Le serment de Gebran Tuéni résume en lui toute la symbolique de l’instant historique de réconciliation représenté par la journée du 14 mars 2005.
Un groupe d'une centaine de cadres et d'intellectuels, qui représentent quelque part la fibre civile qui a vibré tout au long de l'intifada de l'indépendance, vient de lancer, mardi dernier, le Rassemblement pour la justice et la réconciliation (RJR). « Justice et réconciliation », proposent-ils, aux antipodes du discours incendiaire tenu depuis quelques jours par un Hezbollah paniqué, qui cherche inlassablement à faire passer les bourreaux pour des victimes et vice versa - comment sinon expliquer cet acharnement particulier contre les survivants, Marwan Hamadé, May Chidiac ou Élias Murr, uniquement coupables de n'avoir pas succombé, sinon contre les morts, dont la mémoire est salie au quotidien par certains pôles et certains organes médiatiques du 8 Mars.
Mais qu'on ne s'y trompe guère : il ne s'agit pas, ici, de se « réconcilier », stricto sensu, avec ceux qui pourraient être mis en cause par la justice, quels qu'ils soient, régime syrien ou Hezbollah. Il est vrai que Ghassan Tuéni avait déjà appelé à « enterrer la haine et la vengeance », au lendemain de l'assassinat, le 12 décembre 2005, de son fils Gebran, symbole du courage et de la liberté face à la terreur et au totalitarisme.
Mais de « haine » et de « vengeance », pas l'ombre d'une trace dans le discours des forces du 14 Mars. Tous s'en remettent à la justice internationale, acceptant d'ores et déjà son verdict, quel qu'il soit. La loi tribale, ainsi que le discours assoiffé de « haine » et de « vengeance », c'est le Hezbollah qui continue à s'y référer en permanence. Ne serait-ce, à titre d'exemple, que lorsqu'il évoque Saad Hariri en termes de « waliy el-damm », le « dépositaire du sang », avec qui il serait donc légitime, dans la plus pure conception tribale, de conclure un marché pour « enterrer la justice » à travers un compromis vaseux.
Le Hezbollah occulte - dans une volonté manifeste de faire oublier aux Libanais tout ce que l'intifada de l'indépendance a représenté - le fait que c'est un peuple tout entier qui s'est mobilisé le 14 mars 2005, puis périodiquement depuis, pour réclamer la vérité et la justice. C'est cette constituante, formée de l'opinion publique du 14 Mars, qui est dépositaire du sang de ceux qui sont tombés dans ses rangs ; et elle rejette catégoriquement tout compromis éventuel qui pourrait tuer encore une fois ses symboles tombés courageusement sur le front de la lutte pour la liberté, la vérité, la souveraineté, l'indépendance, la justice, le droit et la renaissance de l'unité nationale. Or, ce compromis que le Hezbollah recherche désespérément pour saboter définitivement le TSL sera celui qui ouvrira véritablement la voie, dût-il exister un jour, à la haine et la vengeance, puisqu'il empêchera tout travail de deuil, tout apaisement de la colère des victimes, qui n'ont de cesse de réprimer leur douleur et de la contenir face à l'arrogance et à la condescendance des discours actuels du Hezbollah. Un tel compromis empêcherait aussi, et surtout, toute application future de la justice, cette dernière devenant désormais inféodée à jamais à la toute-puissance du Hezbollah et de son arsenal divin.
* * *
Est-il en effet possible de se réconcilier avec son bourreau tant que la justice n'a pas été réalisée, tant que la vérité n'a pas été élucidée, c'est-à-dire avant que les responsabilités soient déterminées et que le bourreau accepte enfin de reconnaître sa responsabilité dans le crime qu'il a commis ?
