est de facto entré en vigueur.
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