À la veille des élections législatives partielles aux États-Unis, les pronostics se multiplient dans la région et les analyses foisonnent sur les conséquences d'une défaite électorale des démocrates au profit des républicains, au moins au Congrès, puisqu'il y a des chances que le parti du président Obama conserve la majorité au Sénat. Les analystes du 14 Mars et plus particulièrement le lobby des Forces libanaises à Washington prévoit ainsi un retour de la politique dure des républicains dans la région, notamment à l'égard de l'Iran et de la Syrie, avec ses répercussions sur la scène libanaise, véritable caisse de résonance de tous les conflits et de toutes les tensions régionales. Les analystes vont encore plus loin et reviennent à des possibilités de guerre américano-israélienne contre l'Iran ou en tout cas de bombardements des sites nucléaires, quand ils ne prévoient pas une nouvelle attaque israélienne contre le Hezbollah, cette fois totale et donc très destructrice.
Face à ces scénarios catastrophe, il existe toutefois d'autres visions de la politique américaine dans la région, basées sur des données que les porteurs de ces visions qualifient de réalistes. Akram Elias, américain d'origine libanaise et responsable d'un bureau de consultants spécialisé dans la politique américaine, installé à Washington, explique ainsi que si les démocrates conservent la majorité au Sénat, ils continueront à tenir la politique étrangère du pays et le président Obama ne sera pas aussi affaibli qu'on veut bien le dire puisque le Sénat possède en plus des prérogatives communes avec la Chambre des représentants ; deux domaines réservés, les nominations présidentielles et la politique étrangère.
Mais même si les démocrates devaient aussi perdre la majorité au Sénat en plus de celle de la Chambre des représentants, de nouvelles données se sont imposées sur la scène américaine et elles sont devenues incontournables. La présence de près de 500 000 soldats américains (avec leurs équipes logistiques et administratives) en pays musulmans (Irak, Afghanistan, sans compter les bases dans les pays arabes) a transformé l'institution militaire en partie influente dans la politique étrangère américaine. De plus, l'objectif principal de l'institution militaire américaine est aujourd'hui de contenir l'expansion chinoise dans cette région riche en pétrole et en gaz. D'autant qu'aux yeux des Américains, la Chine est le seul pays au monde qui serait en mesure, dans vingt ans, de concurrencer la puissance des États-Unis, sur les plans militaire et politique. Or, justement, pour réussir son expansion, son développement et son essor, la Chine a besoin du gaz et du pétrole qui se trouvent essentiellement dans cette région. Il est donc désormais primordial pour les États-Unis de préserver leurs intérêts dans la région et donc de renforcer ses relations avec les pays musulmans. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si le commandant des forces armées américaines en Afghanistan le général David Petraus a récemment déclaré, dans la foulée de la menace du révérend Jones de brûler le Coran, que le comportement de certains met en danger les intérêts des États-Unis dans la région et le révérend Jones a aussitôt renoncé à son projet. Désormais, l'institution militaire exerce ainsi des pressions sur l'establishment politique américain.
Selon Akram Elias, quelle que soit l'issue des élections partielles, cette constante ne sera pas modifiée et, dans la région, la priorité est désormais à ménager les pays musulmans, d'autant que les pays arabes dits modérés ont perdu une grande partie de leur influence sur le cours des événements depuis l'émergence d'un axe stratégique entre l'Iran, la Turquie et la Syrie, duquel l'Arabie saoudite est d'ailleurs en train de se rapprocher.
C'est ainsi que le président américain aurait fait clairement savoir aux Israéliens, toujours selon Akram Elias, qu'il n'y aura pas de nouvelle guerre américaine dans la région et en même temps, qu'il ne souhaite pas non plus que d'autres pays y provoquent une guerre. En effet, toute nouvelle guerre dans la région mettrait en danger les intérêts américains et les relations avec les pays musulmans. Le cas de la Turquie est à cet égard concluant : en adoptant cette tendance islamique ouverte et modérée, ce pays, membre de l'OTAN, est devenu plus utile aux États-Unis. Et avec le retrait de leurs troupes d'Irak, les Américains veulent éviter que le vide stratégique qu'elles laissent provoque une guerre qui mettrait en danger leurs intérêts pétroliers. Or la Turquie est un pays-clé pour la stabilité de l'Irak et de la région en général. Surtout avec son alliance avec la Syrie et l'Iran. Dans le même sillage, les États-Unis ont sommé le gouvernement israélien de ne pas attaquer l'Iran et en contrepartie, ils ont adopté de nouvelles sanctions ciblées contre la République islamique.
C'est ce jeu d'équilibriste très délicat qui résumerait aujourd'hui la politique américaine dans la région, qui cherche à empêcher Israël de faire un saut dans l'inconnu tout en préservant ses propres intérêts. Une fois ces principes compris, il devient plus facile de comprendre ce qui se passe actuellement dans la région : les difficultés en Irak et le rôle grandissant de l'Iran et de la Turquie qui inquiètent grandement les Israéliens poussent les Américains à rejeter toute guerre régionale, tout en utilisant à fond les cartes qu'ils détiennent encore. À cet égard, le Liban est la scène privilégiée, puisque tous les acteurs régionaux y possèdent des alliés et peuvent y manipuler leurs pions. C'est ainsi dans le cadre des cartes américaines utilisées contre le Hezbollah, et à travers lui contre l'Iran et la Syrie, que l'opposition place la publication d'un acte d'accusation par le TSL incriminant des membres du parti de Dieu. Cet acte est donc à ses yeux une mesure de pression, visant à semer le chaos et la discorde, sans tenir compte des intérêts des parties libanaises, notamment ceux du 14 Mars, ce groupe risquant de perdre un peu plus de son influence si le Hezbollah, acculé, réagit selon les scénarios qu'il a mis au point. Pour l'opposition, ce ne serait pas la première fois que les États-Unis sacrifieraient leurs alliés pour des intérêts plus importants. Mais pour le Liban tout entier, cela signifie que la période de turbulences est appelée à se prolonger...
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