Or précisément, la réconciliation dont il est fait état dans le document fondateur du RJR n'a absolument rien à voir avec un quelconque compromis politicien vaseux qui viendrait émousser l'effet de la justice internationale. Loin de là. Il n'est en effet pas question de rééditer l'infamante expérience de la loi d'amnistie - « d'amnésie » - imposée par la Syrie après 1990, avec pour but d'empêcher toute réappropriation par les Libanais de leur histoire et de leur mémoire. Tous les belligérants avaient ainsi été « rachetés », moyennant leur ralliement à l'occupant syrien et la légitimation de son pouvoir tyrannique - sauf ceux qui avaient refusé l'offre alléchante de l'époque pour croupir ensuite en prison onze ans durant, ou qui avaient été contraints à l'exil. Damas avait opté pour la perpétuation d'une amnésie volontaire, afin d'empêcher tout travail de mémoire et toute réconciliation nationale hors de son influence, pour susciter la reproduction des mêmes erreurs et violences, et garantir ainsi la nécessité et la pérennité du Léviathan/juge et arbitre syrien au Liban.
* * *
Mais voici venu le temps de tirer un trait définitif sur la violence et sur l'impunité au Liban. Il doit désormais être inadmissible qu'un parti ou qu'un régime prône un compromis quelconque sur l'application de la justice et de la règle de droit. Le Hezbollah peut vider tout son fiel en stigmatisant les victimes autant qu'il le souhaite, en les insultant, les traitant de « semelles de l'arrogance internationale et des États-Unis », ou encore en banalisant à outrance les crimes qui ont été commis. Il peut même utiliser la force et la terreur s'il le souhaite, avec le risque d'enlisement qui vient avec. Mais le mur de la peur est définitivement tombé, et il ne pourra pas empêcher la justice de prendre son cours. Et pour cause : il est tout simplement devenu impossible de renoncer à la justice. Les Libanais aspirent en effet, après l'instauration de cette justice et la punition des coupables, à une véritable réconciliation, seule garante d'une véritable stabilité. Les dix assassinats entre 2004 et 2007 sont, en ce sens, des « crimes de trop ». Ceux qui doivent à jamais prohiber l'assassinat politique et la violence morale qui le précède.
La réconciliation du RJR n'est pas une formule compromissoire pour tendre la main au Hezbollah et le sortir de son éventuel malheur. Elle est réconciliation des différentes parcelles de l'âme libanaise entre elles, et donc de ses composantes sociocommunautaires historiques. Il ne s'agit donc pas de se gagner les faveurs d'un parti surarmé pour mendier une stabilité improbable. Cette option est impossible et, dans son équipée sauvage et immanquablement solitaire, le Hezbollah ne manque pas de le prouver tous les jours, en péchant par arrogance. Par manque de culture politique et démocratique, il ne se laisse qu'une seule voie : la dérive assurée, lente mais certaine, hors de la raison.
* * *
Le 14 mars 2005, toute une foule avait scandé : « Vérité, liberté, unité nationale. » Or la « vérité », c'est l'exigence de justice, sa recherche et son établissement. Le corollaire politique du principe de la liberté, c'est la souveraineté et l'indépendance. Quant à l'unité nationale, elle correspond, dans la pratique, à la réconciliation des composantes sociocommunautaires qui fondent le pacte national dans le cadre d'un projet commun, le Liban.
Il ne faut pas se faire d'illusions, le Tribunal est loin de constituer une menace à la stabilité du pays. Tel n'est que la représentation déformante que le Hezb souhaite faire intérioriser aux Libanais, pour que, terrorisés, ils renoncent à cette libération du crime et de la peur par la justice et le droit. Ce mur de la peur, désormais sérieusement fissuré, lézardé de toutes parts, il faut l'abattre définitivement, comme s'était abattu auparavant, grâce à Samir Kassir et Gebran Tuéni, la peur de l'hydre tentaculaire sécuritaire libano-syrienne.
Bien au contraire, le TSL ouvre grand la voie, et pour la première fois, à une redéfinition du périmètre interne de l'État après la redéfinition de son périmètre externe (le rétablissement de la souveraineté par le biais de l'intifada de l'indépendance en 2005), puisqu'il aura pour effet de rétablir l'égalité entre l'État et un parti doté d'un arsenal - qui n'a cesse de répéter depuis des années à ses partisans qu'ils sont, par rapport au commun des mortels, des surhommes investis d'une mission historique ; d'humaniser un peu un parti qui fréquente le monde du divin depuis si longtemps qu'il en a fini par perdre le sens du réel et par se retrouver, de facto, et en raison de son comportement, au premier rang des accusés, avant même que paraisse l'acte d'accusation du Tribunal.
Mais qu'on ne s'y trompe guère : il ne s'agit pas, ici, de se « réconcilier », stricto sensu, avec ceux qui pourraient être mis en cause par la justice, quels qu'ils soient, régime syrien ou Hezbollah. Il est vrai que Ghassan Tuéni avait déjà appelé à « enterrer la haine et la vengeance », au lendemain de l'assassinat, le 12 décembre 2005, de son fils Gebran, symbole du courage et de la liberté face à la terreur et au totalitarisme.
Mais de « haine » et de « vengeance », pas l'ombre d'une trace dans le discours des forces du 14 Mars. Tous s'en remettent à la justice internationale, acceptant d'ores et déjà son verdict, quel qu'il soit. La loi tribale, ainsi que le discours assoiffé de « haine » et de « vengeance », c'est le Hezbollah qui continue à s'y référer en permanence. Ne serait-ce, à titre d'exemple, que lorsqu'il évoque Saad Hariri en termes de « waliy el-damm », le « dépositaire du sang », avec qui il serait donc légitime, dans la plus pure conception tribale, de conclure un marché pour « enterrer la justice » à travers un compromis vaseux.
Le Hezbollah occulte - dans une volonté manifeste de faire oublier aux Libanais tout ce que l'intifada de l'indépendance a représenté - le fait que c'est un peuple tout entier qui s'est mobilisé le 14 mars 2005, puis périodiquement depuis, pour réclamer la vérité et la justice. C'est cette constituante, formée de l'opinion publique du 14 Mars, qui est dépositaire du sang de ceux qui sont tombés dans ses rangs ; et elle rejette catégoriquement tout compromis éventuel qui pourrait tuer encore une fois ses symboles tombés courageusement sur le front de la lutte pour la liberté, la vérité, la souveraineté, l'indépendance, la justice, le droit et la renaissance de l'unité nationale. Or, ce compromis que le Hezbollah recherche désespérément pour saboter définitivement le TSL sera celui qui ouvrira véritablement la voie, dût-il exister un jour, à la haine et la vengeance, puisqu'il empêchera tout travail de deuil, tout apaisement de la colère des victimes, qui n'ont de cesse de réprimer leur douleur et de la contenir face à l'arrogance et à la condescendance des discours actuels du Hezbollah. Un tel compromis empêcherait aussi, et surtout, toute application future de la justice, cette dernière devenant désormais inféodée à jamais à la toute-puissance du Hezbollah et de son arsenal divin.
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Est-il en effet possible de se réconcilier avec son bourreau tant que la justice n'a pas été réalisée, tant que la vérité n'a pas été élucidée, c'est-à-dire avant que les responsabilités soient déterminées et que le bourreau accepte enfin de reconnaître sa responsabilité dans le crime qu'il a commis ?
Or précisément, la réconciliation dont il est fait état dans le document fondateur du RJR n'a absolument rien à voir avec un quelconque compromis politicien vaseux qui viendrait émousser l'effet de la justice internationale. Loin de là. Il n'est en effet pas question de rééditer l'infamante expérience de la loi d'amnistie - « d'amnésie » - imposée par la Syrie après 1990, avec pour but d'empêcher toute réappropriation par les Libanais de leur histoire et de leur mémoire. Tous les belligérants avaient ainsi été « rachetés », moyennant leur ralliement à l'occupant syrien et la légitimation de son pouvoir tyrannique - sauf ceux qui avaient refusé l'offre alléchante de l'époque pour croupir ensuite en prison onze ans durant, ou qui avaient été contraints à l'exil. Damas avait opté pour la perpétuation d'une amnésie volontaire, afin d'empêcher tout travail de mémoire et toute réconciliation nationale hors de son influence, pour susciter la reproduction des mêmes erreurs et violences, et garantir ainsi la nécessité et la pérennité du Léviathan/juge et arbitre syrien au Liban.
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Mais voici venu le temps de tirer un trait définitif sur la violence et sur l'impunité au Liban. Il doit désormais être inadmissible qu'un parti ou qu'un régime prône un compromis quelconque sur l'application de la justice et de la règle de droit. Le Hezbollah peut vider tout son fiel en stigmatisant les victimes autant qu'il le souhaite, en les insultant, les traitant de « semelles de l'arrogance internationale et des États-Unis », ou encore en banalisant à outrance les crimes qui ont été commis. Il peut même utiliser la force et la terreur s'il le souhaite, avec le risque d'enlisement qui vient avec. Mais le mur de la peur est définitivement tombé, et il ne pourra pas empêcher la justice de prendre son cours. Et pour cause : il est tout simplement devenu impossible de renoncer à la justice. Les Libanais aspirent en effet, après l'instauration de cette justice et la punition des coupables, à une véritable réconciliation, seule garante d'une véritable stabilité. Les dix assassinats entre 2004 et 2007 sont, en ce sens, des « crimes de trop ». Ceux qui doivent à jamais prohiber l'assassinat politique et la violence morale qui le précède.
La réconciliation du RJR n'est pas une formule compromissoire pour tendre la main au Hezbollah et le sortir de son éventuel malheur. Elle est réconciliation des différentes parcelles de l'âme libanaise entre elles, et donc de ses composantes sociocommunautaires historiques. Il ne s'agit donc pas de se gagner les faveurs d'un parti surarmé pour mendier une stabilité improbable. Cette option est impossible et, dans son équipée sauvage et immanquablement solitaire, le Hezbollah ne manque pas de le prouver tous les jours, en péchant par arrogance. Par manque de culture politique et démocratique, il ne se laisse qu'une seule voie : la dérive assurée, lente mais certaine, hors de la raison.
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Le 14 mars 2005, toute une foule avait scandé : « Vérité, liberté, unité nationale. » Or la « vérité », c'est l'exigence de justice, sa recherche et son établissement. Le corollaire politique du principe de la liberté, c'est la souveraineté et l'indépendance. Quant à l'unité nationale, elle correspond, dans la pratique, à la réconciliation des composantes sociocommunautaires qui fondent le pacte national dans le cadre d'un projet commun, le Liban.
Il ne faut pas se faire d'illusions, le Tribunal est loin de constituer une menace à la stabilité du pays. Tel n'est que la représentation déformante que le Hezb souhaite faire intérioriser aux Libanais, pour que, terrorisés, ils renoncent à cette libération du crime et de la peur par la justice et le droit. Ce mur de la peur, désormais sérieusement fissuré, lézardé de toutes parts, il faut l'abattre définitivement, comme s'était abattu auparavant, grâce à Samir Kassir et Gebran Tuéni, la peur de l'hydre tentaculaire sécuritaire libano-syrienne.
Bien au contraire, le TSL ouvre grand la voie, et pour la première fois, à une redéfinition du périmètre interne de l'État après la redéfinition de son périmètre externe (le rétablissement de la souveraineté par le biais de l'intifada de l'indépendance en 2005), puisqu'il aura pour effet de rétablir l'égalité entre l'État et un parti doté d'un arsenal - qui n'a cesse de répéter depuis des années à ses partisans qu'ils sont, par rapport au commun des mortels, des surhommes investis d'une mission historique ; d'humaniser un peu un parti qui fréquente le monde du divin depuis si longtemps qu'il en a fini par perdre le sens du réel et par se retrouver, de facto, et en raison de son comportement, au premier rang des accusés, avant même que paraisse l'acte d'accusation du Tribunal.
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